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Billet de blog 29 avril 2023

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Casserolades, l'orchestre récalcitrant

Des casseroles présidentielles à la résurgence d'un « dodécacophonisme » populaire. 

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Illustration 1
une casserolade devant une mairie le 24 avril 2023 © Pala

Un ami qui a observé et pratiqué dans le passé les concerts de casseroles populaires et y a participé récemment m'envoie ce texte d'analyse, que j'ai un peu tardé à publier.

...

« c'est pas des casseroles qui feront avancer la France... » dixit le président de la République en Alsace.

Les casseroles, qui ont pris l'air à nouveau lundi dernier 17 avril, vers 19h-20h - pour l'allocution présidentielle suivant la promulgation rapide de la loi sur les retraites - ne sont déjà plus l'expression du ras-le-bol des Françaises et des Français suite à l'adoption de la loi sur les retraites sans vote au parlement (et à sa promulgation en urgence) ni suite au déluge de fer, de feu, de fumée et de sang de la répression des manifestants écolos à Sainte-Soline (contre les méga-bassines), c'est une expression composée et orchestrée du dialogue tel que l'entendent les Français rebelles à l'imposition des lois, des matraques et des grenades, tel que le chef de l'Etat et son gouvernement entendent l'exercice du « pouvoir ». Le porte-parole du gouvernement M. Attal a trouvé l'expression, comme le chef de l'Etat lui-même, « on ne discute pas avec une casserole ». Effectivement, les Français n'entendent plus, désormais, tenter de dialoguer avec des « gouvernants » qui n'entendent rien. On pourrait dire aussi « qui n'y entendent rien ». Le dialogue de sourds imposé par le chef de l'Etat et son gouvernement, notamment vis-à-vis des syndicats, qui n'ont pas été reçus, comme ils le demandaient, se retourne, de la sorte, dans une création populaire spontanée, rendant enfin l'injonction un peu niaiseuse dans le champ culturel et du spectacle « faites du bruit ! » pertinente et même judicieuse. Appropriée. Les casseroles, trainées par le chef de l'Etat depuis 6 ans sont en si grand nombre et et si tapageuses qu'elles font aujourd'hui un raffut, un tintamarre si sonore qu'elles couvrent sa voix et celles de ses zélés servants. Sa rencontre avec un jeune écologiste au Salon de l'Agriculture, il y a quelques semaines à peine était annonciateur (25 février)*. La vidéo de la scène a beaucoup tourné sur les réseaux sociaux. On retient notamment de son intervention la phrase définitive : "On ne peut plus demander gentiment, c'est nos vies qui sont en jeu".

Ce jeune homme est comme le prophète de la révélation et des temps nouveaux qui viennent peut-être : désormais, on n'écoute même plus la voix des chefs, on ne veut plus rien entendre de leur part, sachant qu'ils ne parlent généralement que pour proférer des mensonges et ne s'intéressent jamais aux réponses éventuelles. Les 100 jours d'apaisement promis par le chef de l'Etat vont se réaliser, désormais, dans ce joyeux tintamarre, jubilatoire et rassembleur apte enfin à réduire au silence les experts de la parole confisquée, des beaux-laids discours et du refus du dialogue démocratique. La vraie révélation , la seule, aujourd'hui, est que la population du pays France, (re)constituée en peuple, n'entend plus et ne veut plus entendre la propagande marchande des « vendeurs de bible »* au pouvoir. Et, c'est là le fait nouveau réel, elle le fait savoir, mieux, elle le fait « entendre », c'est-à-dire aussi comprendre. Et les médias dominants eux-mêmes se sentent obligés d'en rendre compte, comme Libération, dans son édition du 21 avril*.

Voire, mais les casseroles peuvent-elles peut-être faire reculer gouvernement et président...

Ici, on rend compte de faits – ces concerts de casseroles – qu'on aurait laissés dans l'ignorance, dans le silence il y a peu. Comme si cette population, redevenue « peuple » par la circonstance, avait enfin « trouvé les mots qu'il faut » (comme aurait dit un chanteur belge en vogue, il y a quelques décennies). Dans ce renversement de situation inattendu, on entend comme en écho la fameuse expression populaire lucide, mais fataliste « la dictature, c'est « fermes ta gueule ! », la démocratie c'est « causes toujours, tu m'intéresses... » ». Mais, cette fois, c'est le peuple qui dit cela à « ses dirigeants ». Celui-ci aurait-il gagné effectivement en « capacitation » ou « empowerment » (disent les anglo-américains) c'est-à-dire en « pouvoir d'agir » (dit-on plutôt en français) ? Et les gouvernants seraient-ils en train de perdre une partie de ce pouvoir ? On pourrait le croire, à lire encore cet article de Libération. On y apprend que plus de la moitié des visites/interventions des ministres prévues la semaine dernière ont dû être annulées pour cause de « casserolade » en vue ou à l'audition*. Cette nouvelle parole populaire serait-elle douée, par extraordinaire, de ce qui lui fait défaut habituellement, la faculté performative.

Même les déplacements présidentiels ont dû être modifiés, annulés, pour certains...

Ainsi, le concert de casseroles a déjà réalisé la performance, sinon de couvrir réellement la voix des « dirigeants » de ce pays, au moins celle de les réduire au silence, pour une part. Un résultat inespéré il y a quelques semaines.

Ces concerts de casseroles ont eu aussi le bon goût de porter le ridicule sur les pauvres mesures de répression adaptées de la part du « pouvoir » en place. Cet arrêté du préfet de l'Hérault interdisant les manifestations – ce qui est anti-constitutionnel – et les « dispositifs sonores portatifs », ce qui est assez risible. Tout cela dans le cadre de la visite du chef de l'Etat dans un collège du nom de Louise Michel, à Ganges, au coeur des Cévennes, mercredi 19 avril. On apprend ainsi l'impuissance relative du pouvoir en place face à ce surgissement créatif et libératoire des « gueux » et des « manants », de « ceux qui ne sont rien » dans le paysage ultra balisé et sur-protégé par ladite force publique du chef de l'Etat en campagne, pour une fois, dans les territoires reculés de la campagne intérieure française.

Mais c'est méconnaitre les Cévennes et leur culture que de programmer une visite propagandiste présidentielle sur un territoire qui a été celui des protestants remis en mouvement par la révocation de l'édit de Nantes, en 1685, due à Louis XIV et l'interdiction de leur culte. L'édit de Nantes, dû à Henri IV, en 1598, avait instauré la liberté confessionnelle et mit fin aux guerres de religion. Cette épopée guerrière, qui a duré quelques années tout de même (1702-1704, voire 1710), jusqu'à mobiliser deux maréchaux de France et 25000 soldats, a magnifiquement été mise en lumière naturelle par René Allio, cinéaste cévenol dans son superbe film « les Camisards ». Par ailleurs, encore, les Cévennes ont été la base stratégique et militante de la bataille contre l'extension du camp militaire du Larzac, dans les années 70 (1971-1981). Bataille victorieuse, ne l'oublions pas. Ces gens du pouvoir sont incultes ou s'imaginent pouvoir s'abstraire de la culture populaire. Ils sont « à l'ouest » ou, plus encore « à côté de leurs pompes », celles de l'Elysée, de Matignon...

Dans cet article de Libération, le récit d'un manifestant nous enseigne que les casseroles empêchées et confisquées à l'entrée de la commune par un cordon policier ont été remplacées par celles fournies par un bistrotier du coin.

Concert de casseroles, une tradition des peuples pour dire leur opposition aux puissants.

(Im)puissance, (in)suffisance et comédie du pouvoir autoritaire, bafoué et ridiculisé par sa réduction à une trame réglementaire dérisoire, dans un carnaval improvisé où les gestes des « carnavaliers » obéissent à des scénarios impromptus et non écrits, inconnus même des tenants du pouvoir. L'heur(e) du carnaval a-t-elle enfin sonné à l'horloge du temps présent ? Avec l'inversion de l'initiative dans l'agenda des autorités et l'invention des formes d'expression et de revendication venant enfin crever le plafond de verre des rapports de pouvoir. Les concerts de casserole réussiraient-ils là où le piétinement obstiné et répétitif des légions en marche (plusieurs millions de manifestants pendant plus de deux mois) sur le pavé (ou le bitume) a été lui-même bafoué et ignoré tout ce temps ?

« Le charivari est une démarche symbolique des membres d'une communauté villageoise, une démonstration empreinte de violence morale et parfois physique visant à sanctionner des personnes ayant enfreint les valeurs morales et (ou) les traditions de cette communauté. » « Le terme désigne aussi bien le défilé en lui-même qu'un bruit discordant généré par de nombreuses personnes, du tapage ou encore du bruit accompagné de désordre. ». Le concert de casseroles est une tradition ancienne et résolument politique. Son apparition la plus marquante en France est celle qui nait à l'instauration de la Monarchie de Juillet, en 1832, avec Louis Philippe, roi des Français et non plus de France, alors que la Révolution de 1830 aurait dû amener une République. Plus près de nous, ces concerts ont accompagné la bataille populaire contre la loi El Khomri, qui s'en prenait au code du travail, en 2016.

Cette forme typique de l'expression populaire pour dire son désaccord d'une manière qu'il fasse enfin du bruit est répandue dans le monde entier.

La musique « dodécacophonique » des concerts de casseroles de groupes de manifestants disséminés sur le territoire national, au gré des allées-venues officielles de nos « gouvernants » attitrés, serait-elle le réveil en fanfare de la puissance d'un peuple jadis épris de liberté, d'égalité et de fraternité, même ? D'une nation et d'un peuple chez qui tout finit par des chansons. « La Marseillaise », bien-sûr, comme dans le film, subtil et historique, de Renoir mais aussi bien « l'Internationale », créée durant la Commune de Paris, comme le si mélancolique, mais cyclique « Temps des cerises ». « La Carmagnole » qui est une danse, créée durant la Révolution française, ou cette autre dont le refrain « ça tremble dans le manche, les mauvais jours finiront » paraît parfois un peu sentencieux et illusoire.

Sans doute, le peuple français est-il musicien, aimant les chansons et danser (même au pied d'un volcan). Un séjour en Bretagne un peu prolongé, en plongée dans les rencontres sociales et festives, le montre à l'envi. Tous les Bretons savent chanter et danser leur culture.

Le peuple français est aussi joyeux, avec le sens de l'humour. Il le montre en ce moment d'une histoire du peuple français plus que de la France, cette entité culturelle et sociale souvent capturée et confisquée par des minorités, voire par un seul (avec la royauté absolue), comme il l'a montré dans le passé (avec la Fête de la Fédération).

Avec cette musique dodécacophonique, improvisée et partagée, le peuple français serait-il à même de retrouver « la joie de vivre », si chère à une longue dame brune comme à chacun(e) d'entre nous ?

Le plus extraordinaire dans ce concert de casseroles semi-permanent, c'est qu'il est le produit d'un orchestre amateur, sans chef (excepté les chefs d'accusation), et qu'il vient s'opposer, le plus dignement du monde, avec un humour communicatif, à un chef d'Etat et d'orchestre, qui a toujours voulu imposer à tous et toutes (y compris par la force et quoiqu'il en coûte), ses propres choix musicaux et, in fine, sa partition.

*https://twitter.com/BFMTV/status/1629471924354007041 rencontre au Salon de l'Agriculture : écologiste vs Macron.

*https://www.liberation.fr/economie/social/en-direct-reforme-des-retraites-suivez-les-deplacements-delisabeth-borne-et-de-plusieurs-ministres-20230421_2CY6IWUIQNCNFEZIBFR2UCFHWE/ article du 21 avril dans Libération sur les rendez-vous manqués des ministres et du président.

*https://france.attac.org/se-mobiliser/retraites-pour-le-droit-a-une-retraite-digne-et-heureuse/article/on-ne-les-lache-pas-la-carte-des-mobilisations carte des déplacements annoncés des ministres et du président pour organiser les charivari.

*« Le vendeur de bible » (« salesman ») est le titre d'un film documentaire des frères Maysles consacré aux évangélistes états-uniens militants de la religion révélée catholique, réalisé dans les années 60 (sorti en 1968).

Lundi 24 avril 2023

Pala

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