La nouvelle est tombée ce vendredi 12 août : le Tribunal d’Application des Peines de Melun a rejeté la demande de libération conditionnelle de Jacqueline Sauvage. Cette dame avait été condamnée par deux cours d’assises à dix ans de réclusion (le 28 octobre 2014 à Orléans, le 3 décembre 2015 à Blois) pour avoir tué à coups de fusil son mari violent Norbert Marot le 10 septembre 2012 à La Selle-sur-le-Bied (Loiret). Le 31 janvier dernier, le président Hollande lui avait accordé une remise gracieuse de sa peine d’emprisonnement de deux ans et quatre mois et de sa période de sûreté.
Ecrire que cette décision provoque un tollé en cette fin de semaine relève de l’euphémisme. A gauche comme à droite, on s’en donne à cœur joie : pour Jean-Luc Mélenchon, c’est une décision « injuste » et « cruelle », « un signal catastrophique envoyé aux femmes battues » selon Valérie Boyer (député LR) ; bien entendu, la présidente du comité de soutien à Jacqueline Sauvage, Eva Darlan[1] se dit « choquée, effondrée, atterrée », Osez le féminisme fustige une justice « sexiste et patriarcale », quant aux deux avocates de la condamnée, Me Nathalie Tomasini et Janine Bonaggiunta, elles n’ont pas, elles non plus, fait dans la dentelle lors de la conférence de presse organisée à leur cabinet, n’hésitant pas devant les parallèles grossiers : « Mais que faut-il être en France pour être libérée ? Faut-il être un terroriste, être armé et égorger des prêtres pour être libéré contre l'avis du parquet ? Je me pose encore la question » a déclaré la première. Rien que ça…
Plutôt que de se laisser étourdir par un tel matraquage, mieux vaut se pencher sur les motivations de la décision du TAP de Melun – un texte de 15 pages, ce qui n’est pas rien. Certes, nous ne disposons que d’extraits pour le moment, mais ils sont significatifs, notamment celui cité par Me Eric Morain, avocat parisien, sur son compte Twitter : « l’importante médiatisation de son affaire rend difficile une authentique démarche de réflexion pour Mme Sauvage, qui est encouragée à se cantonner dans un positionnement exclusif de victime[2] »
Quand je lis cela, je ne peux m’empêcher de penser à ce qu’avait déclaré il y a un peu plus de dix ans une grande magistrate : « Nous ne sommes pas là pour faire plaisir à une campagne de presse ou à un ministre[3]. » C’était Martine Anzani qui s’exprimait ainsi, le 24 janvier 2005, alors qu’elle présidait la commission de révision chargée d’examiner le dossier Seznec. Et ses propos sont toujours d’actualité. Rappelons-nous de quelques affaires retentissantes :
* le 11 avril 2005, la commission de révision ayant décidé de réexaminer le dossier, il était évident pour Denis Le Her que son grand-père, Guillaume Seznec (condamné au bagne à perpétuité le 4 novembre 1924 par la cour d’assises du Finistère pour le meurtre de son ami, le conseiller général Pierre Quémeneur – dont on n’a jamais retrouvé le corps – et pour faux en écriture) serait réhabilité à titre posthume ;
* la commission de révision ayant fait de même le 1er juillet 2010, et l’intéressé ayant été libéré le 8 du même mois, les soutiens de Dany Leprince étaient persuadés que celui-ci aurait droit à un nouveau procès (il avait été condamné à la réclusion criminelle à perpétuité avec peine de sûreté de vingt-deux ans par la cour d'assises de la Sarthe, le 16 décembre 1997, pour avoir tué son frère Christian Leprince, 34 ans, sa belle-sœur Brigitte Papillon, 36 ans, et ses deux nièces, Sandra et Audrey, respectivement âgées de 10 et 6 ans, crime commis commis à Thorigné-le-Dué au lieu-dit « L'Epinay d'en Bas » le 4 septembre 1994)
* en juin/juillet 2004, une lame de fond médiatique[4] nous persuadait qu’il y aurait treize acquittements au terme du procès relatif au dossier Delay et autres (cour d’assises du Pas-de-Calais, Saint-Omer).
Mais bien sûr, c’est mathématique… en fait, le « mais bien sûr » ce sera à prendre au second degré – à la manière de la dame brune qui, dans une publicité culte, semblait sceptique quant aux exploits d’une marmotte mettant du chocolat dans du papier alu. Eh oui, au final, patratac :
* 14 décembre 2006 : la Cour de révision se prononce contre la réhabilitation de Guillaume Seznec ;
* 6 avril 2011 : la Cour de révision refuse un nouveau procès à Dany Leprince, et le renvoie illico presto derrière les barreaux ;
* 2 juillet 2004 : la cour d’assises du Pas-de-Calais ne prononce « que » sept acquittements, pour dix condamnations (l’acquittement des six accusés clamant leur innocence n’interviendra qu’en appel, à Paris, le 1er décembre 2005).
Tout ceci nous rappelle une chose : de même que les magistrats n’aiment guère que, dans les salles de tribunaux correctionnels ou de cours d’assises, les supporters d’une des parties en présence viennent faire la claque (j’ai pu le constater par moi-même en tant que spectateur de divers procès) l’institution judiciaire n’aime guère les tentatives d’instrumentalisation en tous genres. Et dans le cas de Jacqueline Sauvage, nous en avons une de taille : l’instrumentalisation du douloureux problème de la violence conjugale[5]. Stéphane Durand-Souffland l’a rappelé à juste titre : ce sont tout de même 21 magistrats – professionnels et jurés – qui ont jugé Jacqueline Sauvage, et « il faut être logique, si par deux fois des jurés populaires ont décidé qu’il fallait condamner Jacqueline Sauvage, c’est que le dossier ne ressemble pas exactement à ce que disent ses défenseurs à travers la pétition[6] ». Le chroniqueur judiciaire du Figaro parle même de « camouflet » pour « tous ces gens qui ont fait leur boulot de juge ». En effet, comment peut-on imaginer que 21 personnes soient des émules cachés de quelques illustres brutes épaisses comme feu Ike Turner, l’époux toxicomane de la célèbre chanteuse de rock, ou du docteur Sayed Bozorg Mahmoody, le mari parjure de Betty Mahmoody (se reporter à l’autobiographie de cette dernière, Jamais sans ma fille) ? Tout cela n’est pas très sérieux.
Entendons-nous bien : je n’ai rien contre Jacqueline Sauvage, je ne suis pas là pour la diaboliser ou pour faire de sa victime Norbert Marot un candidat à la canonisation. Et depuis longtemps votre serviteur a conscience que la vérité judiciaire n’est pas toujours le reflet de l’exacte vérité. Mais dans le cas présent, d’après les informations dont je dispose[7], le dossier relève davantage de la vengeance privée que de la légitime défense dans le cadre de violences conjugales. Il ne sert à rien de tout mélanger, de mettre sur le même plan Mme Sauvage et Alexandra Lange, acquittée du meurtre de son mari, tué d’un coup de couteau lors d’une violente dispute la nuit du 18 au 19 juin 2009 à Douai (arrêt de la cour d’assises du Nord, Douai, 23 mars 2012). On nous répète jusqu’à plus soif « Pas d’amalgame », mais il faut croire que dans certains cas de figure, il est ouvertement encouragé.
Je terminerai en disant aux féministes qui soutiennent Jacqueline Sauvage, dont je ne conteste guère les bonnes intentions, qu’il y a une femme, en France, qui, bien sûr, mérite d’être critiquée lorsque cela se justifie. Mais qui a horreur d’être violentée : c’est Dame Justice.
[1] Que, pour ma part, je préfère en tant que comédienne ; je l’aimais beaucoup dans les émissions humoristiques de Jean-Michel Ribes comme Merci Bernard ou Palace.
[2] Consulter cette page :
[3] Mme Marylise Lebranchu, ancienne Garde des Sceaux du gouvernement Jospin, qui avait soutenu la demande de révision du dossier Seznec.
[4] Il y aurait même eu, en amont, une volonté d’exploitation tant littéraire que commerciale du procès devant se dérouler devant la cour d’assises du Pas-de-Calais, d’après les souvenirs d’Erick Maurel, procureur de la République au tribunal de Saint-Omer : « Mais mon premier étonnement fut de découvrir qu’avant même le début du procès plusieurs de ses acteurs et commentateurs avaient déjà négocié la publication de livres sur son déroulement. Dès le premier jour des débats, en mai, les “marchands du temple judiciaire” se targuaient des ouvrages qu’ils publieraient à compter du mois de septembre. Les contrats étaient déjà signés ! Je trouvais, à tort ou à raison – et c’était là uniquement mon sentiment, non une vérité –, qu’il y avait quelque chose d’indécent à s’enorgueillir de ce que l’on serait présent sur les étalages des libraires, alors même que, dans l’enceinte judiciaire, était en train de se jouer la vie des parties civiles et des accusés. » (Paroles de procureur, Paris, Gallimard, 2008, p. 230-231).
[5] Je recommande les bonnes mises aux points de Me Régis de Castelnau et du magistrat honoraire Philippe Bilger :
http://www.causeur.fr/jacqueline-sauvage-proces-prison-39620.html
http://www.philippebilger.com/blog/2016/08/jacqueline-sauvage-victime-de-ses-soutiens.html
[6] Chacun sait que je ne partage pas toutes les analyses de M. Durand-Souffland, mais sur cette affaire, difficile de lui donner tort. Vidéo consultable ici :
[7] Pour le moment, j’ai pu obtenir la feuille de motivation du verdict, ni auprès de l’avocate de la partie civile, ni auprès des avocates de la défense. Un document certainement très instructif.