tyfanie mahé

Abonné·e de Mediapart

3 Billets

0 Édition

Billet de blog 27 mars 2018

tyfanie mahé

Abonné·e de Mediapart

Violences conjugales dans la police

Violences conjugales: un article de Sophie Boutboul les femmes de gendarmes et de policiers ont le plus grand mal à faire valoir leurs droits

tyfanie mahé

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Violences conjugales: les femmes de gendarmes et de policiers ont le plus grand mal à faire valoir leurs droits

27 mars 2018 Par Sophie Boutboul

Les femmes de policiers ou de gendarmes violentées par leur conjoint osent peu signaler ce qu’elles subissent. À la crainte de ne pas être crues, s’ajoutent bien souvent les menaces du mari d’étouffer la procédure avec l’aide de collègues. Si plainte il y a, certaines se retrouvent avec des procès-verbaux omettant des faits, et face à des professionnels réticents à mettre en cause leurs collègues.

Mi-septembre 2017, Marion V. est convoquée, avec son ex-conjoint policier, pour un rappel à la loi pour violences réciproques, devant un des délégués du procureur de Paris. Le parcours qu'elle décrit est pourtant celui d'une femme victime de violences conjugales.

Au café où elle attend l’heure du rendez-vous avec son avocate, elle aperçoit son ex-compagnon à travers la vitre. Des larmes lui montent aux yeux. Elle repense aux pressions permanentes, aux menaces de mort, pour lesquelles elle a encore déposé une main courante il y a deux semaines. « À chaque fois que je le vois pour qu’il passe du temps avec notre fils, il est insultant et menaçant, donc je m’arrange pour être toujours accompagnée d’une amie », signale la trentenaire.

À la fin des 20 minutes d’audience, le délégué du procureur lance : « Monsieur, Madame, il faut faire attention, en plus Monsieur, vous devez savoir ce qu’est la loi, surtout avec votre profession. » Marion V. est écœurée de cette réponse de la justice, au vu de ce qu’elle a traversé.

En avril 2017, après un appel au 3919, le numéro d’écoute destiné aux femmes victimes de violences, Marion V. est dirigée vers l’avocate pénaliste Isabelle Steyer. Elle a déjà déposé trois mains courantes contre son conjoint officier de police judiciaire (OPJ) à Paris. Cela fait plus d’un an qu’elle affirme subir des violences.

« Lors des mains courantes, j’ai raconté les fois où il m’a frappée, secouée et cognée contre un mur alors que j’étais enceinte, où il m’a balancée contre le frigo, puis plus tard, les insultes à notre fils, les “tu fermes ta gueule” quand, bébé, il pleurait la nuit. Le quotidien devenait très compliqué car j’étais effrayée qu’il soit informé des mains courantes par des collègues », relate-t-elle, les mains crispées.

Marion V. part alors plusieurs fois chez sa famille puis revient au domicile, terrifiée. En mai, le conjoint de Marion V. tente de l’étrangler : « Il m’a attrapée à la gorge alors qu’il avait notre fils dans les bras. Je lui ai dit que j’allais déposer plainte. Lui, dans une impunité totale, m’a répondu : “Tu ne connais rien à la loi. Si tu portes plainte, tu vas voir ce qui va t’arriver. T’as pas les moyens de te défendre.” »

Quand elle entre dans le commissariat de l'arrondissement parisien où vit le couple, et qui n’est pas celui où son compagnon exerce, elle y croise son conjoint. Une fois dans un bureau avec une policière, elle se rend compte que cette dernière communique avec l’officier qui s’entretient avec son compagnon : « Elle a reçu un SMS pendant que je lui parlais et m’a dit : “Le collègue va aussi porter plainte”, se référant à mon conjoint. »

L’officier qui entend l’homme vient alors dans le bureau où Marion V. témoigne : « Il m’a dit : “Qu’est-ce que vous allez faire pour votre enfant ? Monsieur veut que ça se passe bien.” » Marion V. indique dans sa plainte que les gardiens de son immeuble sont témoins des insultes proférées par son compagnon, mais la policière ne prend pas leurs coordonnées. Sa plainte sera classée.

« Quand dans une plainte, on nous parle d’un témoin, il est obligatoire qu’il soit convoqué, sinon c’est une erreur dans la procédure », précise Ophélie Bruyenne du syndicat UNSA Police. À la suite de sa plainte, Marion V. quitte définitivement le domicile. Le premier soir, elle dort à son travail puis loge plusieurs mois avec son fils dans un foyer de mise à l’abri mère-enfant, avant de s’installer dans un logement social.

« Le délégué du procureur a parlé de violences mutuelles alors que ce devrait être des violences conjugales de Monsieur sur Madame, pointe MSteyer. Lorsque vous êtes étranglée, c’est vital de se débattre, on ne peut pas considérer que cela veuille dire que Madame a été auteure de violences sur Monsieur. Et comme la plainte est classée, je n’ai même pas pu présenter ses certificats médicaux, ils sont invalidés. »

Marion V. questionne son avocate : « On peut plus rien faire ? » Isabelle Steyer répond : « Il faudrait que vous écriviez au parquet, avec cela on peut avoir l’espoir qu’il rouvre l’enquête et qu’il saisisse l’IGPN [Inspection générale de la police nationale]. L’idée serait de faire un dossier avec vos ITT [incapacités totales de travail], vos mains courantes, votre plainte et le témoignage de la voisine. » Marion V. a sollicité depuis l’association Paris aide aux victimes (PAV75) pour être accompagnée dans la démarche. Sa voisine, qui a assisté à des violences physiques, a témoigné auprès de l’association. Le dossier a finalement été transmis au procureur.

Marilyn Baldeck, déléguée générale de l’association européenne contre les violences faites aux femmes au travail, remarque un point commun entre les auteurs d’agressions : « La violence est toujours une question de pouvoir, d’assujettissement. L’uniforme, l’arme et le fait que les policiers et gendarmes soient garants de l’ordre public les placent notamment en situation de puissance. Il y a en plus une présomption de bonne foi de leur parole. Les femmes violentées intègrent ce que leur compagnon leur dit, que c’est lui qui sera cru, qu’il va intercéder dans la procédure… »

« Un policier ou un gendarme sait comment ruiner une procédure »

L'avocate Isabelle Steyer affirme recevoir chaque mois deux cas de femmes de policiers ou de gendarmes. « Beaucoup renoncent à la dénonciation car elles pensent qu'elles n'y arriveront pas. Quand plainte il y a, on retrouve le même mode de défense des policiers ou gendarmes. Le monsieur va “contaminer” l'équipe du commissariat en disant “je suis victime d'une folle…”, et souvent porter plainte lui aussi. Il y a un déséquilibre car on va d'abord croire le représentant de la loi. Cela joue dans la procédure puisque l'enquêteur qui prend la plainte appelle le procureur pour lui donner son sentiment sur le dossier. »

Pour Alizé Bernard, victime de violences conjugales de son conjoint gendarme, dont Mediapart raconte l'histoire ici, le sentiment de l'adjudant-chef qui a joint le procureur a bel et bien joué dans la procédure. Il avait auditionné le couple. Quand le jour suivant, Alizé Bernard a voulu déposer plainte, cela n'était plus possible. Le procureur avait déjà décidé d'une composition pénale avec amende de 250 euros (une mesure alternative aux poursuites). « La décision du parquet s'est appuyée sur le compte-rendu de ce gradé, qui lui a dépeint une situation minorée par rapport à la réalité des faits », reconnaît le lieutenant-colonel Philippe Marestin, du service d'information des armées.

Ces faits désolent un policier parisien, qui souhaite rester anonyme, mais ne l'étonnent pas tant : « Un policier ou un gendarme connaît la procédure et sait comment la ruiner en allant parler aux collègues, soutient-il. Contrairement à d'autres pays [lire sous l'onglet Prolonger de cet article], en France, il n'y a pas d'études sur les violences conjugales chez les forces de l'ordre. L'administration est frileuse pour documenter cela, alors que la question se pose de savoir s'ils ne ramènent pas la violence de leur travail à la maison. Je ne pense pas qu'être policier crée un mari violent mais cela va peut-être aggraver des facteurs qui existent déjà. Ensuite, la justice a du mal à condamner les forces de l'ordre car on fait partie de la même chaîne pénale, on représente l'État. »

À l'Institut en santé génésique (ISG)-Women Safe, centre pluridisciplinaire à Saint-Germain-en-Laye qui accompagne des victimes de tout type de violences, les intervenants sociaux et juristes estiment que les cas de femmes de policiers ou de gendarmes violentées sont sous-estimés. Ces femmes déposent encore moins plainte que la moyenne, selon eux. Parmi les 223 000 femmes victimes de violences conjugales en France, seules 14 % portent plainte et 8 % effectuent une main courante.

L'équipe de l'ISG a suivi une victime de violences d'un conjoint policier. « Il la dévalorisait sans cesse, l'humiliait. Elle nous disait : “J'ai peur, il se balade tout le temps avec son arme de service”, retrace la directrice adjointe de l'ISG Axelle Cormier. Quand elle a voulu partir, il lui a dit qu'il aurait dû lui “vitrioler la gueule”. Son mari étant policier, elle a réalisé un renseignement judiciaire en gendarmerie, alors que lui continuait de la violer régulièrement. Elle n'a toujours pas réussi à se détacher de son emprise. »

Alexia Delbreil, psychiatre et médecin légiste au CHU de Poitiers, où elle reçoit les victimes après leur dépôt de plainte, note une similitude pour les quelques cas de maris policiers ou gendarmes qu'elle reçoit : « Ceux que je vois ont aussi porté plainte contre leur femme et essaient de faire valoir une pathologie mentale de celle-ci en nous disant “elle est hystérique, j'ai été obligée de lui mettre une claque, de la tenir fort pour la calmer”, excusant ainsi leur propre geste. »

Dans un hôpital public de Seine-Saint-Denis, une psychologue a tenu à raconter à Mediapart – sous anonymat, vu son devoir de réserve – le cas marquant d'une femme que son mari, policier dans le département, avait placé en hospitalisation à la demande d'un tiers en service de psychiatrie en 2015. « La dame n'était ni délirante, ni atteinte de troubles du comportement, décrit la psychologue. C'était une femme violentée, qui avait des traces de coups sur tout le corps. Elle n'avait rien à faire en psychiatrie. Elle était victime d'un pervers, qui avait déjà dans l'idée de la faire hospitaliser puisqu'il avait dit, dès la première fois aux urgences, qu'elle avait des idées suicidaires. »

Deux jours plus tôt, la patiente trentenaire était venue aux urgences dans la nuit et ressortie avec un certificat pour coups et blessures pour « un traumatisme nasal par chute sur une marche d'escalier dans un contexte de violences conjugales ». « Elle n'a jamais porté plainte à la police, son mari étant policier. Elle est isolée, a peu de contacts avec sa famille », concluait l'équipe médicale.

Quatre jours après son hospitalisation en psychiatrie, la mesure de contrainte était levée, et la patiente hospitalisée en gynécologie de manière anonyme pour éviter que son mari ne la retrouve. Un officier de police judiciaire est venu prendre sa plainte sur place mais ne lui en a pas laissé de copie. La psychologue a alors contacté l'IGPN pour suivre l'affaire : « J'ai demandé si c'était normal qu'elle n'ait aucune copie du récit de sa plainte et des certificats médicaux, tous récupérés par la police, alors que son mari était lui-même policier dans le département. Ils m'ont juste répondu qu'elle pouvait demander une copie. »

« Elle aurait terminé en psychiatrie, si on n’avait pas été vigilants »

Dans le cas de signalements faits par les usagers, l’IGPN peut diligenter des enquêtes. Cela ne semble pas avoir été le cas ici puisque la psychologue n'a jamais eu de nouveau contact avec l'inspection.

Cette femme sortira de l'hôpital un mois plus tard. « Elle aurait pu terminer en psychiatrie, shootée aux neuroleptiques, si on n'avait pas été vigilants, s'indigne la psychologue. Elle est venue à quelques rendez-vous, puis plus du tout. Je ne sais pas si elle est toujours avec son mari. Ces femmes restent souvent sous l’emprise du conjoint, il y a une pression mise sur elles par le métier qu’il exerce. Après les urgences, on les revoit rarement. »

Viviane Monnier, présidente de l'association Halte Aide aux femmes battues, s'alarme que les forces de l'ordre puissent avoir accès aux informations de sécurité sociale de leur conjointe, au changement d'adresse. Elle regrette qu'il ne soit pas possible en France de changer de nom pour des personnes en danger : « Les policiers ou gendarmes obtiennent facilement les données de la CAF, peuvent tracer les ex-conjointes où qu’elles aillent, avec l’appui de collègues. Quand on reçoit une dame victime d’un auteur qui exerce une fonction au sein de l’armée ou de l’intérieur, nous sommes beaucoup plus vigilants à ce que les noms n’apparaissent pas dans le dossier. »

Frédérique B., 51 ans, a vu plusieurs de ses mains courantes et plaintes rester sans conséquences. Elle a donc saisi le défenseur des droits le 12 octobre 2017. Elle dit avoir vécu seize ans de harcèlement moral de la part de son ex-compagnon policier, qui serait aussi l'auteur de violences physiques à son encontre. « J’ai eu un enfant avec un policier violent, je l’ai quitté. Notre fille était alors bébé. J’ai subi menaces, chantages et pressions. Le parquet a classé sans suite mes plaintes pour harcèlement. Ce policier a abusé de son statut pour me harceler et a bénéficié de l’inertie de sa hiérarchie », écrit-elle au Défenseur des droits.


La première main courante de Frédérique B. date de 2001, quand elle décide de quitter son conjoint quelques mois après la naissance de leur fille : « Quand je suis tombée enceinte, il est devenu méchant, il me faisait tous les jours des remarques humiliantes sur mon apparence, puis les violences physiques se sont déclenchées. Il me plaquait au mur en faisant des clefs de bras, une fois il m’a donné un coup de pied m’éjectant de notre lit, puis le coup de trop a été un gros coup de poing sous mon épaule, qui m’a laissé un hématome pendant quinze jours. »

Lire aussi

Quand elle dépose cette main courante pour informer de son abandon de domicile, elle fait part au policier des violences. Elle lui précise qu'elle n'a pas fait de certificat médical attestant des coups. Le policier ne l'oriente alors ni vers une plainte, ni vers un constat des blessures en unité médico-judiciaire.

Frédérique B. se réfugie chez ses parents. « Mon conjoint me faisait peur, il me disait “les flics, c’est moi qu’ils croiront et notre fille, tu ne la reverras jamais”, il me téléphonait sans cesse, me menaçait, se remémore-t-elle. Devant le juge aux affaires familiales, mon avocate de l’époque m’a dit de me taire sur les violences subies et d’accepter la proposition de garde de monsieur en ma faveur. » Par la suite, Frédérique B. saisit plusieurs fois l'Inspection générale des services, ex-branche parisienne de l'IGPN, pour dénoncer les menaces. Elle écrit à la préfecture de police qui lui répond que « s’agissant d’un litige à caractère privé, il ne [leur] est pas possible d’intervenir ».

Depuis 2013, 70 procédures disciplinaires ont été engagées par l'IGPN pour des faits de violences conjugales. Soixante-sept d'entre elles ont abouti à des sanctions, pour moitié d'exclusion temporaire (un à quinze jours, trois mois à deux ans), le reste allant de l'avertissement aux mises à la retraite ou révocations. « Les violences sur conjoints se combinent souvent avec d’autres manquements. On ne les traite pas à la légère et les policiers ont souvent une sanction administrative et judiciaire », assure le service de communication de la police nationale.

Certains, au sein même de la police, remettent en cause la partialité de l'IGPN. Gaëtan Alibert, référent violences conjugales au commissariat du XXe arrondissement de Paris, secrétaire du syndicat SUD Intérieur, milite pour le remplacement de l'IGPN par une autorité indépendante composée de policiers, d'avocats, de magistrats, d'universitaires et de citoyens.

« Une administration qui se contrôle elle-même ne peut être impartiale, estime-t-il. Une instance indépendante dans chaque région permettrait peut-être aux femmes victimes d’avoir moins peur de la saisir. Par exemple, un des soucis, quand un policier va auditionner un collègue soupçonné d’être auteur de violences conjugales, c’est qu’il y a un risque d’empathie. Ce risque est encore plus important si le policier mis en cause dit “je travaille dans tel quartier chaud, on m’avait caillassé la veille donc oui, ce jour-là, j’ai mis une petite claque à ma femme.” »

Créer une autorité indépendante

L'IGGN (Inspection générale de la gendarmerie nationale) n'effectue, quant à elle, aucun suivi statistique des sanctions prises contre des gendarmes pour des violences conjugales. L'instance n'a pas souhaité communiquer à Mediapart son rapport d'activité, précisant qu'elle ne tenait aucun décompte des violences conjugales. Kevin Jorcin, maréchal des logis chef, vice-président de l'association professionnelle des militaires de la gendarmerie du XXIe siècle, Gend XXI, explique le système censé être mis en place :

« Normalement, dès que des violences conjugales touchent un collègue, l’unité limitrophe est saisie du dossier. Pour les cas plus graves avec coups et blessures, le commandement de compagnie peut décider de saisir la brigade de recherche au niveau départemental, voire régional. Le fait de délocaliser l’affaire permet de préserver les militaires amenés à enquêter – parce que je ne vous dis pas l’ambiance que ça met d’enquêter sur ses collègues – mais aussi de garantir une enquête impartiale aux victimes. »

Dans les faits, cela n'est pas toujours aussi simple. Et Kevin Jorcin d'ajouter : « Nous avons un problème au niveau de la déontologie et du secret professionnel de nos assistants sociaux, qui sont sous l’autorité d’un militaire dans la caserne. Les victimes de violences vont peu se confier à eux, de crainte que ce ne soit pas confidentiel. Ce serait souhaitable qu’ils soient indépendants. »

À Fort-de-France, le bureau des enquêtes judiciaires de l'IGGN a entendu une femme de gendarme dans une histoire de violences conjugales qui a secoué l'île pendant plusieurs années. Tout commence en décembre 2010, lors d'une intervention des gendarmes de permanence au domicile de leur supérieur. Selon leur enquête de flagrance que Mediapart s'est procurée, les gendarmes disent alors trouver sa femme « visiblement calmée, ne paraissant pas disposée à communiquer ». Mais ils décrivent ainsi la scène impliquant leur supérieur : « À la suite d’une crise d’hystérie de son épouse, il vient d’être contraint de l’évacuer sur le palier et envisage de la faire hospitaliser. »

Madame V. se retrouve aux urgences psychiatriques plusieurs jours. Un psychiatre – qui a évalué qu'elle ne souffrait d'aucun trouble psychiatrique – l'encourage à contacter l'association Union des femmes de Martinique (UFM) qui aide des centaines de victimes de violences conjugales chaque année. 
« On a compris que c’était la femme d’un haut gradé de la gendarmerie. Elle souhaitait porter plainte pour violences conjugales. On l’a aidée, retrace la présidente de l'UFM, Rita Bonheur. On ne savait pas encore que le monsieur avait déjà déposé une plainte contre elle, le jour même de son hospitalisation. »

Un mois et demi après le dépôt de plainte, le parquet annonce qu'il classe sans suite et que Madame V. fait l'objet d'un rappel à la loi pour dénonciation calomnieuse. L'UFM organise une conférence de presse en février, pour s'étonner qu'il n'y ait ni instruction ouverte, ni enquête de voisinage.

Pourtant, dans sa plainte à sa sortie de l'hôpital complétée par une deuxième plainte devant le bureau des enquêtes judiciaires de l'IGGN dix jours plus tard, Madame V. raconte ainsi la naissance de la violence : « En février 2009, j’ai rencontré Monsieur V. sur Internet. Dès mon arrivée en Martinique, je n’avais pas le droit de voir des personnes autres que ses fréquentations. Il ne m’a jamais frappée, cependant il me poussait, me maîtrisait fortement ou me mettait aussi la tête face contre le canapé provoquant des étouffements. »

Mediapart a réussi à retrouver cette femme de 37 ans qui est repartie vivre dans son pays d'origine, le Vietnam. « Le jour où les gendarmes sont venus chez nous, dit-elle, ils ne m’ont même pas dit bonjour, ils m’ont traitée comme un animal, me laissant pleurer sur le pas de la porte, raconte-t-elle. Ils ont cru tout de suite mon mari et ont décrété que c’était moi qui étais violente dans le couple. Ils ont fait l’enquête dans l’appartement sans moi, sans me demander ma version des faits. Ces gendarmes travaillaient pour mon mari. »

En avril 2011, le gendarme assigne l'UFM et sa présidente, Rita Bonheur, devant le tribunal de grande instance de Fort-de-France, estimant avoir subi une atteinte à la présomption d'innocence et au respect de sa vie privée. La hiérarchie de Monsieur V. juge alors bon de le faire rentrer en métropole plus tôt que prévu. Le lieutenant colonel Karine Lejeune, porte-parole de la gendarmerie nationale, n'a pu infirmer ou confirmer à Mediapart l'ouverture d'une enquête administrative sur le colonel. Elle explique seulement : « Cet officier a fait l’objet d’une “mutation dans l’intérêt du service” en cours d’année. Cette mesure administrative est prise à l’échelon central, lorsqu’il est considéré que le militaire n’est plus en mesure d’exercer ses fonctions et son commandement dans des conditions sereines et optimales. »

La présidente de l'UFM Rita Bonheur, qui a gagné en appel le procès intenté par le gendarme, sait que le travail sera encore long pour aider les femmes : « Dans ces affaires de violences par un conjoint policier ou gendarme, nos professionnels voient beaucoup de refus de plaintes ou de pressions sur les victimes, pour qu’elles ne déposent pas plainte. Et les assistants sociaux en poste en gendarmerie nous font part de leurs difficultés à aider ces femmes car leur responsable est aussi un gendarme. Certaines, à bout, optent pour une solution de la dernière chance : faire comme si elles partaient en vacances, et ne jamais revenir. »

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.