Ce lundi 31 mars s’ouvre à Metz le procès de Francis Heaulme, relatif au meurtre des enfants Cyril Beining et Alexandre Beckrich commis le 28 septembre 1986 à Montigny-lès-Metz. Le moins que l’on puisse écrire, c’est que, médiatiquement parlant, la présomption d’innocence relève ici de la plaisanterie de collégien. Coupable, forcément coupable, pour paraphraser une romancière dont un magistrat avait naguère pointé la perversité hystérique.
Parmi les arguments répétés depuis plusieurs années, figure celui-ci : le double meurtre de Montigny-lès-Metz, commis à coups de pierre, porterait la « quasi-signature criminelle » de Francis Heaulme.
Il se trouve que ce vendredi 28 mars au soir, j’ai relu un passage de l’excellent livre de feu Jean Favard, Quelques affaires retentissantes Seznec, Dominici, Dils, Raddad Les révisions en question (Paris, Riveneuve éditions, 2011). Page 130, faisant référence à une requête en révision du premier procès de Patrick Dils (rejetée le 28 novembre 1994 par la Commission de révision des condamnations pénales), l’ancien conseiller à la Cour de Cassation écrivait : « Sans doute, Dils avait-il suggéré à ce sujet dans une lettre du 12 novembre 1994 l’éventualité d’une piste Heaulme, à partir d’un article du Républicain lorrain du 26 août 1992 indiquant que celui-ci se trouvait à Metz au moment des faits et qu’il “squattait les trains en voie de garage”. À quoi s’ajoutait qu’il aurait tué un agriculteur de 60 ans dans le Vaucluse “à coups de pierre comme les enfants” » La fameuse « quasi-signature criminelle » était donc déjà évoquée il y a près de vingt ans.
Seulement, il y a comme qui dirait un caillou dans la chaussure, un grain de sable dans cette belle mécanique.
Concernant le meurtre de l’agriculteur évoqué plus haut, Jean-Joseph Clément, commis à Bédarrides (Vaucluse) le 7 août 1989, le juge d'instruction près du Tribunal de grande instance de Reims (Marne), Alain Schricke, a rendu le 14 décembre 2002 une ordonnance de non-lieu en faveur de Francis Heaulme – dans laquelle il épingle le Maréchal des Logis Jean-François Abgrall, le « tombeur » du « routard du crime » : “certains éléments amènent à se poser certaines questions quant aux circonstances réelles dans lesquelles il (Francis Heaulme) a été entendu par les services de gendarmerie” (1)
Par ailleurs, Jean Favard a établi un tableau récapitulatif des crimes pour lesquels le tueur a été condamné (p. 292 de son livre) : il en ressort que six d'entre eux ont été commis au couteau – dont un avec étranglement – deux par étranglement, et un à coups de poings et de pieds.
Dès lors, je suis en droit de me demander si, en parlant sans cesse de « quasi-signature » dans la tragédie du 28 septembre 1986, on ne risque pas finalement de commettre un « faux en écriture criminelle ».
Entendons-nous bien : ceux et celles qui connaissent mes écrits savent que je n’ai guère de sympathie pour les criminels de masse, politiques, de droit commun, etc. Ce n’est pas moi – et ce serait bien difficile, du reste – qui en ferais des candidats à la canonisation. Seulement, pour reprendre une expression empruntée à feu l’historien André Brissaud, je ne vois pas pourquoi il faudrait en rajouter « en trempant la plume dans du bitume ». (2) Quel intérêt d’imputer à Francis Heaulme plus de crimes qu’il n’en a commis ? D’écrire que l’ex-inspecteur Pierre Bonny était la cheville ouvrière d’une machination étatique et policière contre Guillaume Seznec doublé d’un couard, que Thierry Delay, le principal condamné de l’affaire d’Outreau, était nécrophile ? Je pourrais multiplier les exemples, mais cela deviendrait un tantinet fastidieux.
J’invite en tout cas les lecteurs et lectrices qui voudraient en savoir davantage à découvrir mon nouvel ouvrage, à paraître aux éditions Tatamis le 7 avril :
Bon week-end et à bientôt !
(1) Source : article du Nouvel Observateur daté du 4 janvier 2003, consultable ici :
(2) André Brissaud critiquait ainsi les auteurs qui disaient du futur Reichführer SS Heinrich Himmler qu’il avait été souteneur à Berlin au printemps 1919 et impliqué dans le meurtre d’une prostituée (Hitler et l’Ordre noir Histoire secrète du national-socialisme, Genève, Famot, 1974, p. 434, note 3). Belle histoire qui aurait sans doute pu inspirer un nanar de la « nazisploitation » genre Hôtel du plaisir pour SS, mais cela reste une invention pure et simple. Comme si la réalité historique n’était pas suffisamment sombre…