A la suite de ma première publication, certains m’ont interpellé sur les raisons de mon anonymat et sur le manque de courage associé.
Pourquoi préférer ne pas m’exprimer sous ma véritable identité ?
Qu’ai-je à craindre de prendre des positions politiques contraires à celles des syndicats majoritaires de ma profession, de mon ministre et de mon directeur général ?
Est-ce normal de préférer la discrétion alors même que je ne divulgue aucun secret professionnel, que je ne dévoile aucune affaire dont j’ai la charge et que je ne commets, a priori, aucune infraction ?
Ma première publication était initialement une tribune proposée à quelques collègues que je savais en désaccord avec les prises de position médiatiques majoritaires liées à la détention provisoire du collègue de Marseille. N’étant, tout comme moi, pas protégés par un mandat syndical ou électif, toutes et tous ont préféré se taire.
En tant que policiers, pourquoi n’osons-nous pas exprimer notre point de vue dans cette démocratie ? Cette simple question doit nous interroger sur l’état même de celle-ci.
Inscrite aux articles 10 et 11 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen, la liberté d’expression est un droit constitutionnel fondamental qui autorise chacun à s’exprimer.
Les limites à ce principe, imposées aux policiers et fonctionnaires sont nombreuses :
Le code de la fonction publique dans ses articles L121-1 à L 121-11 oblige le fonctionnaire au devoir de réserve.
De façon plus spécifique, le policier doit se conformer à l’article R 439-29 du code de sécurité intérieure édicté en 2013. Celui-ci stipule que :
« Le policier est tenu à l'obligation de neutralité. Il s'abstient, dans l'exercice de ses fonctions, de toute expression ou manifestation de ses convictions religieuses, politiques ou philosophiques. Lorsqu'il n'est pas en service, il s'exprime librement dans les limites imposées par le devoir de réserve et par la loyauté à l'égard des institutions de la République. Dans les mêmes limites, les représentants du personnel bénéficient, dans le cadre de leur mandat, d'une plus grande liberté d'expression. »
Ces articles de loi dont la liste, ici, n’est pas exhaustive, permettent de se rendre compte que l’expression de l'opinion de policiers est contrainte.
Plusieurs affaires disciplinaires, plus ou moins connues, rappellent ce principe par des sanctions au poulet indiscipliné. Ce fut le cas de Philippe Pichon par exemple et plus récemment surtout celui d’Alexandre Langlois. En tant que président du syndicat Vigi, il avait porté une parole dissidente, ce qui lui a valu de nombreuses péripéties avec le pouvoir en place, à l’époque le ministre Castaner.
Cette liste de policiers réfractaires au pouvoir est loin d’être exhaustive. De nombreux cas, passés sous la vigilance des médias, témoignent des risques encourus. Ces décisions disciplinaires montrent à quel point la parole du policier est surveillée, surtout lorsqu’elle s’oppose au discours gouvernemental.
Une liberté d’expression à géométrie variable.
Si vous portez les idées « conformes » et servez le pouvoir en place, vous serez autorisés et même gratifiés. Mais si vos points de vue tranchent avec les discours autoritaires et sécuritaires vous serez blâmés et stigmatisés. Les arguments qui nous serons opposés seront ceux de l’obligation de réserve et du manque de loyauté aux institutions.
C’est pourquoi les policiers, présents ad nauseam, dans les médias portent nécessairement les idées du gouvernement. Ce qui ne reflète pas les positions de l’ensemble de mes collègues et des syndicats minoritaires.
Cette logique ne s’arrête d’ailleurs pas aux seuls policiers. Sébastian Roché, un éminent politologue chercheur au CNRS, s’est vu remercier par l’ENSP (école de formation des commissaires) dans laquelle il intervenait depuis 26 ans, suite à des prises de positions trop critiques à l’égard de l’institution.
Les policiers qui dénoncent les dysfonctionnements structurels risquent davantage que ceux qui les commettent et les justifient par des arguments fallacieux. J’ai rencontré ce mécanisme régulièrement au cours de ma carrière. C’est ce qui m’a appris à rester prudent et à ne pas me placer en situation périlleuse.
Un corporatisme qui gangrène l’institution
L’esprit de corps, inscrit dans une logique de défenseur d’une tour assiégée, est cultivé dès l’intégration dans ce métier. Il protège aveuglément tous les policiers, quand bien même certains sont défaillants. Ce principe dégrade notre crédibilité auprès de nos concitoyens en empêchant de séparer le grain de l’ivraie et en cherchant à justifier l’injustifiable.
D’autres que moi l’ont parfaitement documenté, comme dans l'ouvrage d’Agnès Naudin et Fabien Bilheran : « Police. La loi de l’omerta ».
Alors oui, je ne suis pas courageux, caché derrière mon clavier quand notre ministre et notre directeur général préfèrent assurer leur soutien aux collègues criminels sans un mot pour les victimes de leurs crimes.
C’est vrai, j’ai beaucoup moins de courage que ce ministre et que ce haut fonctionnaire, qui à visages découverts et au mépris des règles élémentaires du droit se rendent coupables de plusieurs infractions en remettant en cause allégrement nos principes constitutionnels, législatifs et jurisprudentiels. Ils le font sans craindre de conséquences judiciaires. Quel courage !
Viendra un temps où, peut-être, mes nombreux collègues las de leur malaise et de leur souffrance, conscients de leur rôle, oseront assumer leur opposition à cette dérive autoritaire et sortir de leur obligation de réserve. C’est alors collectivement que nous pourrons nous opposer à ce pouvoir devenu illégitime et factieux.
Si nos concitoyens souhaitent que la probité de leur police ne dépende pas du courage de quelques-uns, il me semble pertinent de questionner la limite de notre liberté d’expression liée au devoir de loyauté vis-à -vis des institutions. Dans la mesure où il n'enfreint pas le secret professionnel, le policier en dehors de ses heures de travail doit, comme tout citoyen, pouvoir donner son opinion librement. L’institution policière doit pouvoir être remise en cause par des critiques qui proviennent aussi de ses propres rangs et ne plus être cantonnée à l’expression de la voix de son maître.
Je conclurai par les mots de Dominique Monjardet : “Dis- moi ce que tu sanctionnes, je te dirai qui tu sers”*
* Dominique Monjardet, « Les sanctions professionnelles des policiers. Ce que disent les chiffres et au-delà », Informations sociales 2005/7 (n° 127), p. 76-85.