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Docteur en sciences humaines (spécialité : histoire du livre et de l'édition), écrivain, conseiller littéraire

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Billet de blog 23 décembre 2016

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De la motivation nécessaire des décisions judiciaires

Au moment où j’entame la rédaction de ce billet de fin d’année, il est deux éléments qui me viennent à l’esprit.

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Le premier, c’est ce passage du discours de rentrée du nouveau directeur de l'Ecole Nationale de la Magistrature, Olivier Leurent (29 août 2016) : « Vous devrez […] acquérir les techniques de formalisation de la décision judiciaire en vous rappelant que la motivation, à défaut de pouvoir toujours convaincre toutes les parties, doit être compréhensible par tous, structurée, dénuée de considérations morales, blessantes ou méprisantes et fondée en Droit. La motivation constitue l’expression naturelle du magistrat et votre autorité découlera de sa clarté et de sa force de conviction[1]. »

Le second, c’est la tornade de réactions ayant suivi le verdict du procès de Cécile Bourgeon et Berkane Makhlouf relatif à la mort de la petite Fiona (cour d’assises du Puy-de-Dôme, Riom, 25 novembre 2016) ; quelques exemples piochés ça et là sur Twitter[2] : « elle s’en sort bien la truie » « cette psychopathe », « cette pourriture », « J’espère que tu brûleras en enfer et que ta fille sera la pour te regarder cramer,salope »… Pascale Robert-Diard, qui a suivi les audiences pour Le Monde, parlera de « débordement d’émotion, de haine », faisant précisément référence aux réseaux sociaux[3].

Quel rapport entre le discours d’un magistrat connu et respecté[4] et cette lave émotionnelle qu’on croirait sortie d’un volcan ? A priori aucun, mais en y regardant de plus près, on se rend compte, justement,  de la nécessité de motiver comme il se doit une décision judiciaire – surtout lorsqu’il s’agit d’un verdict de cour d’assises, la motivation étant une obligation depuis la loi du 10 août 2011, applicable depuis le 1er janvier suivant (article 353 du Code de Procédure Pénale, modifié par l’article 12 de la loi n° 2011-939 du 10 août 2011 sur la participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale et le jugement des mineurs).

Naguère, afin de décrypter un verdict de cour d’assises, il fallait se repasser le film du procès, ou alors attendre qu’un magistrat ou un juré « casse le morceau[5] ». Par exemple, un chroniqueur judiciaire en retraite m’a indiqué avoir reçu les confidences d’un des assesseurs du procès Didier Gentil/Francis Heaulme (relatif au meurtre de Laurent Bureau, un jeune appelé du contingent, commis le 8 mai 1986 à Périgueux) et ayant abouti à un double acquittement (cour d’assises de la Dordogne, Périgueux, 5 avril 1997). C’est faute de preuves que la cour d’assises est parvenue à ce verdict, et selon le journaliste « on s’est payé ce luxe » car cela ne changeait rien pour les deux hommes, déjà condamnés à « perpète » dans d’autres dossiers criminels[6].   

Si certains commentateurs approximatifs avaient pris la peine de se renseigner au terme du procès de Riom, ils se seraient rendus compte que Cécile Bourgeon n’a pas pris cinq ans de prison « pour avoir tué son enfant », mais pour des délits connexes (non-assistance à personne en danger, recel de cadavre, modification de scène de crime et dénonciation mensongère de crime ou délit), et qu’elle a bénéficié d’un acquittement partiel pour les coups mortels – contrairement à Berkane Makhlouf déclaré coupable du crime de violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner, avec circonstances aggravantes liées à sa qualité de personne ayant autorité envers Fiona et à l'âge de la victime et condamné à la peine de vingt ans de réclusion criminelle, assortie aux deux tiers d'une période de sûreté. Dans la motivation du verdict, il est indiqué qu'il n'y avait contre la mère« qu'un seul élément à charge : la parole tardive et variable de Berkane Makhlouf[7] ». L’insatisfaction est réelle en lisant cette vérité judiciaire, certes, mais compte tenu des « brumes épaisses[8] » subsistant dans cette affaire – le corps de la fillette n’a toujours pas été retrouvé – et de l’attitude fort peu coopérative des deux accusés, le président Dominique Brault, ses deux assesseurs et les six jurés ont sans doute fait ce qu’ils ont pu[9].

On le constate : la réforme du 10 août 2011 peut jouer un rôle pédagogique. Et une motivation solidement charpentée peut contribuer à calmer certains esprits un tantinet paranoïaques, qui considèrent la cour d’assises comme un théâtre de marionnettes et voient en Dame Justice une garce inféodée  – au choix – aux nantis, aux Juifs, à la franc-maçonnerie, aux antisémites, au patriarcat, aux pédophiles, etc.

Bien sûr, tout n’est pas parfait : l’article 365-1 du Code de Procédure Pénale, crée par la loi du 10 août 2011, article 12, stipule que la feuille de motivation doit être rédigée par le président ou un de ses assesseurs immédiatement après les délibérations, sauf en cas de « particulière complexité de l'affaire, liée au nombre des accusés ou des crimes qui leur sont reprochés », où la feuille « doit alors être rédigée, versée au dossier et déposée au greffe de la cour d'assises au plus tard dans un délai de trois jours à compter du prononcé de la décision ». En clair, que ce soit au terme d’un délibéré exténuant (qui se termine parfois nuitamment) ou de trois jours de délai, généralement le texte ne dépasse pas quelques pages, et comme l’observe Jean-Michel Lambert, magistrat honoraire : « Dans la pratique, le président reprend brièvement l’essentiel des faits déjà synthétisés sur son ordinateur portable lors de la préparation du dossier et les corrige à l’issue des délibérations en fonction des éléments nouveaux apparus pendant les débats, tout cela sous l’œil de ses collègues et des jurés[10]. » Songeons donc que dans un verdict en correctionnelle, rendu au terme de plusieurs semaines ou de plusieurs mois, le texte peut s’étaler sur des dizaines de pages – exemple récent : le jugement correctionnel du 8 décembre 2016 concernant Jérôme Cahuzac, son épouse Patricia, François Reyl, la société Reyl et Cie et Philippe Houman (32e chambre correctionnelle, Cour d’Appel de Paris, Tribunal de Grande Instance de Paris) en compte 205.

Par ailleurs, dans un ouvrage qu’il a dirigé, le magistrat Denis Salas remarque avec pertinence : « À elle seule, la motivation écrite n’est […] pas une garantie d’intelligibilité. Un écart demeure et demeurera toujours entre les motifs de la décision et l’énoncé de ses raisons. […] On ne peut tirer un énoncé écrit comme la motivation hors du champ délibératif sans le dénaturer. L’écrit peut être elliptique, sibyllin voire confus[11]. »

Je le dis et je le répète, l’institution de la place Vendôme n’est pas parfaite. Mais avec ses qualités et ses défauts, pour reprendre une expression bien connue, il y a tout de même une justice. Souhaitons-lui d’aller dans le bon sens en 2017.

P. S : tout comme d’autres sujets, la réforme du 10 août 2011 sera étudiée en détail dans mon prochain ouvrage, à paraître l’année prochaine. En attendant, je souhaite de joyeuses fêtes à tous les lecteurs et lectrices de mon blog !


[1] Consultable ici :

http://www.enm.justice.fr/sites/default/files/kiosque/Discours-leurent-rentree-promo2016.pdf

[2] Pour en savoir plus sur cet édifiant florilège :

https://twitter.com/search?q=%23CecileBourgeon&src=typd

[3] Intervention à la table ronde « Juges et justiciables d’hier à aujourd’hui », animée par Jean-Louis Gillet, ancien président de chambre à la Cour de cassation, Salon du livre judiciaire organisé par l’Association française pour l’histoire de la justice au Conseil Supérieur du Notariat, 60, boulevard de la Tour-Maubourg, Paris VIIe, après-midi du 3 décembre 2016.

[4] Voir son portrait par Anaïs Coignac :

http://www.dalloz-actualite.fr/portrait/olivier-leurent-l-elegance-judiciaire

[5] Bien sûr, il y a confidence et confidence. Bien après le premier procès relatif au dossier Delay et autres (arrêt n° 31/ 2004 de la cour d'assises du Pas-de-Calais, 2 juillet 2004) trois jurés se sont confiés au micro de RTL. Ils ont exprimé leur ressenti – « J’ai craqué […] On n’arrivait plus à gérer la famille. Pendant neuf semaines, c’était Outreau, Outreau, tout le temps » disait une femme, un homme évoquant quant à lui la hantise d’envoyer en prison « quelqu’un qui n’a peut-être rien fait » –, mais sans trahir véritablement le secret des délibérations (cité par Laurence de Charette, « Comment des jurés brisent la loi du silence », Le Figaro, 3 novembre 2005, p. 8).

[6] Didier Gentil : viol et meurtre de Céline Jourdan le 26 juillet 1988, période de sûreté de vingt-huit ans, arrêt de la cour d’assises de l’Isère, Grenoble, 17 décembre 1992. Francis Heaulme : dix-huit ans de sûreté pour complicité de viol et meurtre de Laurence Guillaume, commis le 7 mai 1991, arrêt de la cour d’assises de la Moselle, Metz, 29 septembre 1995.

[7] Consulter cette mise au point d’une magistrate :

http://blog.francetvinfo.fr/judge-marie/2016/11/26/fiona-du-verdict-au-lynchage.html

[8] Expression empruntée à l’arrêt n° 32/93 de la chambre  d’accusation de la cour d’appel de Dijon, 3 février 1993 (p. 92) – arrêt de non-lieu en faveur de Christine Villemin (affaire dite « Grégory »).

[9] Le parquet général de Riom a interjeté appel le 28 novembre pour les deux condamnés (lors de son réquisitoire dans la matinée du 25 novembre, l’avocat général Raphaël Sanesi de Gentile avait réclamé trente ans de réclusion pour le couple, assortie d’une peine de sûreté des deux tiers, soit vingt ans). Même décision du côté de Berkane Makhlouf, l’ex-beau-père de Fiona.

[10] De combien d’injustices suis-je coupable ?, Paris, Le Cherche Midi, 2014, p. 72.

[11] Extrait de « En conclusion : la cour d’assises du XXIe siècle », Association française pour l’histoire de la justice, La cour d’assises  Actualité d’un héritage démocratique, Paris, La documentation française, 2016, p. 341.

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