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Étudiant en maîtrise de sociologie, travail de mémoire sur le capitalisme comme structure sociale

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Billet de blog 18 octobre 2023

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Un macabre 50ème anniversaire d'Octobre 1973 - Approche sociologique et militante (1)

Cet article en deux parties traite de la guerre ouverte Israël-Palestine débutée le 7 octobre 2023. La première partie "L'hégémonie du bloc capitaliste de l'ouest" examine le traitement médiatique de la guerre, la seconde "Il faut que ça cesse" explore les futurs possibles et imaginaires.

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Partie 1 : L’hégémonie du bloc capitaliste de l’Ouest

Le narratif dominant au sujet de la guerre entre Israël et la Palestine me dégoûte. Voilà les aspects caractéristiques du discours tenu par les médias et les personnalités politiques du monde occidental :

- le racisme qui humanise les victimes israéliennes et non les victimes palestiniennes,

- le colonialisme qui invisibilise le contexte historique de la nakba1 et des réfugié.es,

- l’impérialisme qui conduit les États-Unis et l’Union Européenne à assurer leur présence et leur sphère d’influence dans une région du monde qui ne leur appartient pas,

- le repli identitaire qui transforme une guerre d’occupation et de résistance en conflit de civilisations.

À mon avis, ce discours marque entre autres l’emprise des puissant.es de ce monde sur les médias : c’est ce que je vais démontrer ici.

1. Monopole médiatique et complexe institutionnel de domination

Une poignée de personnes les plus riches ont le monopole sur les médias. Les groupes médiatiques qui gèrent les différentes rédactions ne sont pas toujours rentables, comme le montre la mise en vente récente de BFMTV par manque de profits. Ce n’est pas une visée économique qui motive l’appropriation de journaux d’information et de chaînes de télévision, mais bien le cadrage, la direction et le contrôle du débat public.

Dans le monde capitaliste contemporain, les médias font partie d’un complexe institutionnel central à la domination des classes supérieures2. Ce complexe résulte d’une articulation de la finance mondiale, des médias internationaux, de l’État sécuritaire international, et du management d’entreprise. Nous allons voir comment ces différentes institutions sont organisées en outil de domination hégémonique qui structure l’idéologie dominante.

L’utilisation des médias à visée idéologique est classique, c’est la propagande. Cela s’illustre dans l’appareil de communication développée par Tsahal (l’armée israélienne). Il publie des posts sur les réseaux sociaux, envoie des communicant.es dans les émissions télévisées à travers le monde de l’ouest, diffuse de fausses informations servant son idéologie3. L’État israélien domine les médias et les utilise pour propager une idéologie bien précise qui sert sa domination coloniale. L’alliance internationale entre les pays de l’ouest produit par exemple les publicités qui montrent avec fierté les citoyen.nes français.es binationales.aux s’en allant participer à une guerre coloniale. L’État sécuritaire international n’agit pas que sur le terrain idéologique : les manifestations en soutien au peuple palestinien sont illégales en France et en Allemagne, l’exécutif envoie son bras armé réprimer les manifestant.es, les artistes et intellectuel.les pro-Palestine sont censuré.es ou arrêté.es, les États-Unis assurent leur soutien militaire à Israël. Une certaine classe dirigeante utilise les moyens à sa disposition pour assurer l’hégémonie d’un discours commun et d’un ordre du monde en sa faveur.

Il faut signaler que la guerre est bien plus fasciste que religieuse. Cela se voit au traitement des juifs.ves critiques d’Israël et du sionisme : iels sont considéré.es comme des traîtres. En Israël comme ailleurs – nouvel exemple du caractère international de l’État sécuritaire – la police les arrête, les censure, interdit leurs rassemblements et leurs prises de parole. Le fascisme du régime politique israélien se voit également à la transformation récente et rapide de la compréhension dominante de la loi juive, particulièrement au sujet du complexe d’Al Aqsa4 à Jérusalem.

Il y a une alliance entre les États et les firmes transnationales. Les industries privées d’armement nord-américaines et européennes vendent leurs produits à Israël. YouTube diffuse des publicités pro-Israël avant ses vidéos, recommande du contenu pro-Israël sur sa page d’accueil. Twitter, Facebook et Instagram mettent en avant le contenu pro-Israël. Sur Twitter, les posts pro-Palestine et décoloniaux sont frappés de shadow ban (traduisible par « bannissement furtif ») par leur désignation abusive en tant que contenu choquant et/ou décrédibilisés par l’affichage de notes communautaires tendancieuses ou non-pertinentes. McDonald’s a annoncé le 13 octobre 2023 via sa page Instagram officielle fournir environ 4 000 repas gratuits par jour aux forces israéliennes ainsi qu’une réduction de 50% pour tous les israélien.nes qui vont au McDonald’s. Cette opération a finalement été annulée devant les protestations massives dans les pays arabes (tollé sur les réseaux sociaux dans un contexte de manifestations pro-palestiniennes de plusieurs centaines de milliers de personnes, appels au boycott, démission de personnel). La réponse politique des populations arabes montre l’importance du contexte colonial de la guerre Israël-Palestine : les peuples de cette région du monde sont rapprochés par le partage d’une histoire commune. De plus, la nakba de 1948, l’interdiction du retour, et l'occupation militaire des territoires palestiniens ont entraîné, parmi d’autres conséquences, une présence importante de réfugié.es palestinien.nes dans les pays voisins ainsi que l’apparition d’organisations militaires non-étatiques comme le Hezbollah (issu du transfert au Liban du commandement de l’Organisation de Libération de la Palestine en 1969). Nier le caractère colonial des relations entretenues par Israël avec la Palestine depuis plus de 75 ans sert les intérêts idéologiques du bloc occidental, mais pas ses intérêts stratégiques.

2. Le point de vue de la population Palestinienne

Les journalistes et les individus palestinien.nes font un énorme travail de documentation de ce qu’iels vivent comme pire qu’une deuxième nakba, un véritable génocide de leur vivant. Leur message à la communauté internationale, répété dans une quantité innombrable de reportages visuels et écrits dans les journaux et sur les réseaux sociaux, est le suivant : nous nous faisons assiéger, massacrer, sous les yeux du monde entier, et personne ne fait rien.

Les palestinien.nes de la bande de Gaza résistent à leur destruction et maintiennent une société la plus fonctionnelle possible. Les journalistes, les ambulanciers, et les soignant.es hospitalier.es travaillent au péril de leur vie5. Les personnes se rassemblent pour opérer des missions de sauvetage des survivant.es coincé.es sous les décombres des immeubles frappés par les bombes et de recherche des corps (désignés par shaheed en arabe, traduisible par « martyr » ou « témoin »). La garde et les soins portés aux enfants sont organisés collectivement pour limiter autant que possible vu la situation les traumatismes psychologiques. Les deuils et les enterrements sont collectifs et partagés. Les cuisines collectives fournissent avec des moyens drastiquement réduits un repas par jour (en date du 16 octobre) aux réfugié.es.

Il me semble que la population palestinienne tire sa force morale de sa conscience nationale : la certitude de son droit à l’autodétermination, à la gestion de son territoire, au retour des réfugié.es à leur terre (droits garantis par la Déclaration des Nations Unies de 20076). Cette certitude n’est pas une abstraction politique, des personnes âgées ayant été expulsées enfant par les organisations paramilitaires sionistes lors de la nakba en 1948 meurent aujourd’hui dans des camps de réfugiés avec leurs clés de maison dans les mains.

Notes

1Mot arabe signifiant « catastrophe ». C’est le nom donné par les palestinien.nes à l’exil forcé d’une grande partie du peuple palestinien pendant la guerre de Palestine entre 1947 et 1949. De 1918 à 1947, la Palestine était sous mandat Britannique. En novembre 1947, le Royaume-Uni a annoncé remettre son mandat aux Nations Unies (l’ultime étape dans sa déclaration officielle de 1917 de vouloir favoriser un État juif en Palestine). Des organisations paramilitaires sionistes, bien développées depuis plusieurs années, avaient récemment grossi suite au retour d’un nombre important d’immigrés européens juifs engagés dans l’armée anglaise pendant la seconde guerre mondiale. De novembre 1947 à juin 1949, les organisations paramilitaires sionistes ont expulsé dans la violence plus de 700 000 palestinien.nes arabes (des trois religions monothéistes ; les réfugié.es juif.ves seulement ont pu exercer leur droit de retour) pour s’approprier leurs terres et fonder l’État d’Israël en 1948. Cet exode forcé, ou nakba, explique une partie de la situation actuelle.

2 Complexe identifié par la sociologue Raewyn Connell. (Raewyn Connell, « Hégémonie, masculinité, colonialité », Genre, sexualité & société [En ligne], 13 | Printemps 2015)

3Le cas le plus évident en cette période est l’affaire du prétendu massacre de bébés dans la colonie de Kfar Aza, où l’armée israélienne et la journaliste source ont reconnu leur mensonge quelques jours après la viralité de la fausse information et l’impact affectif des populations israéliennes et de l’ouest.

4 « Al Aqsa » désigne selon le point de vue strictement la mosquée centrale ou largement la totalité du complexe entouré du mur d’enceinte. Cet ensemble de lieux saints se trouve sur une colline nommée « mont du temple », en référence au temple juif (le Second Temple) détruit par l'empire romain à la fin du 1er siècle après Jésus Christ. La partie ouest du mur d’enceinte ou « mur des lamentations » est un lieu de culte juif : c’est le dernier vestige du Second Temple. Cette portion du mur a été conservée lors de la construction du complexe islamique au 7ème siècle car elle a également une place importante dans la religion musulmane, pour des raisons différentes. C’est un endroit dans Jérusalem-est, la partie palestinienne de la ville selon les lignes du cessez-le-feu médié par l’ONU en 1949. Depuis la guerre de 1967 et jusqu’à nos jours, les forces de l’armée israélienne occupent cette partie de la ville ainsi qu’une partie croissante de la Cisjordanie.

Selon les lois rabbiniques qui représentaient la pratique judaïque principale jusqu’aux années 2000, il est interdit à tout.e juif.ve de pénétrer le mur d’enceinte car le lieu est considéré trop sacré. Le mouvement Temple Mount and Eretz Yisrael Faithful Movement s’est formé au début des années 1990 et milite depuis pour l’entrée et la pratique religieuse de personnes juives dans le complexe. Très marginal à ses débuts, le mouvement a rapidement gagné du terrain et c’est maintenant un acteur important dans le conflit autour d’Al Aqsa. Il possède de nombreux membres au Knesset (le parlement israélien). Ses victoires sont par exemple un partage spatial et temporel du complexe d’Al Aqsa, assuré par la police ou l’armée israélienne, entre culte juif et culte musulman ou encore l’expulsion temporaire de civils palestinien.nes et l’entrée de civils juifs.ves accompagné de soldat.es israélien.nes dans l’enceinte d’Al Aqsa. Le mouvement du mont du temple revendique l’objectif de construire un Troisième Temple.

5 11 journalistes palestinien.nes et 15 soignant.es sont mort.es et 23 ambulances ont été endommagées par les forces israéliennes depuis le 7 octobre. On signale également qu’un hôpital pour enfants a été bombardé au phosphore blanc le 13 octobre.

6 Votée par l’Assemblée Générale des Nations Unies dont Israël fait partie. Israël a voté pour.

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