A MARCTEY, sur mon précédent billet...
Merci pour votre remarque car elle pointe un élément essentiel du débat, qui est celui de savoir où se trouve la limite de la liberté, et comment on l'encadre. En partant du postulat logique qu'une liberté individuelle totale mène très vite au chaos dès lors que l'on vit en société. L'adage "la liberté des uns s'arrête là où commence celle des autres" ne résout pas le problème, il ne fait que poser les données de celui-ci. Car la question est : où placer la frontière entre la liberté des uns et celle des autres, où s'opère le basculement.
Si je peints la façade de ma maison en rose, mon voisin va trouver cela dégueulasse, un autre trouvera au contraire que cette couleur est du plus bel effet. Chez un autre, le rose symbolise le mal dans sa religion : il sait que je le sais et considère donc cela clairement comme une provocation.
Dans cet exemple, ma liberté créatrice se heurte à la liberté des autres de jouir d'un environnement qui corresponde à leur confort visuel ou leur sens esthétique, voire moral. Comment faire? Se référer à des normes. Mais quelles normes? Ont voit ici que la confrontation de normes individuelles n'aboutit qu'à une impasse et au conflit lorsque l'on vit en société : il faut donc s'entendre pour établir des normes "moyennes", de compromis, où chacun abandonne un bout pour le bien commun, normes qui s'imposeront à tous et dont l'application sera déléguée, par souci de neutralité et efficacité, à une entité extérieure et supérieure à laquelle on se soumet.
Cette entité s'appelle l'Etat. La norme commune : la Loi. Et le processus dynamique de recherche du bien commun qui a abouti à leur mise en place : le contrat social.
Grosso modo, c'est le choix qu'ont effectué les sociétés démocratiques modernes.
Pour en revenir à mon art pariétal domestique : il faudra se référer aux règles d'urbanisme...je suis en zone de protection historique : seul l'ocre jaune est admis. Tant pis pour moi.
Pas de prescriptions colorimétriques particulières : tant pis pour mes voisins rosophobes. Troisième cas, la situation n'est pas claire car il est précisé : "le rouge est admis dans ses différentes déclinaisons colorimétriques y compris par adjonction d'autres couleurs..." Le rouge est la couleur dominante, on ajoute du blanc, ça fait du rose. Oui mais alors on ne voit plus le rouge! Il faudrait doser le blanc?
Dans ce cas chacune des parties a le droit de saisir la justice, chargée d'interpréter une loi obscure, car ici les limites respectives de la liberté ne sont pas claires. Et chacun se soumettra à sa décision, le cas échéant après avoir exercé des voies de recours.
Pour en revenir à la représentation du prophète : les musulmans se sentent offensés car il est interdit de représenter le prophète dans leur religion. Cette interdiction ne peut pas être imposée à quelqu’un qui n'est pas musulman, car ce n'est pas une règle commune et universelle, qui résulterait d'un "pacte social à l'échelle mondiale" ou d'une norme juridique internationale qui trancherait ce problème (un Traité entre Etats concernés).
Je suis au fait de cette prescription religieuse, mais il faut quand même admettre que je puisse être amené à représenter le prophète non pas dans le seul but d'offenser ceux qui y croient, mais pour faire passer un message : cela s'appelle la liberté d'expression.
Autrement dit il semble essentiel de se référer au but poursuivi : il s'agit de blesser gratuitement l'autre, ou d'exprimer une idée? En fait les mouvements de protestation qui émanent en ce moment du monde musulman, sont le fait de personnes qui estiment que tout le monde devrait se soumettre à l'Islam et à ces préceptes. D'ailleurs pour la plupart, ils sont issus des fractions les plus extrémistes. Le but de ce dessin qui fait la nouvelle une de Charlie, est simplement de dire : "en tant que représentant de Dieu, je suis très triste que l'on ait tué des êtres humains en mon nom, et, si ce n'est que cela, je leur pardonne bien évidemment leurs fautes".
Se soumettre ou pas à la norme religieuse d'autrui, tel est le vrai débat.
Même la norme de droit, lorsqu'elle est utilisée uniquement à dessein de nuire, est déviée de sa nature initiale. Et il se trouve régulièrement des personnes condamnées pour procédure abusive ou abus de droit, sur le fondement de l'article 1382 de notre Code Civil.
Mais en dehors de ce cas de figure, elle est une norme commune qui doit être respectée, parfois éclaircie, mais respectée. Et la religion n'est pas une norme commune, en tous cas pas à l'échelle de la France, ni du Monde.
On a le droit de se sentir offensé par la représentation du Prophète, mais pas de considérer que toute le monde doit l'être. On a le droit aussi de faire des choses, tout en sachant que cela va gêner certaines personnes, c'est leur droit d'être gênées, mais c'est aussi mon droit de continuer dès lors qu'aucune règle commune ne me l'interdit.
Quant à cette confidence du Pape, je la trouve assez lamentable, et ne la trouve pas à hauteur de sa fonction. Il est bien loin le temps évangélique où il fallait tendre la joue gauche, puisqu'il est permis aujourd'hui au sein de l'Eglise de donner du poing pour une simple insulte. Et puis l'exemple est très mal choisi, pour ce qu'il évoque l'insulte : proférée uniquement dans le dessein de nuire et d’avilir ou humilier l’autre.
Nous en sommes bien au même niveau que certains extrémistes musulmans. Mais s'agissant de la Papauté, ce n'est pas la première fois.