Je m'insurge contre les propos tenus sur les demandes de " contrôle d'utilisation des allocations attribuées à des bénéficiaires."Je me réfère aux fameux "écrans plats" de la rentrée scolaire de septembre et toutes les déclinaisons qui abondent dans les médias où les réseaux sociaux. Etre bénéficiaire d'allocation sous-tend un droit assujetti à des petits revenus , à la constitution de la famille, voire à un handicap. Fréquemment, cela signifie être pauvre, notion qui socialement est caractérisée par le manque. Pour rappel, un chômeur c'est une personne sans emploi, un (e) S.D.F un(e) individu sans domicile fixe (pas toujours sans emploi). Pour ce dernier, je prends soin de stipuler, un(e) individu ce que l'acronyme utilisé couramment a supprimé, gommant l'être humain au profit du "sans". Les jeunes de 18 ans et plus, sortant de placement à l' Aide Sociale à l'Enfance , représentent un panel qui cumule une absence ou une impossibilité de soutien familial, pas de domicile, pas d'emploi, peu ou pas d'aide financière ou sur un court terme. Autant dire, qu'un boulevard s'ouvre devant eux, confirmé par les statistiques quant à leur trajectoire chaotique.
Le terme allocation a pour synonyme : attribution, assignation. Pour autant une attribution doit-elle assigner le bénéficiaire à des obligations de rendre des comptes du bon usage qu'il fait de l'allocation. Celle-ci semble revêtir un aspect de don et de redevabilité qui en est le pendant et incite tout à chacun, à exiger des justificatifs. Cette situation n'est pas sans rappeler les pratiques d'antan, des oeuvres de charité chrétienne qui prodiguaient volontiers leurs soins ou aides en faveur des pauvres. Si possible, des pauvres bien proprets sur eux, sobres, travailleurs, bons pères, bon maris et surtout bon chrétiens etc... Idem pour" les pauvresses "avec une exigence supplémentaire de bonne moralité, de vertu!
Dans l'exercice de mon métier de travailleuse sociale, certes j'ai rencontré quelques personnes qui pouvaient se montrer opportunistes et un tantinet roublardes, mais si peu. De plus, dans les situations d'authentiques difficultés de gestion , une tutelle était mise en place. La majorité des destinataires géraient à bon escient, priorisant les besoins des enfants ou les frais prioritaires au fonctionnement essentiel de la famille.
Au fil de ma carrière, j'ai observé que le fait d'ouvrir des droits pour une personne ne signifiait pas l'obtention automatique, pour peu qu'elle ait une attitude fière, droite, une bonne tenue vestimentaire. La légitimité de percevoir une aide redoublait la vérification accentuant le sentiment de dépendance.
En contrepartie de cette allocation, l'exigence d'exemplarité qui est attendue par nombre de contempteurs (euses) reste sidérante. Les politiques ont trouvé là un formidable tambour de résonance, eux que les médias ont mis en lumière dans leurs oeuvres de probité et de sobriété de leurs revenus: Messieurs Fillion, Cahuzac, D.S.K, Balkany etc... liste non exhaustive à réactualiser au fil des jugements des tribunaux. La perspective des élections 2022 amène certains (es) politiques à une escalade, une surenchère sur le registre de l'exclusion, de la stigmatisation, du racisme . Tous ces prétendants (es) au trône suprême ne devraient-ils pas être tenus de vivre 5 années, soit un quinquennat, en condition réel de précarité avec les revenus, le logement insalubre souvent dévolu aux plus modestes, les précaires. Sans aides de leurs réseaux de connaissance, juste livrés à eux mêmes et la fréquentation assidue de l'ANPE. Sans possibilité de maintenir des liens avec la famille restée en province où à l'étranger. Bref, une situation d'immersion totale.
Ne serait-ce pas là une excellente formation à la fonction présidentielle ? Ne pourrait-on pas baptiser cette école L'UNPF L'Université Nationale de la Précarité Française?
Tant que j'y suis dans le fait de rebaptiser, ne pourrions-nous pas renommer le mot allocation par " Indemnité de Compensation de Mauvais Traitement". Je pousse la caricature quand bien même j'utilise le mot traitement au sens de " rémunération ". Je présume que cette appellation n'obtiendra jamais d'agrément, trop riche de son double sens.
Mon propos est de fustiger tous ces jugements qui circulent et rappeler qu'à côtoyer toutes ces personnes dans la précarité, outre d'avoir fait de belles rencontres humaines, j'ai surtout vu des gens se débattre, très occuper à survivre. Si quelques uns profitaient de la misère des autres (eh oui, là aussi le monde des bisounours n'existe pas ) beaucoup continuaient à leur niveau d'être infiniment solidaires des autres.
En conclusion, il me semble que si l'autre n'est pas considéré, respecté comme un semblable, on le prive d'altérité. Cultiver l'assignation à la dépendance, à la honte de demander, de recevoir, de remercier, de justifier, de regarder les autres vivre librement, cela ne peut que contribuer à faire le lit de la révolte. Serait-ce indécent de rappeler que la honte, l'humiliation renvoie l'humain à un sentiment d'inhumanité.