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Je m'exprime ici au nom du collectif UMD de Cadillac en danger.
Nous exerçons en tant que soignants au sein d’une unité pour malades difficiles de Cadillac-sur-Garonne dans le département de la Gironde.
Et, nous souhaitons informer le public sur la situation critique dans laquelle nous nous trouvons.
L’unité d’UMD (unité pour malades difficiles) Moreau du centre hospitalier de Cadillac risque de fermer au mois de septembre 2023, ce qui équivaut à une diminution de 19 lits d’UMD sur le territoire national.
L’application de la loi Rist, adoptée en avril 2023, qui vise à plafonner le revenu des médecins intérimaires a accéléré la chute en cours de l’hôpital public.
En effet, cette loi a été appliquée sans que ses effets en soient mesurés et sans aucun accompagnement de la part des agences régionales de santé. Partout sur le territoire les unités ferment une à une.
Cette mesure favorise les établissements privés qui ne sont pas soumis aux mêmes règles et de fait subissent moins la pénurie médicale en cours.
On peut déplorer que certains praticiens s'inscrivent dans une forme de "mercenariat" qui consiste à se ranger du côté du plus offrant mais cette pratique est une réalité avec laquelle nous devons composer.
Il est important que la population soit consciente du décalage entre la parole politique, qui dit prendre à bras le corps la question sécuritaire, et la réalité.
En effet, lors de chaque fait divers tragique, la classe politico-médiatique s’émeut d'un ensauvagement de la société, d'une violence qui serait le fruit d'un écroulement de l’autorité de l’État.
Mais, tous font fi du rôle clé de la psychiatrie public dans le bon fonctionnement d'une société. Une étude démontre qu’au moins 36% des personnes incarcérées présentent au moins une maladie psychiatrique de gravité marquée à sévère.*[i]
Et, malgré ce constat, de nombreux détenus relevant de secteur psychiatrique ne bénéficient d'aucune prise en charge spécifique.
Lorsque le 19 juin 2023 à Bordeaux un homme de 29 ans a agressé en pleine rue une septuagénaire et sa petite fille, le traitement de l'information s'est focalisé sur l'émergence d'une nouvelle forme de violence décomplexée, les racines de ce fait divers semblent pourtant plus complexes. L'agresseur en question est porteur d'une pathologie psychiatrique lourde avec un passé judicaire chargé. Sans domicile fixe au moment des faits, il était en rupture de traitement. Comment est-il possible qu'une personne hospitalisée à maintes reprises en psychiatrie et connu pour son potentiel de dangerosité n'ait pas bénéficié d'un suivi régulier à l'extérieur avec l’éventualité d'une réintégration d’office en unité psychiatrique en cas d'arrêt de son traitement?
Certainement car la psychiatrie public ne dispose pas de moyens financiers et humains pour assurer des suivis de patients qui en ont cruellement besoin.
Et, tant que la classe dirigeante continuera à effacer la psychiatrie de la carte du soin, ces événements se multiplieront dans le temps.
Dans un contexte de faits divers récurrents (Bordeaux, Annecy…) impliquant des personnes nécessitant une prise en charge dans des unités sécurisées que sont les UMD, la réponse du ministère de la santé consiste à fermer 19 lits d’UMD. Drôle de logique !
D’autant plus que la démographie de la Gironde est dynamique et que le centre hospitalier psychiatrique de Charles Perrens situé à Bordeaux, déjà en difficulté, ne sera pas en capacité d’absorber cet afflux de patients à venir.
Les unités pour malades difficiles sont un des maillons essentiels du bon fonctionnement de la psychiatrie. Ce sont des services hospitaliers psychiatriques spécialisés dans la prise en charge de patients qui ne peuvent pas, ou plus, être pris en charge dans les services d'hospitalisation psychiatrique dits classiques*.[ii]
A l’unité Moreau, les soignants font de leur mieux pour accompagner des patients dans un milieu contenant et structurant et font en sorte d’adapter leur prise en charge en fonction de l’évolution du patient. L’unité Moreau s’appuie sur une équipe pluridisciplinaire expérimentée (psychologue, ergothérapeute, infirmier, aide-soignant, ASH, médecin généraliste…)
L’équipe soignante propose aux patients de nombreuses activités à la fois conviviales et thérapeutiques avec une volonté commune d’humaniser le soin.
Les patients de l’unité Moreau ont envoyé un courrier à la direction, en exprimant leurs inquiétudes et leur souhait de rester dans un lieu de soins géré par une équipe avec laquelle ils souhaitent continuer leur prise en charge.
Nonobstant notre travail d’utilité publique, l’ARS (agence régional de santé) de la Gironde vient de cautionner la fermeture de 19 lits d’unité pour malades difficiles sans chercher à trouver d’alternative alors que nous avons proposé des solutions concrètes et applicables pour éviter ce marasme.
Et pourtant, les demandes d’admission pour l’UMD de Cadillac affluent de toute la France. Il ne s'agit donc pas d’un problème lié à une diminution de la demande mais bien d’une volonté de diminuer l'offre de soins.
De plus, nous ne manquons pas de personnel paramédical sur le pôle unité PML (psychiatrie médico-légale), notre pôle reste très attractif. De nombreux soignants venus de la France expriment encore le souhait de venir travailler au sein de l’UMD et les postes vacants sont rapidement pourvus.
Le CH de Cadillac est composé d’un site central (avec des unités d’admission, de longs et de moyens séjours) qui est séparé géographiquement du site où se trouve l’UMD.
Le site central du CH de Cadillac souffre, quant à lui, d’un manque chronique de personnel soignant : 50 postes d’infirmiers à pourvoir dont 25 pour des arrêts longues maladie.
Cette fermeture annoncée vise donc à redéployer les soignants de l’unité Moreau sur d’autres unités de l’hôpital psychiatrique de Cadillac pour pallier au manque de personnel.
Notre expertise, notre expérience et notre intérêt toujours intact pour la spécificité du travail en unité pour malades difficiles n’ont jamais été entendus par la direction de l’hôpital.
Lorsque nous leur avons souligné que cette mobilité forcée aurait pour effet que la quasi-totalité des soignants quitterait le centre hospitalier, la direction nous a répondu qu’elle ne pouvait pas « satisfaire tout le monde. »
Toutes nos revendications et propositions alternatives ont été balayées d’un revers de la main.
Pourtant, nous avons proposé de répartir les 19 lits à supprimer temporairement sur l’ensemble des 4 unités d’UMD. L’unité Moreau aurait ainsi fermé temporairement 7 lits et les autres unités 4 lits.Moreau étant actuellement une unité avec des patients en cours de stabilisation, cela aurait permis un suivi médical moins resserré.
De plus, une autre de nos propositions consistait à accueillir les patients stabilisés des autres unités d’UMD, toujours dans le but de libérer du temps aux 2 psychiatres exerçant sur le pôle et d’éviter une fermeture en attendant le recrutement de nouveaux psychiatres.
Nous sommes habitués depuis longtemps aux techniques managériales issues du monde de l‘entreprise (travail à flux tendus, standardisation des processus, recherche de performance financières…).
Mais si l’on rajoute à cela une direction qui a recours à une surutilisation du pouvoir disciplinaire, du pouvoir d’organisation et du lien de subordination, notre environnement de travail devient de plus en plus pathogène avec des conséquences néfastes sur notre santé.
Nous ne sommes cependant pas la seule unité psychiatrique dédiée aux patients dits difficiles à se retrouver dans une situation dramatique.
Au centre hospitalier le Vinatier (69), 200 lits ont fermé depuis 2020. Les plannings et les rythmes de travail sont constamment modifiés et les arrêts de travail se multiplient. Pour combler le manque de personnel, des soignants remplaçants, sans expérience au sein d’unités pour malades difficiles, sont mobilisés avec pour conséquence une augmentation de la dangerosité et des accidents de travail.
A l’UMD de Montfavet (84), les conditions de travail se détériorent depuis plusieurs années avec un manque de personnel soignant et médical, les prises en charge deviennent logiquement de plus en plus compliquées à assurer dans de bonnes conditions.
Les USIP (unités de soins intensifs en psychiatrie), qui ont pour vocation d’accueillir des patients qui présentent des troubles du comportement majeurs, ne sont pas en reste.
L’USIP de Pau (64) a fermé 7 lits sur les 14 qu’elle comptait du fait d’un manque de personnel.
Et, l’USIP du centre hospitalier du pays d’Eygurandes (19) a fermé, début juillet 2023, 10 lits pour travaux mais sans date de réouverture définie.
Les patients que nous prenons en charges souffrent d’une instabilité sur le plan psychique qui doit être contrebalancée par la permanence des soins. Mais, le turnover et le manque de personnel ne sont pas de nature à leur apporter l’équilibre dont ils ont besoin.
Depuis le début de l’année 2023 et plus particulièrement depuis l’adoption de la loi Rist, plusieurs centaines de lits de secteur psychiatrique ont été fermés, certains définitivement, d’autres de façon ponctuelle.
Hélas, un effet « cliquet » se produit, lors de ces fermetures provisoires, rendant les réouvertures peu probables.
Nous assistons à une attaque sans précédent dans le secteur de la santé mentale (et de la santé en général), la destruction généralisée est en cours et là où le gouvernement devrait déclarer l’état d’urgence pour sauver ce qu’il reste de la psychiatrie publique, rien ne se passe.
Le collectif UMD de Cadillac en danger refuse la fatalité et se bat pour empêcher la fermeture de l’unité Moreau qui nous semble injustifiée et qui peut encore être empêchée.
Heureusement, nous pouvons compter sur le soutien des syndicats et de plusieurs élus pour nous aider à mener ce combat difficile.
En effet, Nathalie Delattre, personnalité politique de premier plan, vice-présidente du Sénat et sénatrice de la Gironde nous apporte une aide précieuse en interpellant le ministre de la Santé à propos de la fermeture injustifiée de l’unité Moreau.
Nous sommes très inquiets quant à l’évolution de cette situation et nous avons besoin de relais populaires et médiatiques pour porter notre message.
N’hésitez pas à relayer cette information pour nous donner de la visibilité et de la force.
Merci.
Le collectif UMD de Cadillac en danger.
*[i] Fovet T, Plancke L. et Thomas P. (2018) Prévalence des troubles psychiatriques en prison, Santé mentale n°227, P.36
*[ii] Arrêté du 14 octobre 1986 relatif au règlement intérieur type des unités pour malades difficiles
Article 1 : Les patients relevant d'une unité pour malades difficiles doivent présenter pour autrui un danger tel qu'ils nécessitent des protocoles thérapeutiques intensifs adaptés et des mesures de sûreté particulières, mis en œuvre dans une unité spécialement organisée à cet effet.
Ces patients doivent dans tous les cas relever des dispositions des articles L. 343 à L. 349 du code de la santé publique relatifs aux placements d'office, et présenter, en outre, un état dangereux majeur, certain ou imminent, incompatible avec leur maintien dans une unité d'hospitalisation habilitée à recevoir des patients relevant du chapitre III du titre IV de ce même code.
https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/LEGITEXT000006072816/