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Billet de blog 26 octobre 2018

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L'Éducation Nationale, pansement social d'une Démocratie malade.

On s’étonne. On en parle dans les diners ; une prof s’est faîte agressée avec un pistolet par un élève ; heureusement c’était un faux. On est rassuré. Un faux pistolet quelle idée. Mais quand même c’est terrible la violence en milieu scolaire.

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 L’Éducation Nationale, pansement social  d'une Démocratie malade.

On s’étonne. On en parle dans les diners ; une prof s’est faîte agressée avec un pistolet par un élève ; heureusement c’était un faux. On est rassuré. Un faux pistolet quelle idée. Mais quand même c’est terrible la violence en milieu scolaire.

Au début de ma carrière, elle existait à l’extérieur. Un élève qui plante un autre avec des ciseaux pendant un match de foot le dimanche et qui se fait embarquer dans le lycée ; un autre qui se fait arrêter la veille de son oral de bac, un dernier qui revient de prison. Nos élèves étaient normaux au sein de l’ établissement. Alors on essayait de les préserver du gouffre de la délinquance et on les gardait bien au chaud dans les cours en espérant que la violence ne nous les enlève pas. Redonner confiance dans le système, montrer que oui c’est possible d’avoir son bac en travaillant, les réveiller le matin par téléphone pour qu’ils viennent en cours. On avait encore la main et l’autorité qui allait avec. Alors bien sur, il y avait déjà les profs défaitistes  qui œuvraient en sdp (salle des profs), les "qu’est ce qu’on va en faire", "les ils sont fichus". On s’opposait dans une lutte de classe qui ne disait pas son nom. Des profs qui critiquaient des jeunes ignares qui ne connaissaient pas leurs vocabulaires, leur références, leurs lectures et voilà qu’ils étaient taxés d’idiots. Des profs le plus souvent grandis loin des univers de leurs cheres têtes qui n’étaient plus très blondes. Heureusement d’autres se démenaient avec empathie et ils étaient la majorité. SALUONS LES !!!  Des discussions de fin d’heure de cours ou pendant les modules en demi- groupe pour les convaincre d’arriver : des élèves délaissés au sein de leur famille, des gamines enceintes qui avortaient en cachette de leur mère et avec le soutien de leur prof, d’autres qui avaient subi un viol que l’on apprenait au détour de yeux embués. C’était aussi notre quotidien  de lycée de banlieue sans tomber dans un misérabilisme excessif.

Après ça,il y a eu aussi l’engagement dans un lycée "prévention violence". Quelle différence me direz-vous : deux profs principaux par classe, une solidarité forte entre collègues et des syndicats présents, quelques moyens. Si la misère aussi mais pas plus.  Des élèves plus agités en cours mais qui vous disent bonjour et vous demandent comment vous allez ? Un rôle plus important d’ éducation sur l’égalité filles- garçons, sur la prévention de l’homophobie quand un de vos élèves se fait taper par d’autres « camarades » dans la classe. Des initiatives pour faire réfléchir ces jeunes qui ont le plus souvent des repères clivants et qui ont deux fois plus besoin d’être sollicités sur le vivre ensemble. Des séances de cinéma avec plusieurs classes ;  des débats surréalistes pour nous les professeurs qui ne sommes pas souvent du même univers mais une vraie écoute de part et d’autre. En février, la dotation horaire globale arrive et avec elle  des blocus dans les froid et des jours de grève (nous ne sommes pas payés je le précise) pour garder des dotations horaires rognées tous les ans. Des beaux moment avec des élèves et des parents qui nous soutiennent le plus souvent.  Nous gagnons quelques heures mais pas la totalité et retournons dans nos classes jusqu’à l’année prochaine.

Un jour l’irréparable arrive : la violence. Après 7 années de loyaux services, une bousculade pour une histoire de bonnet à enlever sur la tête d’une personne extérieure à l’établissement qui se permet de vouloir s’en prendre à vous pendant que des élèves la retiennent. La peur d’avoir échappé à un coup et la lassitude tout à coup du bruit, des « niqes ta mère » et des « fils de pute », des  « wesh gros ». Des intrusions pour venir tabasser un jeune. Des élèves qui ont pris le territoire de l’établissement et qui ne se poussent pas pour vous laisser passer. Il faut jouer des bras pour rejoindre une salle de cour. Et ce bruit, ces hurlements et ces bousculades ; une envie de silence et de paix. On oublie la solidarité entre collègues et les belles amitiés et on demande sa « mut » pour Paris la Belle. Ce sera plus calme peut être…

On y est : un petit bahut technologique perdu dans les beaux quartiers. Mais on retrouve ce bruit et ces interpellations hurlées avec des écouteurs sur les oreilles qui rendent sonorisent les couloirs pendant les intercours. Des élève encore plus cabossés qu’en banlieue, écartés du système élitiste parisien.Les lycées ne sont pas sectorisés et chacun fait son marché. Les profs en face bloqués depuis des années y végètent pour certains. Pas assez de points pour bouger, demander sa mutation dans un lycée plus prestigieux. Alors on râle, on peste contre des élèves incultes qui ne peuvent pas se nourrir des connaissances apportées. Des cours deviennent des défouloirs et des profs sont en souffrance. Pas assez de poigne pour tenir des gamins en révolte nourris à la théorie du complot. Des initiatives heureusement de collègues : un poète haïtien pour redonner envie des belles lettres, un journaliste pour détruire les illuminatis, de beaux portraits de réfugiés rédigés par des élèves. Parmi les ronces poussent de belles fleurs. Beaucoup seront sauvés par un bac,  pansement social d’une République généreuse mais qui n’a jamais su mettre en œuvre  ces trois devises « Liberté, Égalité, Fraternité ». Ce sont des leurres que l’on agite dans des territoires qui se perdent dans les méandres d’une Démocratie malade. Les professeurs ne sont plus des hussards. Ils tentent de calmer les flots d’une tempête  à venir. Les convocations de parents qui insultent l’institution. Des conseils de discipline qui tournent en règlement de compte dont les membres sont menacés. Des exclusions temporaires ou définitives pour écarter les problèmes, des dépôts de plainte avec une direction qui fait face malgré tout avec les profs.

Alors on continue parce qu’on y croit. Des optimistes irréparables et imparables. On y croit sinon on se noie. On l’aime notre métier de prof parce que même si on se perd  et qu’on cherche le cap, on détient une boussole : le savoir.

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