C'est le huitième jour de confinement, pour l'instant prévu jusqu'au 31 mars. Avec une forte probabilité de prolongation au-delà. Depuis le 17 mars, je suis en astreinte chez moi. Pas vraiment du télé-travail car il y a peu à faire, un service minimum à assurer. Je suppose que si cela devait durer, il faudrait passer à un service moins minimum. Durer ? Par moments je me dis qu'il va y avoir prolongation mais pas au-delà du 30 avril. A d'autres moments, je me dis qu'on en a pour des mois et que quand on sortira, pour ceux-celles qui s'en sortiront, on aura toujours cette épée de Damoclès sur la tête, le virus, dans le métro, le RER, les lieux publics... partout il sera là, même si moins présent, et il faudra continuer à vivre dans la crainte. Pour soi, pour les autres.
Pour la première fois, aujourd'hui, j'ai été prise d'une crise de larmes. En même temps je sentais une sorte de rage. Autant de tristesse que de colère. C'est là que l'envie d'écrire est venue. Pour l'instant je n'ai pas trop flippé du fait de l'enfermement. Le soir je retarde l'heure de me coucher car c'est le moment où j'angoisse un peu.
Depuis le confinement, je ne suis sorti qu'une fois. Samedi. Je n'avais plus de pain. J'ai hésité. Est-ce que j'en avais vraiment besoin ? Et l'imprimante ne fonctionnant pas, l'idée de recopier l'attestation, pour moi qui n'aime pas écrire à la main, était un bon point de découragement. Finalement j'y suis allé, cela permettait aussi de prendre l'air. Plus tard, j'ai vu des vidéos effrayantes de gens en réanimation sous respiration artificielle, en Italie. Je me suis dit que jamais plus je ne sortirai. J'avais bien assez de courses pour tenir... combien ? deux semaines ? peut-être trois en me rationnant... je sais pas, peut-être que j'ai pas tant de réserves que çà ; il faut aussi manger pour être en forme et moins réceptive au virus.
Le premier jour où on nous a demandé d'applaudir à 20 heures, pour les "soignants", je l'ai fait. Mais j'étais gênée. Je ne voulais pas paraître indifférente alors je l'ai fait mais je sentais bien le dérisoire voire le cynique de la situation. Le deuxième jour, j'ai pas pu applaudir. Le troisième jour, prise d'un sentiment de bienveillante bienpensance, j'ai ouvert ma fenêtre et je l'ai fait à nouveau. Le quatrième jour, j'ai pas pu. Le cinquième, non plus. Après, j'ai lu que Macron aussi appelle à applaudir (sur son compte twitter). Depuis cette lecture, à 20 heures ma fenêtre reste fermée.
Hier ou plutôt ce matin je crois, j'ai vu sur twitter, la réalisation d'une idée qui m'avait traversé l'esprit : projeter sur le mur d'en face des mots, des textes, sur le coup de 20 heures, quand tout le monde applaudit à sa fenêtre. J'ai vu de très beaux textes sur internet, beaux et durs, c'est eux que j'aurais projetés; des textes comme celui du Professeur Laurent Thines de Besançon (« Avant le BIG-ONE - Prémices d’une catastrophe sanitaire » à lire sur son blog Mediapart). Me manque le matériel de projection (depuis le temps que je réfléchissais à l'achat d'un retro-projecteur... mais je préfère encore fréquenter les salles de cinéma... enfin je préférais) et aussi le mur, comble de l'ironie, pour quelqu'un qui vit dorénavant enfermée entre quatre murs, mais au premier étage d'une petite rue. Il faudrait être en face d'un mur bien exposé, un grand mur visible de tous, ou un fronton symbolique...
Depuis le confinement, j'écoutais la radio non-stop (pas de tv) mais c'est devenu insupportable, ces discours anxiogènes car suintants de mensonges, ce ton comme si on commentait une actualité normale alors que rien n'est normal. Rien. Je lui ai coupé le sifflet et depuis j'écoute Beranger.
« Joue pas avec mes nerfs
J’ai un flip de travers
Une arête dans l’gosier
Je n’peux plus respirer
Plein de trucs me sidèrent
J’ai beau dire j’ai beau faire
Parfois je me réveille
Et je m’dis pourquoi faire ... » *
Et quand le disque s'arrête, le silence se fait.
* François Beranger - Joue pas avec mes nerfs (1979 - L'Escargot)
PS : et je découvre, dans les paroles glanées sur internet, qu'il dit "j'ai un flip de travers". A l'écoute, j'ai toujours entendu "j'ai un flic de travers"... ah... ah...