Il est difficile de ne pas être submergé par l’émotion devant les images des Gazaouis en liesse à la suite de la proclamation d’un cessez-le-feu. Deux ans d’un carnage continu, deux ans du déchainement de la barbarie sioniste, la perspective d’une respiration humaine et humanitaire est une opportunité pour les Palestiniens de Gaza qu’il leur faut saisir et célébrer. Nous, Union Palestine Marseille, rejoignons bien sûr les Gazaouis dans leur soulagement et leur joie de voir la pluie de bombes israéliennes cesser.
Néanmoins, deux ans et trois jours après l’embrasement du 7 octobre, le mot « cessez-le-feu » revient hanter les écrans, les discours officiels et les dépêches diplomatiques de manière pernicieuse. À l’écoute de ces annonces, certains voudraient y voir une éclaircie, un retour au souffle, un répit enfin accordé à Gaza. Mais ceux qui ont suivi chaque bombardement, chaque négociation piégée, chaque promesse avortée depuis deux ans savent que ce terme ne peut être accueilli qu’avec scepticisme et vigilance. Le mot « cessez-le-feu », dans la bouche des sionistes et de leurs complices, a souvent servi à dissimuler la continuité du crime.
Israël parle de « trêve », de « désescalade », de « rétablissement de la stabilité ». Mais comment croire à la stabilité d’un État qui, depuis 1948, a fait de la dépossession un principe et du siège une méthode ? Comment croire à la paix quand l’occupant continue de contrôler les frontières, l’espace aérien, les ports, les ressources, et jusqu’à la circulation de l’aide humanitaire ? Comment accueillir ce cessez-le-feu comme une promesse, alors qu’il n’est qu’une respiration dans la mécanique du meurtre ?
Les faits, eux, ne mentent pas. Gaza n’a pas été seulement bombardée : elle a été méthodiquement démantelée. Les enquêtes de B’Tselem, Al-Haq, Human Rights Watch et Amnesty International ont montré comment, sous couvert de guerre, une entreprise de destruction et de génocide planifiés s’est abattue sur toute la population gazaouie. Hôpitaux, écoles, puits, stations de pompage, centrales électriques : tout ce qui permettait à la vie de continuer a été pris pour cible et méthodiquement détruit. Ce n’est pas une succession d’erreurs, c’est une logique. Une logique d’extermiantion. Une politique de la cendre.
Alors quand, ce 10 octobre, les chancelleries s’empressent de saluer la « fin des hostilités », nous savons, nous, que les hostilités ne s’interrompent jamais vraiment. Elles changent seulement de visage. La bombe se tait un instant, mais le blocus demeure. Les check-points restent, la faim reste, le silence des puissants reste. Et derrière chaque discours de paix se prépare le prochain siège, la prochaine expulsion, la prochaine falsification.
Car le sionisme n’a jamais cessé sa guerre génocidaire, même quand les armes se taisent. C’est une guerre de narration autant que de territoire. Chaque cessez-le-feu est accompagné d’une offensive médiatique : on parle de « victoire de la modération », on rebaptise les crimes en « erreurs regrettables », on efface les chiffres des morts palestiniens derrière les adjectifs diplomatiques. La machine de communication israélienne, rôdée depuis des décennies, se remet en marche à chaque pause militaire : elle maquille, justifie, recadre, comme si l’occupation pouvait se rendre respectable à force d’euphémismes.
Nous avons appris à ne pas confondre le silence des armes avec la paix. Nous avons appris que chaque trêve, dans la bouche d’un État colonial génocidaire, n’est qu’un temps de réorganisation, une manière d’essuyer le sang avant de recommencer. C’est ce que montrent les précédents : 2014, 2021, 2023. À chaque fois, la promesse d’un répit n’a servi qu’à préparer le cycle suivant. Et pendant que les diplomates se félicitent, Gaza enterre ses morts dans le sable d’un territoire toujours assiégé, ses enfants amputés, ses citoyens affamés, ses journalistes et soignants quasi anéantis.
Certains nous reprochent notre méfiance. Ils nous disent : « Soyez heureux, c’est la paix ! » Mais la paix ne s’impose pas, elle se construit. Et elle ne peut se bâtir sur l’impunité, sur l’oubli, sur la peur. La paix suppose justice, retour, réparation. Or rien de cela n’est en vue. Ni reconnaissance du génocide, ni levée du blocus, ni reconstruction véritable, ni droit au retour pour les réfugiés. Rien, sinon une suspension temporaire du feu, conditionnée à la docilité d’un peuple qu’on veut faire plier, un peuple que le monde entier a abandonné, que le monde entier a appris à voir comme le peuple contre lequel tout est permis.
Nous regardons donc ce pseudo cessez-le-feu avec une vigilance grave, non par cynisme, mais par fidélité à la vérité. Nous avons trop vu pour être dupes. Nous savons que les mots de la diplomatie, quand ils ne sont pas accompagnés d’actes, servent surtout à désarmer la solidarité. Nous savons que c’est toujours quand le monde détourne les yeux que les crimes les plus lourds s’accomplissent.
Alors nous resterons éveillés. Nous continuerons à documenter, à dénoncer, à raconter. Nous continuerons à parler, même si les médias se taisent, même si les plateformes nous censurent. Nous n’avons pas le luxe de la naïveté. La vigilance n’est pas une posture : c’est une survie politique. C’est la condition même de notre solidarité.
Ce cessez-le-feu n’est pas la fin d’une guerre. Il est la preuve que le génocide continue autrement. Et notre devoir, plus que jamais, est de veiller à ce que les mots ne deviennent pas les complices des bombes.