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Il y a quelques jours, le média Blast a publié une photographie montrant des policiers brandissant une banderole retournée et masquant leurs visages ; cliché qui a conduit la Préfecture de Police à ouvrir une enquête administrative. Blast commente la scène en affirmant que « s’afficher encagoulés avec le matériel ennemi retourné » renverrait à « une pratique très connue des milieux hooligans ».
« On doit essayer de comprendre sans juger. Ne pas détester, ne pas rire, ne pas déplorer mais comprendre. Ce sont les premiers pas vers la sociologie ». Ces mots de Spinoza, repris par Bourdieu1, introduisent la formation au Diplôme Universitaire de sociologie que suivent des policiers volontaires pour améliorer les relations entre la Police et la population. J’ai eu la chance d’y participer. Fort de cet apprentissage, de mon expérience professionnelle et de la littérature scientifique, je m’interroge sur ce qui a conduit une quinzaine de policiers à se mettre ainsi en scène au mépris des principes de réserve, de neutralité et d’exemplarité qu’imposent leurs fonctions.
Les recherches sociologiques réalisées par Nicolas Hourcade2, sociologue, démontrent qu’il serait plus juste d’attribuer ces méthodes aux Ultras plutôt qu’aux Hooligans.Il pose le constat que ces deux univers obéissent à des logiques différenciées : les Ultras, fortement structurés et affiliés à un club, se distinguent des Hooligans qui sont des collectifs informels, numériquement restreints, plus violents et moins connectés à l’événement football.
Chez les Ultras, le vol de bâche constitue un acte symbolique, marqueur de supériorité. Ces appropriations violentes surviennent fréquemment lors de « fights » organisés en marge des matchs. Le groupe dépouillé, humilié, active une dynamique de revanche, une logique qui alimente rancœurs et alliances entre collectifs. Ces interactions font naître un espace autour duquel s’agglomèrent, des alliances, des contentieux et des stratégies de contre-conquêtes.
L’histoire des Ultras regorge de ces configurations. L’importance du marquage territorial, visible notamment par l’usage massif de stickers, renforce aussi cette dimension identitaire. Ces autocollants, apposés sur le mobilier urbain, ne sont pas de simples ornements, ils constituent des signes d’occupation symbolique de l’espace et promeuvent l’essor du groupe. Le sur-stickage d’un autocollant par un autre groupe instaure un dialogue visuel permettant de lire les hiérarchies et antériorités de passage.
Le port de la cagoule s’inscrit dans le code vestimentaire de cette mouvance. Outre l’effet intimidant qu’elle génère, elle est symbole d’anonymat, d’unité et de radicalité.
Si l’on opère un parallèle, la manifestation au cours de laquelle la banderole féministe et antifasciste a été confisquée peut-être lue comme l’équivalent symbolique du « fight » précédant la capture d’une bâche. Sans disposer des détails de la manifestation, on peut raisonnablement formuler l’hypothèse que les policiers présents avaient déjà été confrontés à ces militants, et que cette séquence s’inscrit dans un passif interactionnel.
L’appropriation de la banderole et son exhibition a pu fonctionner comme la matérialisation d’une victoire symbolique à l’encontre de groupes perçus comme hostiles.
L’usage accru de la cagoule par les forces de l’ordre est aussi un sujet. Il s’inscrit dans une évolution récente des pratiques professionnelles. Si son emploi est juridiquement encadré, il s’est progressivement banalisé, notamment depuis les mobilisations de Gilets Jaunes et les émeutes de 2023, où l’anonymat est devenu une raison légitime de se protéger des captations d’images.
La cagoule est désormais intégrée à la dotation vestimentaire courante. Elle renforce l’esthétique d’uniformité, de virilité et de confrontation.
Comme dans le mouvement Ultra avec les stickers et étendards qui colorent le stade, les écussons de brigades de Police mobilisent un imaginaire martial, animal et viril (tigres, aigles, lions, glaives…). Ces représentations graphiques sont rarement tempérées par des symboles pacifiés que pourraient être la colombe ou la licorne à paillettes. La circulation et l’exposition de ces écussons dans les services renforcent le prestige et favorisent la promotion du groupe comme dans l’Ultra-sphère.
Le rapport des policiers à leur métier oscille entre retrait et sur-investissement. Les attentats de 2015 puis la crise des Gilets jaunes ont exacerbé l’ambivalence du regard social qui pèse sur le policier à la fois héroïsé et décrié. Cette tension favorise le repli corporatiste qui structure les hiérarchies internes. La virilité et la masculinité constituent des ressources symboliques particulièrement valorisées surtout dans les unités répressives. Cette hégémonie masculine et brutale est aussi très prégnante chez les Ultras et parfaitement documentée par la sociologie du supportérisme.
Les travaux scientifiques3 réalisés par les sociologues Stéphanie Guyon et Nicolas Hourcade sont très éclairants.
Sur cette photographie, les policiers reprennent sciemment les codes des groupes ultras : dissimulation des visages, appropriation de signes distinctifs, affirmation d’une identité collective soudée et virile. Ils ne se contentent pas d’en réutiliser les formes ; ils en rejouent la grammaire symbolique.
Ces postures obscures ne sont pas sans conséquences sur l’image et la réputation de notre profession. J’invite mes collègues à lire les études sociologiques, à comprendre, à apprendre et à réfléchir en conscience sur les effets, souvent sous-estimés, que révèlent nos comportements quotidiens.
« Un Policiologue »
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1 Pierre BOURDIEU, « La misère du monde », 1993.
2 Nicolas HOURCADE, « Ultras et Hooligans, les violences des supporters de football et leur gestion », 2024.
3 Stéphanie GUYON, « Supporterisme et masculinité : l’exemple des Ultra à Auxerre », 2007.