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Docteur en sciences humaines (spécialité : histoire du livre et de l'édition), écrivain, conseiller littéraire

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Billet de blog 3 avril 2014

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Affaire de Montigny-lès-Metz : réflexions sur un procès mort-né

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« Dans l’affaire Dils, les déséquilibrés pullulent : ceux qui s’accusent à tort du double crime, ceux qui en accusent d’autres et les témoins qui affabulent. » : c’est qu’écrivait Me Dominique Inchauspé dans son livre paru en 2010 L’erreur judiciaire (Paris, Presses Universitaires de France, 2010, p. 365). Difficile de donner tort à l’avocat pénaliste parisien : cette affaire est une histoire de fous, et le procès mort-né de Francis Heaulme en constitue la preuve éclatante.

Lundi matin, première surprise : une heure et demie avant l’ouverture du procès, Francis Heaulme révoque son conseil Me Pierre Gonzalez de Gaspard. C’est ce dernier qui l’annonce aux médias dans la cour du Palais de Justice de Metz. Coup dur pour le vétéran du barreau, qui a travaillé six mois sur le dossier. Il est remplacé par Me Liliane Glock, autre avocate « historique » du « routard du crime », qui sera épaulée par Me Alexandre Bouthier et Me Stéphane Giuranna (les deux premiers sont de Nancy, le troisième d’Epinal). Précisons ici que, quoi que l’on puisse penser de la stratégie de défense qui était prévue par Me Gonzalez de Gaspard (se pencher sur un ancien suspect dans cette affaire, Henri Leclaire – j’y reviendrai), l’avocat a obtenu il y a dix-sept ans de cela l’acquittement de son célèbre client devant la cour d’assises de la Dordogne, le 5 avril 1997 (dossier du meurtre du jeune militaire Laurent Bureau commis à Périgueux le 8 mai 1986). (1)

Vers 18h00, c’est François-Louis Coste, magistrat en retraite, qui est entendu : il représentait le ministère public lors du dernier procès de Patrick Dils, celui ayant abouti à son acquittement (cour d’assises du Rhône, Lyon, avril 2002). Extraits de sa déposition : « J’ai été convaincu absolument de l’innocence de Dils, ce n’est pas une question de chose jugée mais de réalité incontournable » « Varlet [inspecteur divisionnaire du SRPJ de Metz, premier directeur d’enquête] avait la conviction de la culpabilité de Dils et il lui fallait un scénario. C’est de la pure imagination, mais que se passe-t-il quand il y a un crime comme ça et qu’on ne trouve pas l’auteur ? » « Il a été interrogé jusqu'à deux heures du matin par les enquêteurs. Je sais qu’à 16 ans on aime faire la fête, mais là ce n’était pas la fête. Je tiens cette façon de procéder pour déloyale » (2)

La question que je me pose, moi, est la suivante : qui a rappelé la véritable position de M. Coste à l’époque, bien plus contrastée ? Il est totalement faux d’écrire qu’il avait requis l’acquittement : c’était un réquisitoire placé sous le signe du doute, ne demandant ni condamnation ni acquittement. L’avocat général se montrait critique envers les premiers enquêteurs, certes, mais l’accusé n’était guère épargné pour autant : « Aveux inhumains, insoutenables, aussi insupportables que les photos du crime. Ils submergent à tel point que l'émotion s'empare de la raison. » « Voyez-vous, Patrick Dils, si j'avais eu à requérir devant la cour d'assises de la Moselle, [premier procès en janvier 1989] j'aurais requis condamnation. » « Alors, Patrick Dils, si vous bénéficiez du doute, ayez une nouvelle pudeur, de grâce, vous avez pris la place du meurtrier, ne venez pas disputer celle des victimes. Vous n'avez été victime que de vous-même ! » (3)

Mardi, 9h15 : témoignage d’Henri Leclaire, manutentionnaire aux éditions Le Lorrain à l’époque des faits, qui avait avoué le double meurtre à la PJ de Metz les 10 et 11 décembre 1986 avant d’être mis hors de cause. Son nom était revenu dans la procédure, Francis Heaulme l’ayant accusé par deux fois (janvier/février 2002), mais il a obtenu un non-lieu en mars 2013. Ecrire qu’Henri Leclaire a passé un mauvais quart d’heure (façon de parler : plus de trois heures) relève de l’euphémisme.

Confronté à Ginette Beckrich (la grand-mère d’une des deux victimes, qui avait signalé son cas à l’inspecteur Varlet à l’automne 1986) Francis Heaulme (qui a répété l’avoir vu descendre du lieu du crime) Marie-Christine Blindauer, une clerc d’avocat qui soutient avoir recueilli ses confidences il y a un an et demi – il lui aurait déclaré avoir « empoigné ou agrippé » les deux enfants, sans leur donner la mort – bombardé de questions par le président, l’avocat général et les avocats des parties civiles, le manutentionnaire retraité s’empêtre rapidement, alternant contradictions, mensonges et trous de mémoire réels ou simulés. Simple spectateur dans la salle, son avocat Me Thomas Hellenbrand ne peut intervenir, et c’est finalement Me Glock qui le fera avant la suspension de l’audience : « On ne peut pas interroger ce Monsieur dans ces conditions. Je ne participe pas à la curée. Cet homme mérite un avocat. »

Mardi après-midi, vers 14h15 : après Mme Blindauer, c’est l’autre « témoin-surprise » accusant Henri Leclaire qui est à la barre, un retraité de la SNCF, Jean Woffler. Il raconte avoir vu de sa cabine de conducteur de train l’ancien manutentionnaire marcher le long des voies ferrées le jour du drame. A en croire les comptes-rendus d’audience, le personnage a failli transformer la cour d’assises en théâtre de Guignol : pour expliquer son silence de 27 ans, il parle d’une grève aux ateliers de Montigny-lès-Metz, de ses difficultés à arrêter de fumer… le journaliste William Molinié se demande même si le témoin ne va pas terminer sa déposition par un « Poisson d’avril ! » (4)

Peu après 17h00, la décision à laquelle tout le monde s’attendait tombe : la cour d’assises de la Moselle « ordonne le renvoi de l’affaire à une session ultérieure » car « il pourrait exister des charges contre une autre personne » que Francis Heaulme. Clap de fin pour un procès mort-né. Le lendemain, le parquet de Metz ouvre une information judiciaire contre Henri Leclaire.

Reprenons ce qu’écrivait Me Inchauspé en 2010 et revoyons ce qui s’est passé en ce début de semaine à Metz.

* « ceux qui s’accusent à tort du double crime » : pendant longtemps, c’était Henri Leclaire qui passait pour être l’auteur de faux aveux, et non Patrick Dils. Or, le second a été acquitté le 24 avril 2002, et le premier est à nouveau dans le collimateur judiciaire depuis ce mardi. Nous verrons si les propos d’Henri Leclaire seront désormais considérés comme crédibles, mais il convient de ne pas oublier que, dans ses aveux des 10 et 11 décembre 1986, l’ancien manutentionnaire affirmait avoir tué les enfants avec « une seule grosse pierre », « une pierre de la grosseur d’une main ». Or, ce sont trois pierres qui ont servi d’arme pour tuer Cyril Beining et Alexandre Beckrich ; la quatrième, non utilisée, n’ayant reçu que des projections de sang.

* « ceux qui en accusent d’autres » : Francis Heaulme a désigné Henri Leclaire deux fois les 30 janvier et 20 février 2002, mais a retiré ses accusations dès le 22 février dans une lettre adressée à la présidente de la cour d’assises du Rhône, Yvette Vilvert – je possède une copie dudit courrier. Position disculpatoire qu’il maintiendra au procès Dils, à Lyon, en avril de la même année. Alors, que penser de ses propos à l’audience du 1er avril, considérant qu’il change de version comme de chemise (je serais tenté d’écrire comme d’avocat, mais ce ne serait pas gentil) ?

* « les témoins qui affabulent » : pour sûr, il y en a eu dans cette affaire… l’avenir nous dira de ce qu’il faut penser de Jean Woffler, l’ancien cheminot qui amuse la galerie lorsqu’il doit justifier un long silence de 27 ans. Bien sûr que cela pourrait prêter à rire, si ce n’était pas aussi grave.

Décidément, l’institution judiciaire est loin d’en avoir terminé avec la tragédie de Montigny-lès-Metz. Une histoire de fous, écrivais-je…

(1) Voir à ce sujet l’article de Dominique Richard pour Sud-Ouest (2 août 2009), comportant un entretien avec l’avocat, reproduit sur le site du libraire Stéphane Bourgoin :

http://www.au-troisieme-oeil.com/index.php?page=actu&type=skr&news=30692

(2) Compte-rendu de Marie-Laure Combes pour Europe 1 :

http://www.europe1.fr/France/Proces-Heaulme-mon-style-c-est-l-opinel-et-l-etranglement-1930685/

(3) Compte-rendu de Brigitte Vital-Durand pour Libération :

http://www.liberation.fr/societe/2002/04/24/un-requisitoire-en-plein-doute_401418

(4) Les informations relatives à cette journée d’audience sont issues du compte-rendu (actualisé en temps réel) de Vincent Vantighem pour 20 minutes.fr :

http://www.20minutes.fr/societe/1339201-20140401-direct-montigny-les-metz-audition-henri-leclaire-tres-attendue-vers-renvoi-proces

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