Lettre ouverte à Mme Irène Jacob,
Présidente de l’Institut Lumière.
Mme Jacob,
Par cette lettre, nous vous demandons de retirer à Gérard Depardieu le Prix Lumière qui lui a été attribué en 2011, à Lyon, à l’occasion du 3e festival Lumière.
Fin décembre 2023, Mme Chantal Austruy, ancienne cheffe du protocole du Grand Lyon (le premier partenaire du Festival Lumière, d'après votre site internet) a révélé les agressions et le harcèlement sexiste et sexuel auquel s’est livré Gérard Depardieu envers l’équipe d’hôtesses qu’elle supervisait pour l’inauguration du cinéma Pathé de Vaise, en janvier 2008. Le journal L’Humanité rapporte que Mme Austruy « a tenu à témoigner parce qu’elle croit les victimes qui ont porté plainte contre l’acteur et tient à leur apporter leur soutien ».
En effet, la liste de ces victimes, qu’elles aient d’ailleurs porté plainte ou non, est effroyablement longue. En avril 2023, la rédaction de Médiapart a réuni les témoignages de treize femmes dénonçant les violences sexistes et sexuelles commises par l’acteur sur des tournages. Des prises de paroles auxquelles s’ajoutent notamment celles de Charlotte Arnould, Emmanuelle Debever, Sophie Marceau ou Vahina Giocante.
Des images diffusées en décembre 2023 par le magazine Complément d’enquête documentent ces comportements, auxquels s’ajoute une séquence versant sans équivoque dans la pédophilie.
Malgré cela, Depardieu reste soutenu en France, non seulement par la cinquantaine d’artistes ayant signé une tribune de soutien – certain·es commencent toutefois à s’en raviser – mais aussi par le président Emmanuel Macron, pour qui Depardieu « rend fier la France ». Chacun jugera.
Par comparaison, suite à la diffusion de ces images, l’acteur a été radié de l’Ordre national du Québec par le premier ministre québécois, François Legault, qui est pourtant plutôt conservateur.
Tout porte à croire que le milieu du cinéma connaissait déjà ces agissements lorsque Gérard Depardieu a été récompensé du Prix Lumière en 2011, lors du 3e Festival Lumière. Le récent témoignage de Mme Austruy n’en est qu’une preuve supplémentaire. De ce choix, vous ne pouvez évidemment être tenue comptable : votre n’avez accédé à la Présidence de l’Institut Lumière que dix ans plus tard, en septembre 2021. Mais à ce titre, vous avez désormais le pouvoir de changer les choses, en vous positionnant du côté des victimes, par un geste symbolique fort.
En tant que cinémathèque, l’Institut Lumière fait plus que préserver l’histoire du cinéma : il la façonne. Cela, votre équipe l’a compris depuis longtemps, et l’a mis en actes de manière vertueuse, y compris au sein du Festival Lumière : qu’on pense au cycle « Histoire permanente des femmes cinéastes », ou à la création du Prix Fabienne Vonier en 2016.
Conserver aujourd’hui le prix Lumière à Gérard Depardieu, c’est annuler toutes ces bonnes intentions au profit d’une histoire du cinéma qui encense et honore encore les agresseurs en perpétuant un boys club d’impunis.
Surtout que le prix Lumière ne récompense pas seulement un film, mais toute une carrière. C’est sa singularité, et sa force, dans le paysage des récompenses à la qualité cinématographique. Il n’est donc pas question ici de séparer l’homme du comédien : ce sont les deux qui ont reçu le Prix Lumière, et c’est aux deux que nous vous demandons de le retirer.
Nous pouvons attendre cela de vous, en tant qu’artiste, en tant qu’actrice, femme de cinéma et femme de pouvoir au sein d’une structure aussi importante pour l’histoire du cinéma – cela est assez rare pour être souligné, les cinémathèques restant encore le plus souvent aux mains des hommes.
Nous ne voulons pas de ce patrimoine. Nous ne voulons plus de ce cinéma-là.
Le vent tourne. Plusieurs contre-tribunes réunissent déjà des centaines de signatures, notamment d’artistes et de technicien·nes. Alors, en ayant le courage de retirer symboliquement le Prix Lumière attribué à Gérard Depardieu, vous initierez peut-être un mouvement de réflexion et d’actions plus vaste, contre les violences sexistes et sexuelles et leurs auteurs, y compris au sein des institutions du cinéma.
Nous l’espérons – et nous serons au rendez-vous pour espérer encore davantage dans les années qui viennent.
Liste des premier·es signataires
Alexis Sévellec (scénariste)
Alice Creusot (Cinérameuf)
Alice Soltysiak (Une invention sans avenir)
Alix Desoomer (La Feuille de Service)
Arkani Korvo ( KaleidosPop.c)
Aurel Rotival (docteur en études cinématographiques)
Aurélie Petit (doctorante en film studies, Concordia University)
Claire Agnelli / Rose Croco (tatoueuse et professeure d'art)
Clara Cauvy Poudevigne (RomComment?)
Clémentine Meyer (Cinéma et politique)
Dario Malandra (Jumpscare)
Erwan Gendek (CGT Educ'action)
Flore Bardet (RomComment?)
Françoise Fressonnet (anthropologue)
Gregory Engler (monteur/mixeur)
Jessica (Bon chic bon genre)
Josh Lurienne (scénariste, réalisateur)
Judith (Demoiselles d’horreur / Écran Large)
Judith Ardagna (sociologue du travail)
Juliette Lévêque
Kalindi Ramphul (Le seul avis qui compte)
Léon Cattan (vice-présidente de Sorociné)
Lily Nelson (Jumpscare)
Luladasy (Welcome to Prime Time Bitch!)
Lumi (Blast / Vidéodrome)
Margot Giacinti (docteure en sciences politiques)
Mariana Agier (présidente de Sorociné)
Marie (Ivre de culture)
Marie Coquille-Chambel (#MeTooThéâtre)
Marine Bohin (journaliste cinéma)
Mathias (Écran Large)
Mélissa Golebiewski (autrice)
Michaël Massiah (cinéphile)
Mordred Guadagno (Bichette praxis)
Occitane Lacurie (Débordements / L’esprit critique)
Ostpolitik
PrunetteTV
Quentin Castellano (membre du comité éditorial d'Histoire Engagée, travailleur du milieu du cinéma)
Raphaël Jaudon (Une invention sans avenir)
Robin Cauche (Une invention sans avenir)
Romain Dolmazon (Une invention sans avenir)
Romain Plourde (Jumpscare)
Cette lettre a été rédigée par l'équipe du podcast "Une invention sans avenir".
Si vous souhaitez vous ajouter à la liste des signataires, écrivez-nous : uneinventionsansavenir@gmail.com / @SansAvenir_pod (Twitter/X).
Sources