Le résultat inquiétant des élections européennes, la dissolution surprise de l’Assemblée Nationale et l’annonce d’élections législatives anticipées ont été un coup de tonnerre et ont mis en lumière, s’il le fallait encore, l’emprise de l’extrême droite dans notre pays. Le parti fondé par Jean-Marie Le Pen n’a jamais été aussi proche du pouvoir, et c’est une catastrophe pour l’urbanisme tel que nous nous efforçons de le pratiquer au quotidien. Nous unissons donc nos voix, en tant que professionnel·les de l’aménagement des territoires, pour défendre les valeurs fondamentales qui guident notre travail, et appeler à une mobilisation massive contre le Rassemblement National et ses allié·es.
*
L’extrême-droite prône une politique inégalitaire, excluante et raciste, en contradiction avec les valeurs d’inclusion, de mixité et de citoyenneté que nous défendons dans nos projets. Permettre au Rassemblement National d’accéder au pouvoir, c'est approuver l'idée que nous n’avons pas toutes et tous le même droit à la ville. C’est allouer des moyens démesurés à la surveillance et au contrôle des usages dans l’espace public, au détriment de la liberté de circuler, de se rassembler et de s’exprimer pour toutes et tous. C'est oublier les populations les plus précaires et marginalisées dans des quartiers marqués par la ségrégation. C’est renforcer les processus d’exclusion en accentuant les difficultés d’accès au logement social au nom de la préférence nationale. C’est aussi contribuer à accentuer les inégalités entre les territoires, en privatisant et en affaiblissant des services publics essentiels, au premier rang desquels la santé et l’école, en freinant le développement des transports, en ajoutant de l’incertitude pour des acteurs économiques déjà fragilisés, en réduisant l’accès à la culture et à des lieux de convivialité en dehors des grandes villes.
Permettre au Rassemblement National d’accéder au pouvoir, c’est accepter le déni du dérèglement climatique et mettre un coup d'arrêt à la transition écologique, alors qu’il faudrait accélérer et mettre toutes nos forces dans cette bataille. L’alerte des expert·es du GIEC résonne encore : “il nous reste trois ans pour agir” ; c’était il y a deux ans. Dans les milieux naturels qui se vident de leur biodiversité, dans les quartiers où les logements sont des passoires énergétiques, dans les rues qui sont des îlots de chaleur, sur les terres agricoles grignotées par l’artificialisation des sols, dans les territoires exposés aux inondations, à la sécheresse et à la pollution, l’urgence est réelle. Réduire les investissements dans les projets écologiques et la recherche est une grave erreur, aux conséquences désastreuses et irréversibles pour les générations futures.
Ce n’est pas une fiction et, oui, on a déjà essayé. En Hongrie, le gouvernement de Viktor Orbán favorise les citoyens hongrois dans l'accès au logement social et avantage les “familles hongroises traditionnelles”, excluant de fait toute une partie de la population. En Italie, sous l'influence de partis d'extrême-droite, les budgets alloués à la réhabilitation urbaine sont réduits drastiquement, affectant particulièrement les quartiers défavorisés. De grands projets routiers et autoroutiers ont été lancés, aux dépens des transports publics et des mobilités douces. En Pologne, le gouvernement du PiS (Droit et Justice) a centralisé le pouvoir de décision en matière d'urbanisme, réduisant l'autonomie des collectivités locales, la participation citoyenne et la transparence dans les processus de planification urbaine. En France, à Orange et à Villers-Cotterêts, des lignes de bus, notamment de ramassage scolaire, ont été supprimées dans les quartiers excentrés, fragilisant l’accès à l’éducation pour des enfants déjà défavorisés.
Au pouvoir, le Rassemblement National et ses allié·es représentent aussi un danger pour nos métiers : les décisions prises au niveau national auront des conséquences immédiates sur la priorisation des budgets et sur notre capacité à agir au niveau local. Notre profession est engagée et prête à redoubler d’efforts pour relever les défis de ce siècle, mais nous avons besoin d’engagements politiques forts, concrétisés par une commande publique et des moyens à la hauteur. Face à une approche conservatrice et figée du patrimoine bâti et naturel, nous avons besoin d’expérimenter, de créer, de rendre vivant. Face aux coupes budgétaires prévisibles pour la culture et l’économie sociale et solidaire, nous défendons des financements publics dans ces secteurs qui font vivre les territoires. Face au déni de démocratie et à l’entêtement dans des projets imposés et stériles, nous devons redoubler d’humilité et d’écoute, et garantir le pouvoir des citoyen·nes sur le devenir de leur habitat.
*
Nous sommes urbanistes, paysagistes, architectes, géographes, ingénieur·es, concepteur·ices lumière, universitaires, étudiant·es, et nous lançons un appel à nos collègues et partenaires. Réunissons-nous, échangeons, sur nos lieux de travail et au sein de nos réseaux. En tant que professionnel·les et en tant que chercheur·ses, faisons entendre nos voix, participons au débat public, interpellons les figures politiques dans les médias et sur les réseaux sociaux. Auprès du grand public et dans notre entourage, transmettons ce que nous savons avec conviction.
Nous nous adressons aussi à nos concitoyen·nes. Avant, pendant et après les élections, mobilisons-nous contre le danger que représentent les politiques qui mettent en péril l’habitabilité de nos villes et de nos villages. Luttons pour préserver notre droit à vivre dignement dans des territoires prêts à faire face au dérèglement climatique. Organisons-nous, soyons présent·es dans l’espace public, et votons massivement le 30 juin et le 7 juillet prochains.
*
Le formulaire de signature, si vous êtes un·e professionnel·le de l'urbanisme et de l'aménagement au sens large, que souhaitez soutenir cet appel et signer la tribune.
La liste des signataires (régulièrement mise à jour).