Une lecture un peu rapide de cet évènement pourrait nous conduire à diaboliser l'auteur de cet acte, et à considérer qu'en aucun cas un simple vol, fût-il de valeurs importantes, ne saurait justifier de supprimer une vie humaine. Cela est vrai bien sûr. Mais faut-il ici s'arrêter aux seules circonstances matérielles pour analyser la portée et les ressorts de ce acte? Cet incident s'inscrit dans un phénomène beaucoup plus vaste, celui des vols avec violences, qui ont la spécificité de toucher le psychisme des victimes au plus profond. L'agression du bijoutier ne saurait se résumer au seul préjudice matériel, certainement couvert par son assurance professionnelle, et qui à lui seul, ne suffit pas à expliquer un tel comportement. Les vols d'hier ne sont plus ceux d'aujourd'hui. Arsène Lupin se fait rare. Les vols avec violences sont devenus monnaie courante, même en plein jour, avec souvent de sévères blessures physiques et psychologiques pour les victimes. Le choc psychologique subi par les victimes dans ce cadre est en effet très important, le traumatisme est parfois irréversible, et souvent bien plus long à disparaître que les séquelles physiques. On peut donc comprendre que le bijoutier ait perdu son sang froid, ce n'est pas un comportement normal mais celui de quelqu'un de blessé, au comportement altéré, peut-être a-t-il même reconnu ou cru reconnaître les auteurs de son précédent braquage qui ne remontait qu'à quelques mois. On ne compte plus le nombre de bijoutiers qui sont morts dans l'exercice de leur profession, au même titre que les convoyeurs de fonds, les pharmaciens, les simples commercants, cela aurait pu être son cas à ce moment là ou à un autre.
Il a décidé de mettre un terme, par ce geste désespéré, à son calvaire. Ce n'est pas le geste d'un homme civilisé, jouissant de son plein libre-arbitre, mais celui d'un homme à terre, poussé dans ses derniers retranchements, ravagé par la colère et le désarroi. Par l'impuissance aussi.
Quant au braqueur, multi-récidiviste, combien de victimes a-t-il traumatisé à vie? Doit-on l'oublier? Combien de victimes auraient-elles pu encore croiser son chemin, lui qui n'était, et c'est triste à dire, qu'à l'aube de l'âge adulte? Il a eu maintes fois l'occasion de se rédimer, de prendre conscience du mal qu'il faisait et de changer son comportement. Il s'est, malheureusement, petit à petit, enfermé dans une voie sans issue. Il aurait pu tout aussi bien mourir dans un banal règlement de compte, à cette seule différence que son décès aurait été moins médiatisé. Pourtant sa vie n'en aurait pas eu moins de valeur, pas plus qu'il ne doit exister une "license to kill" accordée aux voyous. Mais sa vie, c'est lui qui la portait. On ne se promène pas avec un fusil à pompe, en espérant s'en sortir indemne à chaque fois. On a plus de raison d'espérer ne pas mettre sa vie en péril lorsque l'on tient un commerce, que l'on travaille durement et honnêtement. On pourra trouver mille raisons à la destinée tragique de ce braqueur, forgée sans doute dès l'enfance, mais la sociologie n'est pas le droit et force est de constater que tous les maltraités de la terre, ceux qui ont connu l'abandon ou le mépris d'autrui, ne sont pas devenus des criminels patentés.
Le droit à la légitime défense existe, consacré par la Code pénal. Bien sûr, ce droit est strictement défini et encadré et doit, fort heureusement, obéir à certaines conditions. En l'espèce, ces conditions ne sont certainement pas réunies et absoudre juridiquement cet homicide (encore trop tôt pour parler de meutre, voire d'assassinat qui suppose une préméditation / c'est l'enquête qui le dira) serait très grave et ouvrirait la boîte de Pandore de toutes les dérives imaginables. Mais force est de constater que les circonstances atténuantes peuvent être retenues. Ce n'est pas un crime de sang froid, mais celui d'un homme profondément blessé, au comportement altéré par la souffrance.
Ne pas chercher à comprendre le cheminement qui peut mener à un tel acte serait aussi criminel que de le perpétrer, car ce serait implicitement permettre qu'il se reproduise. La peur ne doit pas "changer de camp", elle doit tout simplement disparaître, car elle n'est pas l'indice d'une société civilisée, c'est le respect délibéré d'autrui qui doit exister.