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Docteur en sciences humaines (spécialité : histoire du livre et de l'édition), écrivain, conseiller littéraire

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Billet de blog 14 juillet 2013

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Dossiers judiciaires en ligne : ce qu'on peut en penser

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Ce mercredi 10 juillet était diffusée, sur LCP (La Chaine Parlementaire) et avec une semaine de différé,  l’émission Ca vous regarde animée par Arnaud Ardoin et intitulée « Acquittés d’Outreau Et si la justice s’était trompée ? ». Emission qui, on s’en doute, était consacrée au futur renvoi de Daniel Legrand fils devant la cour d’assises des mineurs pour viols et agressions sexuelles. Participaient au débat animé par M. Ardoin le député UMP du Rhône Georges Fenech, les avocats Me Jean-Christophe Boyer et Julien Delarue (défendant respectivement les frères Delay et Daniel Legrand fils) et Jean-Michel Décugis, journaliste à l’hebdomadaire Le Point.

Pour qui connaît quelque peu cette affaire comme votre serviteur, pas de grande révélation ce soir-là, certes ; ce qui m’a marqué, néanmoins, c’est l’intervention de Me Delarue, déclarant à propos des pièces du dossier gênantes pour son client – dans lesquelles il reconnaît sa participation aux crimes commis à la Tour du Renard : « puisque ces PV circulent sur Internet à tour de bras, il faudrait d’ailleurs mettre tout le dossier d’Outreau »

De prime abord, la suggestion de l’avocat lillois n’est pas inintéressante. Pourquoi pas, en effet, rendre accessible à tous le dossier Delay et autres dont on fit tant de gorges chaudes ? Cela pourrait permettre au public de comprendre que, s'il ne s’agissait certes pas d’une variante ch’ti de l’affaire Dutroux (1), ledit dossier (30 000 pages) n’était pas une coquille vide pour autant ; l’internaute lambda découvrirait par ailleurs l’intégralité des éléments à charge et à décharge qui y figuraient.

Du reste, il est intéressant de noter que, concernant un autre dossier judiciaire célèbre – auquel on a parfois comparé l’affaire Outreau d’ailleurs – les pièces ont récemment été mises sur Internet par le SHD (Service Historique de la Défense) : le fameux «dossier secret » Dreyfus. (2) En s’y plongeant, peut-être les inflexibles croyant toujours en la culpabilité du capitaine prendraient-ils conscience du gloubiboulga juridique sur lequel était batie l’accusation de l’état-major entre 1894 et 1899. Pour ma part, je ne serais pas hostile à la mise en ligne d’un dossier tel que celui de la disparition de Pierre Quémeneur (507 pièces) : ceux et celles qui, de bonne foi, pensent comme le petit-fils du condamné Guillaume Seznec qu’il s’agissait d’une enquête baclée, avec un inspecteur de police douteux omniprésent dans les investigations (Pierre Bonny), constateraient preuves en main que les choses étaient bien différentes.

Alors, une bonne idée que celle de Me Delarue ? Oui, mais... pas tout à fait finalement. Souvenons-nous des réactions pour le moins houleuses lorsqu’on a découvert fin août 2010 que le site Wikileaks proposait un document de 1235 pages directement issu du dossier Dutroux, et ce depuis le 17 avril 2009. Cédric Visart de Bocarmé, procureur général de Liège, avait notamment déclaré sur la RTBF : « Ce sont des infos vraies, fausses, très disparates qui mettent en cause une série de gens qui n'ont parfois rien à se reprocher, qui ont simplement été cités dans une enquête, qui se voient ainsi exposés, peut-être au mépris public sur Internet, alors qu'en réalité, ces éléments doivent rester secrets dans un dossier judiciaire » Difficile de donner tort au magistrat ; du reste, lesdites personnes ont dû fort peu goûter la révélation de leurs coordonnées et autres relevés bancaires. Alors, imaginons le tollé que déclencherait la mise en ligne intégrale ou partielle du dossier instruit par Messieurs Fabrice Burgaud et Cyril Lacombe, dont les photos, noms et adresses d’habitants du Pas-de-Calais interrogés par les enquêteurs avant d’être mis hors de cause ! Quant aux enfants cités dans la procédure, eux non plus n’apprécieraient sans doute pas un tel déballage sur la place publique on line.

On l’aura compris : si je ne suis pas a priori hostile à la mise en ligne de dossiers judiciaires (notamment ceux qui ont une valeur historique certaine, tel celui sur le capitaine Dreyfus), la prudence demeure de mise quand il s’agit d’affaires criminelles récentes, dont la plupart des protagonistes sont encore en vie. L’étude approfondie desdites affaires est nécessaire, passionnante même... à condition de ne pas oublier toute précaution.

(1) La justice belge avait affaire à des rapts, viols et meurtres de fillettes et d’adolescentes, un scénario différent de celui du dossier Delay et autres. Par ailleurs, n’oublions pas que Marc Dutroux était avant tout un psychopathe (consulter à ce sujet le livre du journaliste feu René-Philippe Dawant, Marc Dutroux le dossier, Bruxelles/Luc Pire, Charleroi/RTBF, 1997, p. 11) : aucun des condamnés définitifs du procès de Saint-Omer ne correspondait à ce critère.

(2) Pour en savoir plus :

http://www.affairedreyfus.com/#!/p/dossier-secret.html

P.S : Bonnes vacances à tous mes lecteurs et lectrices !

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