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Billet de blog 30 mars 2016

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Loi El Khomri, explications sur quelques points oubliés

Alors que les manifestations contre la loi Travail reprennent ce jeudi, j'analyse quelques points techniques du projet. Ces dispositions moins médiatiques sont celles qui emportent le plus de conséquences pratiques et qui dénotent les plus importants reculs ou avancées, selon le point de vue. La santé au travail et la négociation collective sont bouleversées.

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Avant d'entrer dans le détail, j'insiste sur un point qui me parait important : comme souvent, ces projets importants ne concernent qu'une partie seulement des salariés. La plupart des futurs articles du code du travail ne concerneront que les salariés des entreprises les plus importantes dans lesquelles, du moins en théorie, il existe un dialogue social. Les entreprises les plus pourvoyeuses d'emplois en France, les petites entreprises (celles qui comptent moins de 10 salariés) sont les grandes oubliées.

Illustration 1
Poignée de main entre Pierre Gattaz et Miriam El Khomri © Charles Platiau/Reuters

Qu'on soit en accord ou non avec cette loi, la question fondamentale qui se pose est donc celle de savoir si, dans le but de favoriser l'emploi et la baisse du chômage, on accepte de faire un droit du travail à deux vitesses : plus l'entreprise est grande plus elle aurait d'obligations (ce qui est déjà le cas, sur bien des aspects). Cette question est sous jacente à l'ensemble des débats quotidiens autour des questions de droit du travail et n'est pas tranchée réellement par le projet de loi El Khomri. 

Quoi qu'il en soit, je vais m'attarder sur les deux points qui ont retenu mon attention. 

1) La question de la santé au travail 

S'il est un point du droit du travail qui n'avait guère bougé ces dernières années, y compris lors des importantes réformes menées sous le quinquennat précédent, c'est la santé au travail. Elle bénéficiait jusqu'à présent d'une immunité législative. Certes elle avait connu quelques modifications marginales qu'il n'est pas nécessaire de préciser ici. 

La réforme El Khomri rompt avec cette immunité sur plusieurs points importants. 

Elle envisage du supprimer la visite médicale d'embauche. Ainsi l'employeur ne serait plus tenu de faire passer une visite médicale à ses salariés lors de l'embauche. Seuls les salariés exerçant des fonctions dangereuses conserveraient l'obligation de se faire ausculter par le médecin. La visite médicale d'embauche avait un objectif simple et de santé publique : s'assurer que le salarié embauché avait bien les prédispositions physiques pour exercer son travail.   

La réforme envisagée va même plus loin puisqu'elle supprime la visite médicale biennale qui ne sera plus obligatoire. 

Ces deux suppressions montrent plusieurs choses : d'abord que la santé au travail, loin des discours qui la placent au centre des préoccupations, ne semble plus être une priorité. Peu importe que le travail dégrade la santé ou que le salarié ne soit pas apte au travail pour lequel il a été embauché ! Ensuite, ces suppressions démontrent l'intense lobbying des organisations patronales : elles envisageaient cela comme une lourdeur administrative qui est désormais supprimée. 

Toujours concernant la santé des travailleurs : le projet envisage également de supprimer et d'alléger considérablement la législation applicable en matière d'inaptitude du salarié à son poste de travail.  

Les deux idées vont de paire : on affaiblit d'un côté le contrôle de la santé du salarié (en supprimant la visite médicale d'embauche) et de l'autre on allège les obligations de l'employeur lorsque le salarié est inapte suite à un accident du travail ou à une maladie professionnelle.  

L'idée défendue par le projet de loi est la suivante : quand un salarié est déclaré inapte à son poste de travail le médecin peut dire qu'il est inapte à tout poste dans l'entreprise. Ainsi le médecin considère que le salarié ne peut plus travailler sur aucun poste dans l'entreprise. Toutefois, même en présence d'un tel avis, jusqu'à présent l'employeur avait l'obligation de rechercher un reclassement au salarié (même si en pratique la recherche était vaine dans la mesure où le salarié ne pouvait plus travailler sur aucun poste de l'entreprise). La loi envisage de supprimer cette obligation de recherche d'un reclassement ce qui permettrait à l'employeur de procéder au licenciement directement après le second avis. Pour les employeurs et les services RH c'est une avancée considérable et une perte de temps en moins. 

Inversement, pour les salariés, c'est une possibilité en moins de demander au conseil de prud’hommes réparation si jamais l’employeur n’avait pas respecté son obligation. Et donc la possibilité d’obtenir 6 à 12 mois de salaire minimum.

Autre recul : jusqu'à présent après une absence de 30 jours due à un accident du travail, le salarié devait suivre une visite médicale. Dans la continuité de ce qui était évoqué plus haut, la réforme envisage de supprimer cette visite et d'inverser complètement ce qui était en vigueur jusqu'à présent : le salarié de retour d'une telle absence serait présumé apte. Qu'est ce que cela signifie ? Qu'en réalité il appartiendra au salarié de prouver qu'il était inapte à son poste... Une preuve qu'il sera bien difficile à rapporter en pratique... Il s'agit d'un recul majeur en matière de santé et de sécurité des travailleurs. C'est sans doute le principal recul institué par la loi sur cet aspect des choses. 

2) La question de la négociation collective

Autre point central de la réforme, la négociation collective qui connait un certain nombre de bouleversements. 

Plusieurs points importants sont à signaler : 

  • la majorité est érigée en principe, ce qui n'était pas le cas jusqu'à présent. Cela signifie, si le projet est adopté en l'état qu'un accord ne pourra être appliqué qui s'il est signé par des organisations syndicales représentant plus de 50% des salariés. Depuis 2008, les accords devaient être signés par des organisations représentant 30% des salariés. 

Quelles sont les implications de ce changement ? A priori on pourrait se dire que la majorité c'est bien mais dans la réalité concrète de nombreuses entreprises la généralisation de ce principe majoritaire aura pour conséquence la fin de la négociation  collective et donc in fine des avancées pour les salariés. Il suffira en effet qu'un syndicat ayant une représentativité importante refuse de signer pour que l'accord n'existe pas. D'une avancée théorique on assistera donc plutôt à un recul pratique.  

  • le référendum, comme succédané : en cas de blocage, le gouvernement envisage de permettre aux organisations signataires représentant au moins 30% des salariés de demander l'organisation d'un référendum sur le projet d'accord. 

C'est la consécration de la démocratie directe dans l'entreprise. Mais les choses ne sont pas aussi simples et les risques de pression sur les salariés sont réels et on a pu voir, avec l'exemple SMART, que ce type de solutions peut avoir pour conséquence de diviser les salariés plutôt que de les rassembler. 

  • La fin du principe de proximité : depuis 2004, les différentes lois avaient eu pour objectif de consacrer et d'étendre le principe de proximité qui consiste à privilégier le niveau de négociation le plus proche des salariés au détriment des niveaux supérieurs. Ex : on privilégie l'accord d'entreprise sur les accords de groupe ou de branche. Cela ce ressentait quand on lisait le code du travail avec la phrase suivante : "A défaut d'accord d'entreprise, etc."

La loi mettrait fin à ce principe du moins en partie en permettant aux accords de niveau supérieur (groupe par rapport à entreprise ou entreprise par rapport à établissement) de prévoir qu'ils s'appliquent de manière expresse à la place des accords existants, ce qui n'était pas possible auparavant. Quelles conséquences ? La possibilité de négocier des éléments moins favorables au niveau du groupe qui seraient applicables à toutes les entreprises de celui-ci sans que les organisations syndicales de celles ci aient la possibilité de s'y opposer.  

On le voit, cette loi recèle, dans ces dispositions techniques de nombreux reculs et génèrent des questions juridiques très importantes qui ne manqueront pas de donner lieu à des débats devant les tribunaux. Loin de sécuriser le droit du travail, cette loi sera génératrice d'insécurité et de plusieurs années d'attente de jurisprudence.  

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