25 juin : la Cour de cassation rejette le pourvoi formé par Me Liliane Glock, l’avocate de Francis Heaulme ; celui-ci sera bel et bien renvoyé devant les assises de la Moselle pour le meurtre des petits Cyril Beining et Alexandre Beckrich, commis le 28 septembre 1986 à Montigny-lès-Metz.
26 juin : faisant suite à la demande de l’association Innocence en danger et du Syndicat national des magistrats-FO, le parquet général de Douai décide le renvoi de Daniel Legrand fils devant la cour d’assises des mineurs. Si l’arrêt N° 1236 de la Chambre de l’Instruction de la Cour d’Appel de Douai du 1er juillet 2003 avait renvoyé le jeune homme devant les assises pour « viols sur mineurs de quinze ans, en réunion, agressions sexuelles sur mineurs de quinze ans, en réunion », elle avait également indiqué que pour les mêmes faits commis durant son minorité (« entre le 16 juillet 1997 et le 15 juillet 1999 ») le fils Legrand devait être jugé devant une cour d’assises des mineurs (p. 140 de l’arrêt). On le sait : suite à son acquittement définitif par la Cour d’Appel de Paris le 1er décembre 2005 pour les faits qui auraient été commis après sa majorité, l’institution judiciaire avait « oublié » de programmer ce procès. Jusqu’à maintenant.
C’est indéniable : en cette dernière semaine de juin 2013, l’actualité judiciaire a été chargée. L’occasion pour moi de vous livrer ces quelques réflexions – qui n’engagent que moi, bien sûr.
Le futur procès du « routard du crime » devant les assises de la Moselle devrait se dérouler début 2014. Espérons que seront entendus à la barre les protagonistes de la première phase de ce dossier criminel, Bernard Varlet, ancien inspecteur du SRPJ de Metz, (1) et Mireille Maubert, juge d’instruction : ils auront sans doute des choses fort intéressantes à dire. Il est à souhaiter également que soient évoquées les pressions subies par Heaulme – par courrier, notamment (2) – afin qu’il endosse la responsabilité du double meurtre. Un coupable presque parfait, pour pasticher le titre d’une émission de télévision ? Nous verrons bien.
Pour le cas de Daniel Legrand fils, je dois avouer que je ne partage pas tout à fait l’enthousiasme de certains de mes amis et connaissances. Sur le plan du droit, la décision du parquet général de Douai est inattaquable, c’est entendu ; mais il est également indéniable qu’avec ce procès, la justice peut se retrouver sur le fil du rasoir.
Premier point : le fils Legrand sera poursuivi pour viols et agressions sexuelles commis « en réunion ». Inévitablement vont être cités les noms d’autres personnes mises en causes dans le dossier : des condamnés définitifs, mais aussi des acquittés, et peut-être même François Mourmand, le mis en examen présumé innocent à titre posthume puisque décédé en préventive à la maison d’arrêt de Douai le 9 juin 2002.
Ce n’est pas tout. Comment séparer les faits qui auraient été commis avant et après le dix-huitième anniversaire (15 juillet 1999) de l’accusé ? Reportons-nous par exemple au PV d’interrogatoire de Daniel Legrand fils devant le magistrat instructeur Fabrice Burgaud daté du 19 décembre 2001 (Cote D 939). Le mis en examen reconnaît sa participation aux crimes et s’excuse « envers les victimes et envers la justice » (p. 4) mais sur le plan de la chronologie, il se contente d’indiquer (p. 2) : « C’était comme elle dit Myriam [Badaoui] dans ces dates là. Ca a commencé comme elle l’a dit en 1996 et ça s’est terminé au début de l’année 2000. » Bref, fatalement, on sera amené à évoquer la période postérieure au 15 juillet 1999, entre autres :
* le supposé décès d’une fillette (dont on n'a jamais retrouvé le cadavre) sous les coups de Thierry Delay survenu à la fin de cette même année, dont Daniel Legrand fils aurait été le témoin ;
* les atteintes sexuelles sur deux des enfants Delay, Dimitri et Jonathan, pour lesquelles Legrand jeune a été condamné à Saint-Omer le 2 juillet 2004 à trois ans de prison, dont un avec sursis – voir l’arrêt 31/2004 de la cour d’assises du Pas-de-Calais, pages 12 et 16 – avant d’être acquitté le 1er décembre 2005.
De l’animation en perspective, donc, mais pas dans le meilleur sens du terme ; c’est d’autant plus à craindre quand on lit les propos de l’inévitable « Superdupond » (Me Eric Dupond-Moretti, défenseur de Daniel Legrand fils au procès de Paris) recueillis par Eric Dussart : « Ils veulent un procès, ils vont l’avoir ! Et pas un procès en catimini, en deux ou trois jours. Ce procès durera un mois, parce que nous ferons citer toutes les personnes acquittées, tous les magistrats concernés, nous ferons citer toutes ces personnes qui viennent aujourd’hui dire leur vérité et qui ne connaissent rien au dossier. Ceux qui n’étaient ni à Saint-Omer, ni à Paris, et qui refont l’histoire judiciaire. Toutes les ombres révisionnistes qui voudraient que la vérité n’ait jamais existé. » (3) Rien que ça… Se dirige t-on vers un mauvais remake du procès de Saint-Omer, avec des échanges entre avocats d’une rare brutalité, des témoins malmenés, ou encore des algarades dans le public, telles que celles auxquelles j’ai assisté à la Maison du Barreau le 27 février dernier, lors de la projection-débat du documentaire Outreau l’autre vérité ? (4)
En cas d’audience publique – n’oublions pas que le huis-clos est prévu en droit pour une cour d’assises des mineurs – je ne peux que souhaiter bonne chance au magistrat qui présidera ledit procès, car il devra faire preuve d’autorité pour éviter d’être le Monsieur Loyal d’un cirque du genre Barnum, Pinder ou Zavatta. Enfin… puissent mes craintes, qui sont celles d’un modeste observateur de la chose judiciaire en France, être déçues.
(1) L’inspecteur Varlet a été la cible d’attaques injustes dans cette affaire – qu’il me soit permis de renvoyer à mon ouvrage, paru aux éditions Underbahn en 2009, Justice : mise en examen (p. 65-67). Sur ce dossier, se reporter également à mon billet du 5 décembre 2012 :
(2) Je possède la copie d’un courrier adressé à Francis Heaulme dans sa prison de Metz, daté du 22 juillet 2001. Dans un autre dossier, celui du viol et du meurtre de la petite Céline Jourdan, un des accusés, Didier Gentil, subissait des pressions du même genre. Il faut lire à ce sujet le livre de l’ancien journaliste de RTL Robert Daranc, co-signé par Gilbert Jourdan, le papa de la fillette, Une justice sous hypnose médiatique L’affaire Céline, disponible intégralement en ligne :
http://celinejourdan1.free.fr/
(3) Article consultable ici :
http://www.lavoixdunord.fr/region/outreau-la-colere-d-eric-dupond-moretti-ia0b0n1366702
(4) Billet daté du 3 mars dernier, consultable ici :