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Billet de blog 20 septembre 2023

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L’Église comme arme: Le réseau d’agents sacerdotaux russes en Ukraine et dans l’UE

Les agents russes ne se contentent pas d’espionner, mais organisent également des actes de sabotage. Ils constituent un problème pour de nombreux pays occidentaux.

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Les agents russes ne se contentent pas d’espionner, mais organisent également des actes de sabotage. Ils constituent un problème pour de nombreux pays occidentaux. L’ancienne militaire américaine, Sarah Beals, qui avait divulgué des documents des services de renseignement américains partiellement falsifiés dans l’intérêt de la Russie, et l’organisateur de rallyes, Boulat Ianborissov, récemment démasqué en France, en sont l’exemple. Au printemps 2022, l’Espagne a également expulsé 25 « diplomates » russes soupçonnés d’espionnage. À l’époque, le ministre des Affaires étrangères, José Manuel Albares, avait déclaré que ces « diplomates » menaçaient les intérêts nationaux.

La Russie tente d’influencer la société ukrainienne depuis plus de trente ans au travers d’agents russes agissant parmi les diplomates, les personnalités publiques, les médias et les militaires. Les Russes ont également construit tout un réseau grâce à l’Eglise pour préparer une invasion armée, collecter des renseignements et propager les idées du Kremlin. Son nom officiel est l’Église orthodoxe ukrainienne (UOC), bien qu’elle soit subordonnée au Patriarcat de Moscou et fasse partie de l’Église orthodoxe russe.

À l’époque soviétique, l’UOC était la seule autorisée en Ukraine. Lorsque le pays a obtenu son indépendance, les églises nationales - l'Église grecque-catholique ukrainienne et l'Église orthodoxe autocéphale ukrainienne - sont sorties de la clandestinité, et le Patriarcat de Kiev a été créé. Cependant, l’Église orthodoxe russe disposait de plus de ressources, de temples et de paroisses, et était ouvertement soutenue par les autorités ukrainiennes de l’époque, qui craignaient des conflits avec le Kremlin.

L'Église orthodoxe ukrainienne du Patriarcat de Moscou est une partie de l'Église orthodoxe russe qui se considère comme autonome. Le Patriarcat de Moscou a toujours œuvré pour renforcer l'influence de la Russie sur le système politique ukrainien par ce biais.

Il est important de la distinguer de l'Église orthodoxe d'Ukraine, qui s’est toujours battue pour son indépendance et a reçu un tomos, un document canonique établissant l’autonomie de gestion, du Patriarcat œcuménique de Constantinople, la première juridiction autocéphale de l'Église orthodoxe, en 2019. L’ancien président Poroshenko et le Parlement ukrainien (Verkhovna Rada) ont été parmi les plus fervents défenseurs du tomos.

En Russie, l’Église a toujours été entièrement contrôlée par l’État et utilisée comme un instrument politique. Il n’est pas surprenant que l’UOC ait commencé à travailler dans l’intérêt du gouvernement russe, pour assouvir ses envies impérialistes. Les prêtres du Patriarcat de Moscou ont diffusé les symboles du Kremlin et de la littérature prorusse promouvant l’idée d’un  monde russe. Ils parlent des Ukrainiens, des Russes et des Biélorusses comme d’un « seul peuple » qui a été injustement divisé. Lorsque la Russie a illégalement occupé une partie du territoire ukrainien en 2014, les prêtres de l’UOC ont continué d’exprimer leur soutien à l’agresseur.

L’histoire s’est répétée en 2022 lorsque la Russie a lancé une offensive de grande ampleur contre l’Ukraine. Les prêtres du Patriarcat de Moscou ont participé à l’approvisionnement en nourriture des occupants, leur ont donné la bénédiction pour la « libération » des terres ukrainiennes et ont incité la population locale à obéir au « nouveau gouvernement ». Les prêtres ont également aidé à ajuster les frappes de missiles et d’artillerie russes en indiquant les coordonnées des lieux importants à cibler dans les villes ukrainiennes.

Le Patriarcat de Moscou joue un rôle important dans la diffusion de la propagande prorusse dans les régions occidentales et centrales de l’Ukraine, où les opinions prorusses ne sont pas populaires. C’est particulièrement le cas de la région de Transcarpatie, qui est la plus proche de l’Union européenne, où la Russie a utilisé l’Église de Moscou pour encourager le mouvement séparatiste régional de la Ruthénie subcarpathique.

L’UOC elle-même nie toutes les accusations de connexion avec le Patriarcat de Moscou et affirme qu’elle a rompu ses liens avec l’Église orthodoxe russe après le 24 février 2022. Toutefois, les documents d’identité des membres du clergé de haut rang de l’UOC prouvent le contraire puisque ces prêtres sont régulièrement trouvés en possession de passeports russes (la loi ukrainienne interdit la double nationalité). Le Service de sécurité d’Ukraine, le service de renseignement du pays, a déjà découvert plus d’une vingtaine de cas de ce type en fouillant les églises et les domiciles des prêtres collaborateurs. La propagande russe tente de présenter ces perquisitions et poursuites pénales à l’encontre des prêtres de l’UOC comme une pratique discriminante et une « persécution religieuse ».

La valeur de ces agents pour le Kremlin se démontre dans les échanges de prisonniers. En avril 2023, un prêtre arrêté pour collaboration est échangé contre 28 soldats ukrainiens. À titre de comparaison, Viktor Medvedtchouk, un politicien ukrainien prorusse dont la fille a été baptisée par Vladimir Poutine lui-même, a été échangé contre 200 soldats capturés. Ainsi, un prêtre-agent du Kremlin est moins cher qu’un proche du dictateur, mais dix fois plus cher qu’un soldat russe.

Les prêtres sont utilisés comme agents par la Russie ailleurs qu’en Ukraine. Le journal suisse Tages-Anzeiger a découvert que l’actuel chef de l’Église orthodoxe russe, Cyrille (Goundiaïev), qui a donné sa bénédiction pour l’invasion de l’Ukraine, était un agent du KGB envoyé à Genève. Son neveu est toujours au service de l’Église en Suisse. Le Président hongrois, Viktor Orban, défend désespérément le patriarche Cyrille et refuse de le sanctionner, affirmant que l’Église est clé de la « négociation pour la paix ».

Le Registre des traîtres d’État, tenu depuis plus d’un an par l’ONG ukrainienne Roukh Chesno, comprend 35 ecclésiastiques faisant l’objet de soupçons. La plupart d’entre eux sont des membres du Patriarcat de Moscou. Leurs logements ont été fouillés dans le cadre d’enquêtes sur leur éventuelle collaboration avec les occupants.

Le Patriarcat de Moscou n’aurait guère pu obtenir un tel succès dans ses opérations secrètes si elle n’avait pas eu le soutien de certains hommes politiques. L’un des plus ardents lobbyistes de l’UOC, l’ancien député ukrainien Vadim Novinsky, a quitté le pays l’année dernière après avoir perdu son mandat. Aujourd’hui, il est protodiacre de l’Église orthodoxe de Zurich. Avant le déclenchement de la guerre russo-ukrainienne, Novinsky a farouchement défendu les intérêts de l’UOC et s’est opposé à la création d’une Église orthodoxe locale en Ukraine, indépendante et autonome du Patriarcat de Moscou, qui existerait sur une base territoriale.

Le 8 juin, le Parlement ukrainien a voté en faveur de la fin anticipée du mandat du député Vadym Novinsky. Le Conseil de défense et de sécurité nationale d'Ukraine a imposé des sanctions à Novinsky pour avoir soutenu les actions et mesures politiques de la Fédération de Russie qui sapent et menacent l'intégrité territoriale, la souveraineté et l'indépendance de l'Ukraine, ainsi que sa stabilité et sa sécurité.

Ainsi, les hommes politiques deviennent prêtres du Patriarcat de Moscou et réciproquement. Par exemple, l’odieux Abbé Pavlo du Monastère de la Laure des Grottes de Kiev de l’UOC (Petro Lebid), était député du Conseil municipal de Kiev et membre du Parti des régions, parti prorusse aujourd’hui interdit, qui était dirigé par l’ancien président Viktor Ianoukovitch, actuellement en cavale.

Sous l’influence de la propagande russe, certains politiciens, ONGs et médias en Europe défendent l’UOC ou « s’inquiètent » de la prétendue confrontation religieuse en Ukraine. Ils devraient plutôt s’intéresser de plus près aux prêtres de l’Église russe qui servent dans leur propre pays. Après tout, ces personnes sont aussi dangereuses que les « diplomates » russes, servant en réalité d’espions. Les prêtres de l’Église russe ont une influence sur les larges audiences, peuvent diffuser de la propagande et menacer la sécurité non seulement de l’Ukraine, mais aussi de l’Europe. Comment la Russie décidera-t-elle d’utiliser cet outil d’influence à l’avenir ? Nous avons déjà vu quelqu’un envoyer des explosifs dans des enveloppes à des hommes politiques espagnols. Le New York Times a émis l’hypothèse d’unepotentielle implication de la Russiedans cette affaire. Entre les mains d’un État terroriste, tout peut devenir une arme — la poste, l’Eglise, le système politique.

Iryna Fedoriv, rédactrice en chef du site web «Roukh Chesno»

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