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Billet de blog 23 octobre 2012

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Affaires sensibles : de la nécessité de consulter les textes de référence

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Ce mardi 23 octobre, le ministre de l’Intérieur, M. Manuel Valls, a rendu public le rapport de l’IGPN (Inspection Générale de la Police Nationale, les célèbres « Bœufs carottes ») relatif à Mohamed Merah, le tueur de Toulouse qui a défrayé la chronique en mars dernier. L’occasion pour moi de vous livrer les quelques réflexions qui suivent.

Nous avons parfois le tort, en France, un tort bien regrettable, d’évoquer certains sujets sensibles – et les affaires judiciaires entrent souvent dans cette catégorie – de manière partielle, voire caricaturale. Les exemples abondent tel les sangliers dans le maquis de l’Ile de Beauté : le capitaine Dreyfus a été condamné par le Conseil de guerre sur la base d’un faux le 22 décembre 1894, les trois magistrats de la chambre d’accusation de la Cour d’Appel de Paris (le président Jean-Pierre Henne, et de ses deux assesseurs, Yves Chagny et Jean-Paul Dupertys) ont voulu blanchir l’ancien chef milicien Paul Touvier et l’Etat français dans leur arrêt du 13 avril 1992, Fabrice Burgaud, magistrat instructeur du dossier Delay et autres, s’est conduit en machine à broyer des innocents, voir comme un ersatz de l’Obersturmbannführer (lieutenant-colonel) SS Adolf Eichmann ou de l’évêque Pierre Cauchon… Tout récemment encore, le président de la République a pointé la responsabilité de la police parisienne dans la « sanglante répression » de la manifestation  du 17 octobre 1961.

Tout cela est bien joli, mais en se rapportant aux textes de référence sur lesdites affaires (rapports et décisions de justice), on s’aperçoit que la vérité est tout de même un tantinet plus complexe. Aussi est-il bon de rappeler que :

* Le bordereau annonçant la livraison de renseignements à l’attaché militaire allemand Maximilien Von Schwartzkoppen n’était pas un faux, mais un document faussement attribué au capitaine Dreyfus, dont l’auteur était le commandant Charles Ferdinand Walsin-Esterhazy (voir arrêt de la Cour de Cassation du 12 juillet 1906). La nuance est de taille. (1)

* L’arrêt N° 3954/91 de la première Chambre d’accusation de la Cour d’Appel de Paris daté du 13 avril 1992 n’a pas innocenté l’ancien chef des services de renseignements de la Milice française à Lyon puisqu’on y retenait contre lui des « charges suffisantes » concernant la complicité de « meurtres avec préméditation » de sept personnes à Rillieux-la-Pape les 28 et 29 juin 1944, tout en estimant qu’il ne s’agissait pas d’un crime contre l’humanité. Quant au régime pétainiste, Jean-Pierre Henne a rappelé qu’il faisait « dans l’arrêt, l’objet d’appréciations sévères, qui étaient développées avec la volonté de saisir globalement, avec mesure, sans anathèmes, ni invectives, les enchaînements essentiels ». (2)

* Si le Conseil Supérieur de la Magistrature a infligé à M. Burgaud une « réprimande avec inscription au dossier » dans sa décision du 24 avril 2009, on ne saurait passer sous silence les deux attendus suivants, qui ont le mérite de nuancer le sombre portrait qu’on a souvent dressé du jeune magistrat :

« Attendu que si, compte tenu de l'horreur des faits révélés concernant de très jeunes victimes, comme du nombre et de la durée des détentions provisoires prononcées, l'affaire dite “d'Outreau” a connu un profond retentissement médiatique, ces circonstances ne sauraient être imputées à M. Burgaud, la décision de mise en détention ne relevant pas des compétences du juge d'instruction ;

Attendu que les insuffisances retenues dans le dossier à l'origine de l'acte de poursuite n'ont pas été relevées dans les nombreuses autres procédures dont M. Burgaud avait la charge ; que, pour ce dossier, le travail du juge d'instruction n'a suscité, à aucun moment, d'observations de la part des magistrats, parfois très expérimentés, du siège ou du parquet, qui étaient appelés à suivre ou à contrôler l'information ; qu'en outre, aucune demande d'annulation de la procédure n'a été présentée par la défense à la chambre de l'instruction ; que l'affaire dite “d'Outreau” constituait, notamment du fait du grand nombre de personnes mises en cause, comme de celui des jeunes victimes, un dossier d'une difficulté tout à fait exceptionnelle ; que, par ailleurs, M. Burgaud dont l'investissement professionnel n'est pas contesté, n'a pas disposé de moyens humains et matériels lui permettant de traiter ce dossier dans les meilleures conditions ; » (3)

* Enfin, concernant le récent 51e anniversaire de la manifestation du 17 octobre 1961, M. Hollande devrait prendre connaissance du rapport commandé par Lionel Jospin, alors Premier Ministre, daté de janvier 1998. Ledit rapport a le mérite de replacer les évènements dans le contexte extrêmement tendu de l’époque, de rappeler les 47 policiers parisiens victimes d’attentats meurtriers entre 1957 et 1961 (dont 22 durant cette dernière année), les morts violentes de 289 Nord-Africains en 1961, résultant pour la plupart de règlements de comptes internes ou commis par le FLN. (4)

Certes, ce type de texte est parfois ardu d’approche pour le grand public, un peu technique, en tous cas moins passionnant à lire qu’un bon polar des éditions Fleuve Noir (ou un roman d’amour de la collection Harlequin, mais bon, j’avoue que c’est moins ma tasse de thé). Il est vrai aussi, comme je l’écrivais naguère, que cela « parle » moins que les grandes envolées et autres sorties théâtrales sur telle ou telle affaire médiatisée.

Il n’empêche : la consultation de tels documents évite de plonger la tête baissée dans un manichéisme de pacotille. Aussi, je lirai avec intérêt le rapport de l’IGPN sur Mohamed Merah, et espère qu’il contribuera à tordre un peu plus le cou aux théories fort douteuses (en un mot : conspirationnistes) qu’on nous assène depuis fin mars.

(1) Texte intégral de l’arrêt de la Cour de Cassation :

http://www.courdecassation.fr/IMG/File/arret_dreyfus_12_juillet_1906.pdf

(2) Un étrange combat Méditations sur l’affaire Touvier, Bouère, Dominique Martin Morin, 1995, p. 11-12.

(3) Texte consultable sur le site de Me Eolas :

http://www.maitre-eolas.fr/post/2009/04/24/1390-la-decision-du-csm-dans-l-affaire-burgaud

(4) Consultable ici (merci à l’historien Bernard Lugan de l’avoir signalé sur son blog) :

http://www.ladocumentationfrancaise.fr/var/storage/rapports-publics/984000823/0000.pdf

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