Ces derniers jours, on entend dans les media les mieux informés que les pilotes d'Air France souhaitent faire grève pour protester contre une nouvelle loi qui viendrait resteindre leur droit de faire grève. Je me propose de revenir sur l'état du droit de grève en France, à l'aune de ces informations.
- Les garanties du droit de grève.
Comme tous les salariés le savent, le droit de grève est un droit garanti par la Constitution (plus exactement par le Préambule de la constitution de 1946 repris par celle de 1958 qui nous dit, en son 7e alinéa, "Le droit de grève s'exerce dans le cadre des lois qui le réglementent"). En fait, le législateur n'a jamais réglementé le droit de grève, du moins dans le secteur privé. C'est à la jurisprudence de la cour de cassation qu'il est revenu de réglementer ce droit via une casuistique assez touffue mais dont il ressort une chose : le droit de grève doit pouvoir s'exercer aussi largement que possible, c'est pourquoi les salariés sont très peu sanctionnés quand ils font grève (c'est--à-dire qu'ils sont très rarement licenciés pour avoir fait grève ; en vertu du Code du travail, l'employeur doit prouver une faute lourde, c'est-à-dire une faute intentionnelle du salarié pour pouvoir le licencier et cette faute doit être distincte de la simple atteinte à l'activité de l'entreprise car la grève est nécessairement intentionnelle et porte forcément atteinte à cette activité).
Plusieurs types de mouvements sont possibles mais il faut toujours avoir à l'idée qu'en France, le droit de grève est un droit individuel qui s'exerce collectivement. Cela signifie, en substance, qu'un seul salarié ne peut pas faire grève, la grève doit être soutenue par un syndicat mais chaque salarié garde la possibilité de ne pas faire grève (il s'agit donc d'un droit à la fois positif et négatif).
En Allemagne, à l'inverse, le droit de grève est un droit uniquement syndical. C'est le syndicat qui a l'initiative de la grève et elle ne peut avoir lieu que pour faire pression sur l'employeur dans le but de négocier une convention collective par exemple. Structurellement, les syndicats sont beaucoup plus puissants outre-Rhin qu'en France et c'est par rapport à cette puissance qu'ils se définissent - alors qu'en France le poids des syndicats est lié non pas au nombre d'adhérents - même si cette donnée rentre en compte - mais à l'audience obtenue par eux aux élections au sein des entreprises.

- Est-il possible d'encadrer le droit de grève ?
Seul le législateur le peut, et il l'a fait en 2007 dans certains services publics notamment les transports publics sur rail (c'est ce que l'on appelle vulgairement le service minimum, qui n'en est pas un d'après l'avis de la majorité des professeurs de droit). En fait, ce service minimum n'est rien d'autre qu'une obligation pour les salariés qui souhaitent faire grève de se "déclarer" pour permetre à la direction de s'organiser. Même si un accord de fin de grève peut prévoir un délai de préavis mais la jurisprudence a toujours décidé qu'il ne liait pas les salariés et c'est ainsi que ceux-ci peuvent tout de même faire grève. C'est ainsi que dans le débat actuel sur la grève d'Air France, il s'agit d'une loi qui vise à encadrer le droit de grève des pilotes d'avion et qui viendrait compléter une loi de mars 2012 qui réglemente déjà le droit de grève dans le secteur aérien en mettant en place un délai de prévenance (i.e. les syndicats doivent informer la direction de leur intention de faire grève) mais cette loi et d'ailleurs nulle autre ne pourrait instaurer un service minimum - i.e. une obligation pour les salariés de déclarer leur intention de faire grève car il s'agirait d'une part d'une atteinte disproportionnée portée au droit de grève qui serait sans doute censurée par le conseil constitutionnel et d'autre part, l'instauration d'un service minimum n'est pas possible dans un secteur concurrentiel. A cet égard on se demande d'ailleurs pourquoi un gouvernement de gauche défend une telle loi qui va à l'encontre du progrès social (ce ne serait pas la première du quinquennat !).
Les pilotes peuvent-ils "bloquer" le trafic en débrayant quelques heures par jour, au détriment du confort des passagers et de l'organisation du service ? La réponse est évidemment positive et les réactions de la direction de l'entreprise sont à ce titre tout à fait déplacées. Les syndicats pourraient agir en justice pour demander la condamnation de la direction, en ultime analyse, pour entrave au droit de grève. En effet, la liberté d'entreprendre ne peut pas justifier qu'on porte atteinte au droit de grève et une grève ayant pour essence de contester quelque chose et de revendiquer le maintien de droits acquis ou de nouveaux droits, on voit mal comment cette grève pourrait être déclarée illicite par les juges. A mon humble avis, la direction d'Air France, bien conseillée, le sait et fait tout pour "casser la grève" à ses risques et périls... Les salariés sont donc dans leur droit le plus pur, et il s'agirait pour les media de ne pas l'oublier car une fois encore la désinformation ne fait que desservir les salariés.
Valentin TREAL
Etudiant en Master 1 Droit Social, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne (Les propos tenus ici n'engagent que moi et en aucun cas l'Université)