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Billet de blog 20 juillet 2023

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Wagner: l’instrument de vengeance de Poutine contre l’Occident

Les potentielles futures provocations armées du groupe Wagner, qui vient de défier Poutine, pourraient affecter les intérêts de la France en Afrique.

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La rébellion d’Evgueni Prigojine, le fondateur de la société militaire privée Wagner, aussi appelé ironiquement le « chef cuisinier » de Poutine en référence à son passé dans la restauration, restera dans l’histoire des rébellions russes.L’impuissance de Poutine et l’incroyable rapidité avec laquelle les événements se sont déroulés ont particulièrement frappé les observateurs extérieurs. Prigojine a annoncé la fin de la rébellion à l’instant où l’Occident venait de tirer la sonnette d’alarme, craignant que des armes nucléaires ne tombent entre de mauvaises mains. Cependant, il est possible que des événements encore plus inquiétants pour l’Europe restent à venir, qui impliqueraient les Wagnériens, c’est-à-dire les membres de Wagner.

Les affrontements armés entre les forces de sécurité ne sont pas un phénomène nouveau pour la Russie. Au cours de l’agression armée dans les régions de Donetsk et de Louhansk, plusieurs confrontations sérieuses, impliquant parfois l’utilisation d’artillerie et d’équipements lourds, se sont déroulées, ainsi que des tentatives d’assassinat de dirigeants, soutenus par des services de renseignement russes rivaux : d’un côté, le Service fédéral de sécurité, et de l’autre, la direction générale des renseignements de l’État-Major. Mais cela ne les a jamais empêchés d’agir ensemble contre l’Ukraine. La performance de Wagner, bien que spectaculaire et menaçante, n’est pas allée jusque défier personnellement Poutine. En effet, les membres de Wagner ne se sont pas proclamés gouvernement alternatif, et Prigojine n’est pas devenu le tsar autoproclamé de la Russie.

Le prélude à la rébellion était déjà en cours depuis janvier, lorsque Prigojine avait ouvertement critiqué le ministre de la Défense, Sergei Choïgou, et le chef d’État-major général, Valeri Gerassimov. Le chef de Wagner s’est adressé à plusieurs reprises à Poutine par l’intermédiaire de la presse et de lettres ouvertes, qualifiant les décisions de Choïgou et de Gerassimov d’insensées et même, de nuisibles à la Russie. Finalement, Choïgou a interprété l’absence de réponse de Poutine à ces appels comme une carte blanche pour toute action contre Wagner et a ordonné à tous les mercenaires de signer des contrats avec le ministère de la Défense. C’est la goutte d’eau qui a fait déborder le vase pour les Wagnériens.

Il ne fait aucun doute que la prise de Rostov-sur-le-Don et de l’État-major,qui s’y trouvait temporairement, puis l’avancée rapide de Wagner vers Moscou, qui n’a été stoppée qu’au prix d’un compromis, ont à la fois offensé et choqué Poutine. Le dictateur russe n’est pas du genre à pardonner les insultes, mais il est prêt à subir des humiliations si cela lui permet d’atteindre ses objectifs. N’oublions pas qu’il a été le premier à soutenir inconditionnellement Recep Tayyip Erdogan lors du coup d’État militaire de juillet 2016, alors qu’il avait auparavant ouvertement qualifié le président turc de « terroriste complice » pour avoir abattu un avion militaire russe en Syrie. De toute évidence, Prigojine n’est pas Erdogan. Mais il dispose d’une ressource précieuse dont Poutine a besoin.

Au cours de l’année écoulée, les combattants deWagner ont été le plus souvent vus comme les prisonniers de guerre, qui, menacés de mort par les unités chargées de tirer sur ceux qui battent en retraite, combattent les positions ukrainienneset servent de chair à canon au cours des assauts près de Bakhmout. Cependant, il ne faut pas oublier que Wagner est l’ancienne élite des services spéciaux et des forces armées russes. Il s’agit d’officiers et de sous-officiers, qui préféraient l’argent et la vie dans les tranchées aux casernes, aux chefs stupides et aux exercices militaires absurdes.

La mutinerie de Prigojine a montré que Wagner pouvait prendre le contrôle d’une ville d’un million d’habitants en seulement quelques heures, désarmer et neutraliser les troupes régulières, et rallier de potentiels adversaires. Les hommes de Wagner n’hésitent pas à utiliser des civils comme boucliers humains pour atteindre rapidement leurs objectifs. Leshélicoptères et avions russes abattus au cours de la marche sur Moscou ont montré que les mercenaires ne craignentmême pas l’aviation militaire. En bref, Wagner est un atout trop puissant et d’une qualité trop appréciée pour qu’on l’élimine sur un simple acte de désobéissance.À présent, les mercenaires vont vraisemblablement être libérés de leurs obligations contre l’Ukraine. Mais pas des ordres du Kremlin.

Poutine s’est entretenu avec le président autoproclamé de la Biélorussie, Alexandre Loukachenko, qui a réussi à proposer une alternative pacifique à Prigojine. La Biélorussie va donc devenir le lieu de « l’exil honorable » de Prigojine, et peut-être de sa société militaire privée.

L’ancien chef d’État-major britannique Lord Richard Dunnath a indiqué que le déploiement des meilleures unités de Wagner en Biélorussie pourrait accroître la menace qui pèse sur l’Ukraine depuis le nord. Cependant, la frontière nord de l’Ukraine n’est plus ce qu’elle était en février 2022. Au cours de l’année et demie écoulée, l’armée ukrainienne s’est bien préparée à une éventuelle offensive sur ce versant.

En outre, la Biélorussie pourrait devenir un point de transit pour les Wagnériens, où ils pourraient facilement obtenir des documents attestant d’une nouvelle citoyenneté et de nouveaux noms. La voie vers l’Europe leur serait alors ouverte, par exemple, vers la Serbie via le Kazakhstan ou la Turquie, et vers l’Afrique.

Poutine pourrait suivre la logique de la guerre hybride et causerde sérieux problèmes aux dirigeants européens avant l’important sommet de l’OTAN à Vilnius, qui aura lieu les 11 et 12 juillet, en frappant les partisans de l’adhésion de l’Ukraine à l’alliance militaire. En effet, la Pologne, la Lituanie, la Lettonie, l’Estonie et même, la France, envisagent de soutenir l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN. Poutine pourrait alors se montrer vindicatif et fourbe.

Emmanuel Macron devrait vraiment s’inquiéter de la fin de la rébellion wagnérienne. Pour le sommet Russie-Afrique prévu en juillet, Poutine tient à apparaître comme un dirigeant ayant une grande influence sur les affaires africaines. En juin, le président russe s’est déjà longuement entretenu avec le président algérien Abdelmadjid Tebboune et a rencontré une délégation de dirigeants du Sénégal, de la Zambie, de l’Ouganda et de l’Afrique du Sud. Les présidents de certains de ces États ne refuseraient pas les services de mercenaires de Wagner pour réprimer l’opposition dans leur pays et attaquer les états voisins avec lesquels ils ont des conflits de longue date.

Poutine profiterait alors avec plaisir de l’intention de Macron de réduire l’effectif de son contingent militaire présent en Côte d’Ivoire, au Sénégal et au Gabon. Ces deux derniers pays exportent du pétrole, ce qui les rend d’autant plus attrayants pour Poutine et Prigojine. La République centrafricaine et le Mali restent donc des bases commodes pour préparer des opérations de déstabilisation dans les pays voisins.

La situation de la Pologne et de la Lituanie devient également inquiétante. Ces pays ont audacieusement défié Poutine avant même l’invasion à grande échelle de l’Ukraine par l’armée russe. Leur aide et leurs efforts diplomatiques sont une épine dans le pied du Kremlin. Par conséquent, les services de renseignement russes pourraient tenter de perturber le sommet de Vilnius, et les mercenaires de Wagner sont tout à fait adaptés à une opération sous fausse bannière, une provocation armée à la frontière qui mettrait en péril la sécurité des participants au sommet. Une telle provocation montrerait que Poutine est prêt à faire monter les enchères, et les armes nucléaires tactiques que la Russie a déjà déployées en Biélorussie serviraient de protection contre d’éventuelles représailles.

Cependant, un autre trait de caractère de Poutine est apparu lors de la rébellion de Prigojine, la lâcheté. Il est donc probable qu’il essaiera d’amener les autres à agir selon ses propres intérêts, même là où il n’est pas directement menacé. Cela signifie que le monde entendra encore parler longtemps du groupe Wagner.

Petro Burkovskyy, Directeur exécutif du Ilko Kucheriv Democratic Initiatives Foundation

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