Georges Corm, spécialiste mondialement reconnu du Proche-Orient, a débattu avec les Blanc-Mesnilois, d'une possible unité des peuples arabes après les révolutions.
Portrait de Georges Corm, invité de l'Université citoyenne, le 31 mai au Forum.Heureux d’intervenir «dans une ville au nom si poétique» et de «sortir des cercles bon chic, bon genre parisiens», Georges Corm était l’invité, le 31 mai au Forum, du second cycle de l’Université citoyenne, consacré aux révolutions dans le monde arabe. Professeur à l’Université Saint-Joseph de Beyrouth, il enseigne la gestion financière de l’Etat et la coopération économique internationale. Spécialiste mondialement reconnu de l’histoire du Proche-Orient, il est l’auteur de nombreux ouvrages sur ces questions. Son statut d’ancien ministre des Finances (1998-2000) de la République libanaise, fait également de lui un acteur et un témoin privilégié des évolutions politiques et socio-économiques du monde arabe. Le 31 mai, l’Université citoyenne sollicitait son expertise sur l’émergence ou non d’une unité des peuples arabes, malgré des situations disparates.
En désaccord avec les appellations de «printemps arabe» ou encore de «révolution du jasmin», Georges Corm préfère parler de révoltes, et même de révolutions en ce qui concerne la Tunisie et l’Egypte, où les mouvements populaires ont donné lieu à de réels changements politiques. «Ces dénominations ont été imposées par les médias. Elles renvoient aux mécanismes révolutionnaires d’Europe de l’Est et ne traduisent pas la complexité des situations du Proche-Orient», a-t-il précisé. Car, si l’immolation en décembre 2010, du vendeur de légumes Mohamed Bouazizi, a entraîné des soulèvements dans tous les pays de la zone sans exceptions, les formes prises et leurs conséquences ont divergé d’un Etat à l’autre. Selon l’économiste, on a cependant pu observer partout deux grandes étapes. «Il y a d’abord eu un rétablissement de l’unité de conscience dans tous les pays arabes, analyse Georges Corm. Cela a donné lieu à des mouvements très surprenants ne répondant à aucune des règles qui ont guidé les révolutions connues. On peut même parler de révoltes sans visages car elles n’étaient confisquées par aucun parti politique ni aucune figure charismatique.»
Georges Corm pendant sa conférence, le 31 mai au Forum.Les revendications portaient sur une volonté d’alternance politique et d’élections libres, mais dénonçaient aussi les injustices sociales, le chômage et la corruption. Après seulement deux mois d’une belle unité des peuples arabes, est venu le temps des contre-révolutions. «L’affaiblissement des dictatures a laissé place aux religieux, et les partis confessionnels, absents des révoltes ont fait leur apparition», explique l’historien. L’Arabie Saoudite est intervenue au Barheïn pour réprimer la contestation au régime. En Egypte, les éléments progressistes sont repoussés par une alliance entre l’armée et les Frères musulmans. En Tunisie, le parti Ennahda bénéficie d’un capital sympathie et s’impose facilement. Enfin, en Lybie et en Syrie, les manifestants sont armés, transformant les révoltes en un violent conflit contre les pouvoirs en place.
«Il était plus simple de parler des révoltes arabes à leurs débuts quand le paysage arabe s’unifiait», a regretté Georges Corm, tout en envisageant trois scénarios possibles pour l’avenir du Proche-Orient. Le premier consisterait en un retour à l’unité à la faveur de l’installation de démocraties libérales. Cela supposerait que l’Arabie Saoudite perde de sa puissance financière. Le second serait une alliance de l’Occident avec des pays à l’Islam apaisé. Enfin, le dernier scénario, que l’historien appelle de ses vœux, verrait la résurgence d’un nationalisme arabe débarrassé d’un référent religieux. «La pire hypothèse pour Israël et l’Otan qui perdraient ainsi de leur influence au Proche-Orient».
L'intégralité de la conférence en audio.
Delphine Loussert. Phots : Américo Mariano