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Docteur en sciences humaines (spécialité : histoire du livre et de l'édition), écrivain, conseiller littéraire

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Billet de blog 11 juillet 2021

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Bref éloge de la complexité judiciaire

Le moins que l'on puisse dire, c'est que la justice n'a pas été épargnée par les critiques ces derniers mois.

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Suite à la décision de la Cour de cassation du 14 avril dernier  (dossier Sarah Halimi), et à la demande du groupe UDI, une commission d'enquête parlementaire afin de « rechercher d’éventuels dysfonctionnements de la justice et de la police » va être mise en place – la demande a été validée par l’Assemblée nationale le 30 juin. Pourquoi pas, bien sûr, mais espérons que cela ne sera pas un mauvais remake de la commission d'enquête relative au dossier Delay et autres, avec une juge d'instruction qui serait interrogée « comme un voleur de vélo » – pour reprendre l’expression de Christian Vigouroux, ancien directeur de cabinet du ministre de la Justice, à propos de l'audition de Fabrice Burgaud le 8 février 2006 (1).

Taxée de laxisme suite au verdict de la cour d'assises d'appel de Paris (nuit du 17 au 18 avril) dans l'affaire de Viry-Châtillon, l'institution judiciaire a également été vilipendée pour avoir cautionné une enquête de police – celle de la Sûreté départementale de l'Essonne – considérée à tort ou à raison comme partiale. Ainsi Le Canard enchaîné a t-il brocardé « la fébrilité et [...] l'amateurisme de certains enquêteurs sous l'œil passif des deux magistrats instructeurs » (2). Bref, pour les uns, la justice acquitte des coupables ; pour les autres, elle contribue à les fabriquer. Faites votre choix !

Deux magistrats, Chantal Arens et François Molins, respectivement première présidente et procureur général près la Cour de cassation, sont montés au créneau pour défendre l'institution dans différents médias (3) ; et face aux accusations de laxisme, le garde des Sceaux a rappelé les chiffres suivants lors de sa participation au Beauveau de la sécurité le 27 mai dernier : « 132 000 peines de prison ferme ont été prononcées en 2019, contre 120 000 en 2015 » (4). 

Bien sûr, la question se pose : les épilogues – provisoires ou définitifs – des dossiers judiciaires suscitant l’intérêt du public doivent-ils être fatalement source de polémiques ? Deux exemples récents nous incitent à répondre par la négative.

Le 25 juin dernier, la cour d’assises de Saône-et-Loire (Chalon-sur-Saône) a condamné Valérie Bacot à quatre ans de réclusion dont trois avec sursis pour l’assassinat de son époux et ex-beau-père Daniel Polette, un violeur doublé d’un proxénète, commis le 13 mars 2016. Même si ce verdict n’est pas totalement conforme aux réquisitions du ministère public – qui avait demandé cinq ans dont quatre avec sursis – il l’est tout de même dans l’esprit. En clair : fixer l’interdit sans réincarcérer Mme Bacot (qui avait effectué un an de détention provisoire), l’interdit étant bien entendu que nul n’a le droit de faire justice soi-même ; par ailleurs l’altération du discernement a été retenu – sur ce point en accord total avec le réquisitoire (article 122-1 du Code pénal).

Saluons ici le bel exposé prononcé par M. l’avocat général Eric Jallet devant la cour d’assises le matin du 25 juin, qui a parfaitement cerné « l’origine de l’immonde » dans ce  dossier :

« Elle n'a pas connu encore Daniel Polette, mais est déjà dans une situation intenable, avec un couple de parents en crise, ce qui va provoquer la construction d'une personnalité aux traits abandonniques. Un père absent. Un grand-frère agresseur sexuel quand elle a six ans. C'est fondateur aussi comme traumatisme.
Valérie Bacot présente toutes les vulnérabilités pour être la proie idéale du pervers sexuel. Mère peu protectrice, très fragile psychologiquement elle-même, violente...
Valérie Bacot va rechercher comme protecteur son agresseur.
Elle recherche un père, Daniel Polette va l'utiliser, sexuellement. » (5)

Par ailleurs, le représentant du ministère public est revenu sur la procédure de 1995, ayant abouti en avril 1996 à une condamnation de Daniel Polette à quatre ans de prison pour agression sexuelle sur mineure de moins de quinze ans – une correctionnalisation aberrante compte tenu de l’examen gynécologique prouvant une défloration précoce de Valérie Bacot :

« Quand la victime dit ‘j’ai dit oui’, la crainte du magistrat instructeur c’est d’aller aux assises avec un dossier qui ne tient pas. Alors, c’est peut-être horrible, mais c’est comme ça : pour éviter un acquittement aux assises, on va en correctionnelle et on obtient une condamnation pour agression sexuelle. » (6)

De manière générale, ce procès aura permis de confirmer que l’étiquette de « nouvelle Jacqueline Sauvage » répétée ici ou là est passablement inappropriée : Mme Valérie Bacot « a été soumise à une forme d’esclavage psychique » – expression de M. l’avocat général Jallet – ; ce n’était guère le cas de feu Jacqueline Sauvage, femme de caractère et habile au maniement des armes, et dont le mari Norbert Marot, personnage certes rustre, violent et porté sur la boisson, se situait bien en-deçà de celui qu’on a appelé « le monstre de la Clayette », le sieur Daniel Polette.

Le 7 juillet, la cour d’assises de Loire-Atlantique (Nantes) a condamné Hubert Caouissin pour le quadruple meurtre de son beau-frère Pascal, de l’épouse de ce dernier, Brigitte, et de leurs enfants Sébastien et Charlotte Troadec, commis dans la nuit du 16 au 17 février 2017 dans la commune d’Orvault, à trente ans de réclusion criminelle ; Lydie Troadec, sa compagne, a été reconnue coupable de recel de cadavres et de modification de la scène du crime (trois ans de réclusion, dont un avec sursis). Le tueur d’Orvault a échappé à la perpétuité, l'altération du discernement ayant été retenue : le diagnostic des experts psychiatres – les docteurs Roland Coutanceau, Paul Bensussan, Daniel Zagury et Michel Dubec – est unanime, Hubert Caouissin était atteint d'un « délire chronique de type paranoïaque ». Le quadruple meurtrier était intimement persuadé d'avoir été spolié par sa belle-famille de sa part d'un trésor composé de lingots et de pièces d'or, et son épouse Lydie nageait dans le même délire, hélas. En fait, il n'y avait sans doute pas plus de trésor caché que de beurre breton en broche…

En évoquant brièvement ces deux procès, je ne peux que rendre hommage aux cours d’assises de Saône-et-Loire et de Loire-Atlantique. Bien sûr, instinctivement, nous sommes tentés de dire que compte tenu des vingt-quatre ans de calvaire vécus par Valérie Bacot, et de l’atrocité du massacre commis à Orvault – quatre personnes tuées avec un pied-de-biche avant démembrement des cadavres – il aurait fallu acquitter l’ex-belle-fille et épouse de Daniel Polette comme l’ont demandé ses avocates Mes Nathalie Tomasini et Janine Bonaggiunta lors de leurs plaidoiries l’après-midi du 25 juin, et condamner Hubert Caouissin à perpétuité  avec peine de sûreté de vingt-deux ans, conformément aux réquisitions des avocats généraux Charlotte Gazzera et Stéphane Cantero (audience du 6 juillet après-midi). Mais ce serait oublier que l’acquittement de Mme Bacot au nom d’une hypothétique abolition du discernement évoquée par ses conseils était juridiquement impossible (7), et que la reconnaissance de l’altération du discernement chez un sujet exclut d’office une condamnation à perpétuité, le maximum étant fixé à trente ans.

En clair, dans ces deux dossiers, les cours d’assises légalement constituées ont su faire preuve de pédagogie – bien aidées en cela par le travail remarquable de plusieurs chroniqueurs judiciaires, je pense notamment à Jim Gassmann pour le procès de Valérie Bacot (Le journal de Saône-et-Loire) et à Corinne Audoin pour celui d’Hubert Caouissin (elle a assuré le Live-Tweet pour France Inter) (8).

Sans doute n’est-ce qu’une petite victoire contre les amalgames et autres généralisations abusives, contre les adeptes du « tout ou rien ». Mais cela ne peut que nous encourager à poursuivre la réflexion sur « la complexité de l’œuvre de justice » (9). Et ce n’est pas le travail qui manque…

P.S : bonnes vacances à tous les lectrices et lecteurs de mon blog !

[1] Cité par Pierre Rancé, Les ennemis jurés Juges et politiques, Paris, Robert Laffont, 2020, p. 179.

[2] Article signé M. B, D. H et C. L., « L'étrange désordre judiciaire et policier de l'enquête de Viry-Châtillon », Le Canard enchaîné, n° 5246, 26 mai 2021, p. 3.

[3] Entre autres, cet entretien accordé au Journal du Dimanche :

https://www.lejdd.fr/Societe/Justice/exclusif-les-magistrats-chantal-arens-et-francois-molins-linstitution-judiciaire-est-fragilisee-4050025

[4] Thibaut Chevillard, « Dupond-Moretti défend le bilan de la justice », 20 minutes, n° 3630, 28 mai 2021, p. 4.

[5] Compte-rendu d’audience de Jim Gassmann (passages en gras dans le texte) :

https://www.lejsl.com/faits-divers-justice/2021/06/25/faits-divers-justice-2021-06-25

[6] Compte-rendu d’audience de Florence Saint-Arroman :

 https://charolais-news.com/faits-divers/36550-assises-de-saone-et-loire-proces-de-valerie-bacot-5.html

[7] Je rappelle par ailleurs que le tribunal pour enfants de Mâcon avait condamné trois enfants de la famille à six mois de prison avec sursis pour recel de cadavre le 19 décembre 2019 (les deux fils et le compagnon de la fille de Valérie Bacot l’avaient aidé pour l’inhumation clandestine du corps de Daniel Polette en mars 2016).

[8] Mme Audoin a parlé avec justesse d’ « un verdict où la raison l'a emporté sur l'émotion, et l'humain sur l'horreur brute des faits » :

https://www.franceinter.fr/justice/proces-troadec-hubert-caouissin-echappe-a-la-perpetuite

[9] Une expression pertinente empruntée à un de mes préfaciers Jean-Michel Lambert (lettre datée du 16 juillet 2014), qui avait toujours soutenu mon travail sur Dame Justice et qui nous a quittés il y a quatre ans déjà, dans les circonstances que nous connaissons. C’est entre autres à sa mémoire que j’ai dédié mes deux derniers essais.

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