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Billet de blog 19 juin 2023

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Les enfants ukrainiens enlevés et emmenés en Russie doivent être rendus

Des milliers de citoyens ukrainiens mineurs enlevés dans les territoires occupés sont maintenant tenus en otages par le Kremlin.

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La Convention de Genève relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre interdit « les transferts forcés, en masse ou individuels, ou la déportation [de civils]hors du territoire occupé dans le territoire de la Puissance occupante », quel qu’en soit le motif. Les défenseurs des droits humains et les organisations internationales voient dans les actions de la Russie, qui a déporté des centaines de milliers de citoyens ukrainiens entre 2022 et 2023, des élémentsconstitutifs de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité, voire de génocide. Les enfants sont le groupe le plus vulnérable parmi les personnes déportées.

Les unes après les autres, les organisations et institutions internationales ont condamné la Russie pour le transfert illégal d’enfants ukrainiens. Le 17 mars 2023, la Cour pénale internationale de La Haye a émis des mandats d’arrêt contre le président russe Vladimir Poutine et la commissaireauxdroits de l’enfant en Russie, Maria Lvova-Belova, en lienavec la déportation d’enfants ukrainiens vers la Russie.

Le 30 mars, 45 états participants de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) ont ouvert une enquête sur la déportation d’enfantsdepuis les territoires occupés par la Russie,après avoir invoquéle mécanisme de Moscou de l’OSCE, qui vise à enquêter sur des allégations de violations graves des engagements des états participants. Le premier rapport, publié le 4 mai, reconnaît« des violations nombreuses et persistantes des droits de l’enfant, notamment le droit à l’identité, le droit au respect de la vie familiale, le droit à l’éducation, le droit d’accès à l’information, le droit au repos, aux loisirs et aux activités culturelles et artistiques, ainsi que le droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion,le droit à la santé et le droit à la liberté et à la sureté ».

Le 27 avril, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe a déclaré que les actions de la Russie sont constitutives d’un génocide. « Les faits documentés de déportations et de transferts forcés d’enfants ukrainiens entrent dans le champd’application de la Convention sur le génocide de 1948, dont l’article IIdispose que le transfert forcé d’enfants dans l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux constitue un crime de génocide. »

Ce crime doit être puni. Toutefois, il faudra des années, voire des décennies, pour que les hommes politiques et les fonctionnaires russes, impliqués dans l’enlèvement d’enfants ukrainiens soient poursuivis en justice. Pourtant, chaque jour compte. Les enfants doivent être rendus maintenant. Les occupants ont enlevé des pensionnaires d’orphelinats, d’internats et d’institutions médicales, des enfants accompagnés par leurs parents etenlevésde force, sous la pression ou par la tromperie. Souvent, l’enlèvement d’enfants a lieu sous couvert de « réhabilitation » dans des camps de repos, où les enfants sont placés, mais qui ressemblent plutôt à des prisons. Les défenseurs des droits humains affirment que les enfants sont confrontés à des conditionsde vie déplorables: barbelés, sol nu en ciment, linge sale, nourriture de mauvaise qualité, absence de chauffage, ainsi qu’à un lavage de cerveau prodigué par la propagande russeet à des punitions corporelles s’ils parlent ukrainien. On leurapprend à aimer la Russie et à haïr l’Ukraine.

Certains enfants ont été emmenés dans les zones occupées des régions de Donetsk et de Louhansk et en Crimée, d’autres encore, dans les régions russes proches de la frontière ukrainienne. Plus tard, les enfants sonttransférés dans des endroits plus éloignés — au-delà de l’Oural, en Sibérie et au Caucase. La propagande russe qualifie ces actions d’ « évacuation », de « sauvetage des enfants pendant la guerre » et d’« affaires intérieures » (puisqueles terres ukrainiennes occupées sont déclarées « nouvelles régions de la Russie », ce qui viole le droit international). La citoyenneté russe est imposée aux enfants ukrainiens et à leurs parents sur ces territoires. De nouveaux documents d’identité sont délivrés selon une procédure simplifiée. Les enfants sont alors privés de leur identité ukrainienne pour être assimilés et transformés en citoyens russes. Les orphelins séparés de leurs parentset déportés sont ensuite« adoptés » ou « placés sous tutelle »dans des familles d’accueil en Russie, qui en font parfois tout un spectacle — comme dans le tristement célèbre casde Maria Lvova-Belova, qui s’est vantée d’avoir « adopté » un garçon enlevé àMarioupol.

L’Ukraine et la communauté internationale ne reconnaissent pas les passeports russes délivrés aux déportés et aux Ukrainiens des territoires occupés. Cependant, il ne sera pas facile de rendre à l’Ukraine les enfants que l’État agresseur a proclamés ses citoyens.Personne ne sait le nombre total d’enfants ukrainiens déportés illégalementen Russiedepuis le 24 février 2022. Le Bureau national d’information du ministère de la Réintégrationdes territoires temporairement occupés de l’Ukraine a identifié 16 200 enfants enlevés. Le commissaire aux droits de l’homme du Parlement ukrainien, Dmytro Lubinets, estime que le nombre d’enfants enlevés se situerait plutôt entre 100 000 et 150 000. La commissaire présidentielle aux droits de l’enfant, Daria Gerasymchuk, avance un chiffre plus élevé encore, avec 200 000 à 300 000 enfants enlevés. Àprésent, seulement quelques centaines d’enfants ont été renvoyés sur le territoire de l’Ukraine. La Russie a accepté d’en renvoyer une cinquantaine d’autres « sous réserve des garanties de sécurité ». Ce n’est qu’une goutte d’eau dans l’océan.

Une famille de Marioupol avec deux enfants se trouvait dans la ville au moment de l’invasion russe de l’Ukraine. Fin mars, le garçon, Sashko, a essuyé des tirs et a été blessé à l’œil. Il a couru pour sauver sa sœur de trois ans.

« Nous étions dehors près du barbecue. Les tirs ont commencé et nous nous sommes cachés entre les garages. D’un coup, je me suis souvenu que ma sœur était chez notre voisine. J’ai couru chercher ma sœur, ma mère était là. J’ai couru vers l’entrée et il y a eu une explosion ». La famille a trouvé un endroit, où le garçon a reçu des soins médicaux. De là, ils ont été capturés par l’armée russe.« Ils nous ont emmenés dans des hangars. Là, il n’y avait quedes militaires. Puis, ils nous ont pris nos téléphones et, le lendemain, ils nous ont emmenées, ma mère et moi, à Bezymenne. Ils l’ont interrogée pendant environ trois heures. Je suis resté là à attendre, puis elle a été escortée dehors. Ensuite,le service des enfants de Novoazovsk est venu et m’a emmené. Ils ont dit que ma mère viendrait probablement dans trois jours. J’ai attendu, mais elle n’est jamais venue », raconte Sashko. Le garçon a été emmené dans un hôpital de la ville de Donetsksous le contrôle russe.« Ils m’ont demandé où était ma mère, où était ma famille. Je leur ai dit que j’avais une grand-mère, que ma mère avait été enlevée et que mon beau-père était à la guerre. Ensuite j’ai réussi à contacter ma grand-mère. J’ai pris le téléphone de mon camarade de chambre et j’ai appelé ma grand-mère. Je lui ai raconté tout ce qu’il s’était passé. Je voulais qu’elle m’emmène loin d’ici le plus vite possible », se souvient le garçon. Pendant ce temps, sa grand-mère, qui vivait dans la région nonoccupée de Tchernihiv, a demandé de l’aide aux autorités, a rassemblé des documents et s’est rendue à Donetsk pour retrouver son petit-fils. Après avoir passé plusieurs postes de contrôle russes et traversé la Pologne, la Lituanie, la Lettonie et le territoire occupé de Donetsk, elle a réussi à ramener son petit-fils en Ukraine. Aujourd’hui, le garçon est retourné à l’école.Malgré une opération de chirurgieophtalmologique, il n’a pas encore retrouvé la vue. Sa grand-mère n’a aucune information concernant la sœur de Sashko et sa mère.

Le processus de retour est sporadiquemalgré les efforts du commissaire parlementaire aux droits de l’homme, des ONGs, ainsi que des parents et des proches qui se rendent en Russie pour demander le retour de leurs enfants. La Russie refuse toute propositionvisant la mise en place d’un mécanisme bilatéral de retour des enfants déportés. Il est possible que les enfants ukrainiensdeviennent un jour un argument de négociations, que Moscou essaiera d’utiliser contre des conditions plus favorables pour mettre fin à la guerre. En attendant, les enfants ukrainiens transférés illégalement sont les otages de la Russie.

Mais les espoirs du pays agresseur sont vains. L’Ukraine ne troquera ni ses citoyens, ni ses territoires, ni sa souveraineté. Actuellement, l’Ukraine a besoin du soutien de la communauté internationale pour pouvoir ramener tous les enfantsukrainiens transférés en Russie sur le territoire libre de l’Ukraine dès que possible, quelles que soient les circonstances dans lesquelles ils ont été emmenés en Russie ou sur les territoires occupés. L’enlèvement d’enfants ukrainiens, la privation de leur liberté et la violation de leurs droits devraient donner lieu à des sanctions plus sévères à l’encontre de la Russie et de ses complices.

Malgré tous les efforts de la Russie pour imposerson agenda, le monde comprend qu’il ne s’agit pas d’une « évacuation », d’une « réhabilitation » ou d’une« opération sauvetage pendant la guerre » (réaliséepar la Russie sur le sol ukrainien pacifique), ni de l’obtention volontaire de la nationalité russepar lesenfants ukrainiens. La privationarbitraire de la citoyenneté parune puissance occupante ou la naturalisation forcée (ou passeportisation) sont interdites par la Convention (IV) de La Haye concernant les lois et coutumes de la guerre surterre et son annexe. Les enfants des territoires occupés par la Russie ont été, sont et resteront ukrainiens. Bien que se trouvant sur le territoire de la Russie, ils restent victimes de l’agression russe. C’est à l’Ukraine qu’il incombe de les protéger et de veiller à leur sécurité, et le pays devrait avoir en avoir l’opportunité.

A leur retour, la réhabilitation de ces enfants sera une autre tâche extrêmement difficile. L’organisation caritative « Voices of Children » travaille à l’élaboration d’un mécanisme de réhabilitation et le proposera aux agences gouvernementales qui s’occupent de la protection des enfants victimesde la guerre. Mais pour que nous puissions commencer ce travail, le retour de tous les enfants ukrainiens déportés en Russie et dans les territoires occupés doit devenir une exigence commune de l’ensemble du monde civilisé.

Andriy Chernousov, membre du conseil d’administration de la fondation« Voices of Children », défenseur des droits humains

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