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Docteur en sciences humaines (spécialité : histoire du livre et de l'édition), écrivain, conseiller littéraire

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Billet de blog 19 décembre 2021

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Dernières nouvelles de la justice parallèle

La récente effervescence autour d'un célèbre dossier criminel vieux de trente ans ne doit pas nous empêcher de garder la tête froide. Ce que je m'efforce de faire dans ce dernier billet de l'année 2021...

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« Livres, films, émissions de télévision, pistes farfelues, accusations infondées : le présumé mystère de Mougins revient régulièrement sur le devant de l’actualité. » C’est ce qu’écrivait Stéphane Durand-Souffland le mois dernier dans Le Figaro (1), et il serait malaisé de lui donner tort.

Le 16 décembre, la commission d’instruction de la Cour de révision s’est prononcée pour un complément d’information dans le dossier Omar Raddad, l’ancien jardinier marocain condamné à dix-huit ans de réclusion criminelle pour le meurtre de sa patronne Ghislaine Marchal par la cour d’assises des Alpes-Maritimes (Nice, le 2 février 1994), crime commis dans la cave de la villa de la victime (« La Chamade », sur les hauteurs de Mougins) le 23 juin 1991. Explications de France Info : « Quatre empreintes génétiques correspondant à quatre hommes différents ont été retrouvées sur deux portes et un chevron de la scène du crime. Deux d'entre elles étaient parfaitement exploitables, les deux autres partiellement. » (2) Rappelons que c’est sur ces portes que figuraient les inscriptions faites avec le sang de la malheureuse Mme Marchal : « Omar m’a tuer » et « Omar m’a t ». L’article précise : « Dans des notes de 2019 et 2020, l'expert en génétique avait relevé la présence de 35 traces d'un ADN masculin inconnu sur l'inscription “Omar m'a t”» (3). Ledit spécialiste, Laurent Breniaux, expert judiciaire près la cour d’appel d’Aix-en-Provence, a écrit ceci dans son rapport : « La localisation de cette empreinte génétique, son omniprésence uniquement au niveau des zones d'écriture, et plus précisément au niveau des lettres ensanglantées, interrogent sur l'activité qui a pu conduire à sa présence. Les hypothèses de pollution et contamination du scellé par un intervenant extérieur deviennent peu probables alors que les hypothèses de transfert primaire direct ou indirect au moment des faits le deviennent de plus en plus. » (4)

Naturellement, dès que la nouvelle est tombée, c’était Noël avant l’heure sur les réseaux sociaux : enfin, Dame Justice qui avait honteusement cédé aux sirènes du racisme en février 1994 va corriger sa faute, Omar Raddad va être officiellement innocenté, etc. Une promenade sur Twitter permet cette fois encore de savourer un sottisier de premier choix ; quelques exemples parmi d’autres : « Heureusement la révision du procès d'Omar Raddad est acceptée, la partie de cluedo pour les nuls av une seule tête de maghrébin coupable est terminée » (Juju, 16 décembre), « Donc dans l'affaire Omar raddad la victime a eu le temps d'écrire Omar m'a tuer genre son doigt c'etais un pinceau et attention elle a pas oublié de mettre l'apostrophe à m'a c'est important de bien écrire quand t'es à l'agonie » (zak, 16 décembre), « Ghislaine Marchal importante contributrice dans le financement des partis politiques pleurée par son “fils” avec des pseudos larmes de crocodiles le lendemain du verdict du procès Omar Raddad, je m'en souviens comme si c'était hier. La justice doit bien chercher où il faut!! » (The great Phil Lynott,17 décembre) (5).

On le constate : le tribunal « 2.0 » est toujours aussi nuancé, et nous sert sur ce dossier une mayonnaise peu comestible. Dans d’autres affaires, le manichéisme règne également en maître, qu’il s’agisse de sacraliser ou de diaboliser X ou Y ; je pense, entre autres, aux récentes accusations mutuelles de violences physiques entre les deux judokas (et amants) Margaux Pinot et Alain Schmitt, ou à d’autres dossiers déjà évoqués sur mon blog : Grégory Villemin – le défunt juge Lambert souvent vilipendé comme d’autres protagonistes de l’affaire, Murielle Bolle présentée comme une sorte de machine à blanchir les coupables avec son accent vosgien –, Sarah Halimi (la justice accusée de complaisance pour l’antisémitisme islamiste), et j’en passe… Comme c’est facile de commenter des affaires judiciaires dont on ne sait rien, entre un achat sur Amazon et la signature d’une pétition contre la pollution, le chômage, la Covid-19 ou la protection des bébés phoques dans le Lubéron.

La famille de Ghislaine Marchal a pris acte de la décision de la commission d’instruction : « Elle espère que ce nouveau volet judiciaire se déroulera dans un climat médiatique apaisé » selon un communiqué de presse de Me Anne Sevaux, membre de l’Ordre des avocats du Conseil d’Etat et à la Cour de cassation. Pour le « climat médiatique apaisé », je dirai clairement que nous ne sommes pas sortis des ronces, vu les récents commentaires sur cette affaire. Qu’il me soit permis de rappeler que l’enquête menée par le capitaine de gendarmerie Georges Cenci et ses hommes n’a nullement été bâclée, ils ont exploré toutes les pistes (y compris en Suisse), et leurs investigations ont duré près de deux ans, jusqu’au 14 avril 1993. Contre Omar Raddad existaient des présomptions bien réelles, qui n’avaient rien à voir avec un présumé délit de faciès : de sérieuses difficultés financières – argent perdu dans les machines à sous ou dépensé auprès de dames exerçant « le plus vieux métier du monde » –, alibi peu fiable, expertises désignant Mme Marchal comme l’auteur des inscriptions aussi sanglantes qu’accusatrices… Du reste, une question-choc reste en suspens : comment un assassin machiavélique souhaitant faire accuser un jardinier nord-africain aurait-il pu deviner qu’Omar Raddad se rendrait à la villa « La Chamade » ce 23 juin 1991 ? L’intéressé n’était pas censé rendre visite à sa patronne ce jour-là. Enfin, plutôt que de se lancer dans une chasse au coupable de substitution, il faudra s’assurer que l’homme-mystère évoqué dans le travail de M. Breniaux était bien dans la zone géographique du crime ledit 23 juin. Trente ans après, ces vérifications ne seront pas faciles à effectuer.

Dans la première édition de son livre Le bûcher des innocents, l’ex-journaliste Laurence Lacour dénonçait naguère « une inquiétante justice par Minitel », en se référant à Paris Match qui invitait son lectorat à donner son avis sur l’affaire Grégory via son 36 15 (6). Cela ne volait pas bien haut, en effet, mais c’était de la roupie de sansonnet par rapport à la cyber-justice parallèle qui sévit depuis plusieurs années, et sur laquelle j’ai commis un ouvrage paru en septembre 2019. Aujourd’hui encore, le sujet demeure d’actualité, et doit retenir toute l’attention des observateurs sinon impartiaux – peut-on l’être totalement ? –, du moins vigilants.

P. S : excellentes fêtes de fin d’année aux lectrices et lecteurs de mon blog !

(1) « Soubresauts judiciaires, éclats médiatiques », Le Figaro, 23 novembre 2021, p. 11.

(2) https://www.francetvinfo.fr/societe/justice/affaire-omar-raddad-comment-l-enquete-a-t-elle-ete-relancee_4884615.html

 (3) Ibid.

(4) https://www.lepoint.fr/justice/l-adn-peut-il-innocenter-omar-raddad-23-06-2021-2432376_2386.php

(5) Cet internaute ignore sans doute que ce genre de propos parfaitement diffamatoires envers Christian Veilleux, le fils de la victime, n’avait pas été sans conséquences sur le plan judiciaire par le passé ; pour ne citer qu’un seul exemple :

https://www.nouvelobs.com/societe/20021010.OBS1218/jean-marie-rouart-condamne-pour-diffamation.html

Par ailleurs, cette piste d’une machination familiale a été écartée par un arrêt de la Cour de révision du 20 novembre 2002 ; le texte est consultable ici :

https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000007070659/

(6) Le bûcher des innocents, Paris, Plon, 1993, p. 643. Paris Match avait proposé le même type de jeu à son lectorat quelques jours avant l’ouverture du procès du duo Richard Roman/Didier Gentil pour le viol et le meurtre de Céline Jourdan (30 novembre 1992, cour d’assises de l'Isère, Grenoble ; le jeu était signalé dans l’édition du 25 novembre). L’idée était de répondre par oui ou par non sur la culpabilité de Richard Roman via le Minitel. J’avais parlé de cela avec Me Henri Leclerc, avocat de Roman à l’époque, lors d’une conversation au Salon du livre judiciaire (Association française pour l’Histoire de la Justice, Ministère de la Justice, 1er décembre 2018). Le vétéran du barreau m’avait informé que c’était un de ses confrères, conseil de l’hebdomadaire à sensation, qui avait fait supprimer ce jeu du 36 15 Paris Match.

Sur les principales affaires évoquées ici, voici quelques liens intéressants :

Sur l’affaire Céline Jourdan (juridiquement close) :

http://celinejourdan1.free.fr/

Sur l’affaire Grégory (un peu en sommeil ces temps-ci), une chaine YouTube proposant de nombreuses vidéos très bien documentées :

https://www.youtube.com/channel/UCedbmWa4coWpCFFHe3jE-5w

Sur l’affaire Ghislaine Marchal, consulter le site de Georges Cenci, le directeur d’enquête et auteur du livre Omar l’a tuée Vérité et manipulations d’opinions (Paris, L’Harmattan, 2003) :

http://omarlatuee.free.fr/

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