Le HuffPost | Par Morgane Masson avec AFP
Publication: 30/10/2014 13h26 CET Mis à jour: il y a 26 minutes
INTERNATIONAL - Assemblée nationale incendiée, télévision publique prise d'assaut, affrontements devant la présidence: le Burkina Faso a plongé dans la violence jeudi 30 octobre. En cause, le vote qui devait être organisé dans la matinée à l'Assemblée nationale: une révision constitutionnelle qui devait permettre le maintien au pouvoir du président Blaise Compaoré, l'un des hommes forts d'Afrique de l'Ouest.
Sur place, l'incertitude règne quant au sort de Blaise Compaoré. Certains médias affirment qu'il aurait quitté le palais présidentiel et aurait pris la fuite vers la Côte d'Ivoire. Plusieurs émetteurs radios, dont celui de RFI, ont été coupés à Ouagadougou. Et selon Jeune Afrique, les vols à destinations et en provenance de la capitale burkinabé ont été annulés.
En fin d'après-midi, un communiqué de Blaise Compaoré lu à la radio a annoncé la dissolution du gouvernement et l'instauration de l’État de siège dans le pays.
Des manifestants dans les studios de la Radiodiffusion télévision du Burkina (RTB), le 30 octobre 2014
Arrivé aux affaires il y a 27 ans grâce à un coup d'État, le président Compaoré doit achever l'an prochain son dernier mandat, après deux septennats (1992-2005) et deux quinquennats (2005-2015). Le projet de loi qui a mis le feu aux poudres visait à porter de deux à trois le nombre maximum de quinquennats présidentiels. Et ainsi permettre au chef de l'État de rempiler pour cinq années supplémentaires, au minimum.
Deux solutions s'offraient à Compaoré pour cette réforme constitutionnelle: le recours à un référendum ou un vote à l'Assemblée. Depuis plusieurs mois, c'est la première option que le président laissait entrevoir aux Burkinabés. Mais il a finalement rassemblé un nombre suffisant de parlementaires pour modifier la Constitution et décidé d'abandonner l'idée d'un référendum. Une décision très mal accueillie par les Burkinabés depuis son annonce la semaine dernière.
Le vote annulé, mais...
Mardi, des centaines de milliers de personnes -un million, selon l'opposition- étaient descendus dans la rue à Ouagadougou pour dénoncer un "coup d’État constitutionnel". La manifestation monstre s'était achevée par des affrontementsentre jeunes et forces de l'ordre. Le lendemain, les syndicats burkinabés appelaient à une grève générale.
Un seuil a été franchi jeudi quand la capitale Ouagadougou a sombré dans le chaos. Les violences ont fait au moins un mort: à quelques centaines de mètres du domicile de François Compaoré, le frère du chef de l’État, un homme d'une trentaine d'années a été retrouvé mort, un trou dans la tempe, a constaté un journaliste de l'AFP. Selon plusieurs, médias, François Compaoré été arrêté un peu plus tard à l'aéroport alors qu'il tentait de fuir le pays.
Des manifestants aux abords du Parlement le 30 octobre 2014
Et si le gouvernement a annoncé jeudi avoir "annulé le vote de la loi" et malgré l'appel au calme lancé par Blaise Compaoré sur Twitter, les manifestations continuent. À l'Assemblée nationale, plusieurs bureaux ont été ravagés par les flammes. D'épaisses fumées noires sortaient par les fenêtres brisées, mais l'hémicycle, mis à sac, semblait encore épargné. Plus d'un millier de manifestants avaient réussi à pénétrer dans le bâtiment et à le saccager. Les forces de l'ordre ont tenté de stopper les manifestants en tirant des gaz lacrymogènes, puis ont battu en retraite.
Peu après, plusieurs centaines de personnes sont entrées dans les locaux de la Radiodiffusion télévision du Burkina (RTB), où ils ont pillé le matériel, caméras incluses, et cassé des voitures. Les manifestants sont repartis sans avoir pu pénétrer dans les studios. Plus tard dans la matinée, plusieurs centaines de manifestants ont fait face aux soldats de la garde présidentielle. Les manifestants étaient bloqués à environ 500 mètres du palais présidentiel, défendu par des soldats dont certains ont effectué des tirs de sommation.
"Le printemps noir"
"Le 30 octobre, c'est le printemps noir au Burkina Faso, à l'image du printemps arabe", lançait mercredi Emile Pargui Paré, ex-candidat à la présidentielle et cadre d'un influent parti d'opposition, évoquant une "prise de la Bastille". "Le président doit tirer les conséquences" des manifestations, avait lancé peu auparavant Bénéwendé Sankara, l'un des leaders de l'opposition, qui avait appelé la population à "marcher sur le Parlement".
Blaise Compaoré, qui a déjà modifié deux fois l'article 37, en 1997 puis en 2000, pour se maintenir au pouvoir, défend la stricte légalité de sa démarche pour cette troisième retouche. Mais l'opposition craint que ce nouveau changement, qui ne devrait pas être rétroactif, conduise le chef de l’État, élu avec des scores soviétiques, à accomplir non pas un mais trois mandats supplémentaires, lui garantissant 15 années de plus au pouvoir.
Alors que quelque 60% des 17 millions d'habitants du Burkina Faso ont moins de 25 ans et n'ont jamais connu d'autre dirigeant que Blaise Compaoré, les opposants se prennent à rêver de le chasser du pouvoir.
Le projet de révision et les tensions qu'il suscite inquiètent également les partenaires du "pays des hommes intègres" (Burkina Faso, en langues locales) qui joue un rôle-clé dans la zone sahélienne, en proie aux menées de groupes jihadistes liés à Al-Qaïda. L'Union européenne a appelé à l'abandon du projet de révision, dénonçant "tout ce qui risque d'affecter ou de remettre en cause la stabilité, le développement équitable et les progrès vers la démocratie". Les États-Unis se sont dit "inquiets de l'esprit et des intentions de ce projet de loi".
Sur le continent africain, les développements de la crise burkinabè sont suivis de près, alors qu'au moins quatre chefs d'Etat préparent ou envisagent des révisions constitutionnelles similaires pour se maintenir au pouvoir, au Congo Brazzaville, au Burundi, en République démocratique du Congo et au Bénin.
http://www.huffingtonpost.fr/2014/10/30/burkina-faso-manifestations-blaise-compaore_n_6074052.html