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Billet de blog 29 avril 2024

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Ma voix, mon choix

Le 24 avril dernier a été lancée la collecte d'un million de signatures à travers l'Union Européenne afin de porter au Parlement Européen l'Initiative Citoyenne Européenne (I.C.E) « ma voix, mon choix ». Les porte-paroles de la campagne en France, Alice Coffin, militante et conseillère de Paris et Mathilde Viot fondatrice du Metoo en politique, ainsi que les avocats rédacteurs de cette initiatitve, Damia Taharraoui et Théo Gauthier, nous expliquent comment cet outil pourrait fonctionner. 

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Mercredi dernier, le 24 avril 2024, a été lancée la collecte d'un million de signatures à travers l'Union Européenne afin de porter au Parlement Européen l'Initiative Citoyenne Européenne (I.C.E) « ma voix, mon choix ». Cette proposition juridique pourrait garantir l’accès à un avortement gratuit et sûr à toute personne se trouvant dans l’Union Européenne, peu importe la législation de son État de résidence. En effet, si la France vient tout juste d’inscrire la liberté d’accès à l’IVG dans sa Constitution, le recours à l’Interruption Volontaire de Grossesse reste soumis à conditions et menacé dans de trop nombreux pays membres.

Les porte-paroles de la campagne en France, Alice Coffin, militante et conseillère de Paris et Mathilde Viot fondatrice du Metoo en politique, ainsi que les avocats rédacteurs de cette I.C.E Damia Taharraoui et Théo Gauthier, nous expliquent comment cet outil de démocratie directe nous permettrait d’intégrer dans la législation de l’Union un mécanisme de solidarité européen pour l’avortement.

Que permettrait cette norme européenne ?

Damia : Cette norme permettrait à une polonaise de venir en France, en Croatie ou dans n’importe quel pays ayant souscrit à ce mécanisme de solidarité et de s’y faire avorter sans payer. L’État qui l’aurait prise en charge serait quant à lui remboursé par l’U.E.

Théo : Nous demandons à l’Union Européenne qu’elle améliore la santé des personnes qui se trouvent sur son territoire et soutienne les dispositifs des politiques nationales pour y parvenir. En effet, ces notions d’amélioration et de soutien figurent dans les traités européens et nous sollicitons donc des institutions qu’elles mettent en acte ces principes. On peut alors imaginer qu’une partie du budget européen alloué à la Santé soit réservé au remboursement des IVG prises en charge par les pays dont la législation nationale l’autorise et qui souhaitent adhérer au mécanisme financier que nous proposons.

Où en sommes-nous en matière d’accès à l’avortement aujourd’hui dans l’Union Européenne ?

Alice : Il y a 20 millions de personnes qui n’ont pas accès à l’avortement dans l’Union pour diverses raisons et des femmes meurent encore en Europe par manque d’accès à un avortement sûr. On pense tout de suite aux législations nationales restrictives comme en Pologne ou à Malte (IVG autorisée uniquement si la vie de la femme est en danger ou en de cas de viol pour le premier et uniquement si la femme est en danger et si le fœtus n’est pas viable pour le second) mais il y a aussi tout un pan moral et conservateur des politiques nationales. En Espagne par exemple les compétences en matière d’avortement se jouent au niveau régional. Or il y a des régions gangrenées par le parti d’extrême droite Vox où l’avortement devient de plus en plus inaccessible. En Italie, 62% des soignants en moyenne refusent de pratiquer l’avortement en invoquant une clause de conscience. Les militantes des Pouilles nous disent que plus de 88% des soignants du sud du pays refusent de pratiquer l’avortement. Enfin, il y a tout un tas de raisons financières qui rendent l’accès à l’IVG difficile. Par exemple en Croatie ou en Autriche bien que l’accès soit autorisé sans condition, il reste extrêmement onéreux. Tout le monde ne peut pas se le permettre et cela crée des injustices sociales énormes.

À votre sens quelle est la plus grande menace face à l’accès à l’IVG ?

Mathilde : L’accès à l’IVG est un droit continuellement menacé par les politiques conservatrices. Inutile de rappeler l’abrogation par la cour suprême des États-Unis d’un arrêt de 1973 garantissant ce droit. En Europe, ce mois-ci le gouvernement Meloni a autorisé la présence des « pro-life » (militants anti-IVG) à l’intérieur des consultoris (équivalent des plannings familiaux indiquant les démarches à suivre pour avoir accès à une interruption volontaire de grossesse). C’est très grave. L’IVG, supposée garantie par la loi, a un effet relatif si elle est mise en péril tous les jours par les gouvernements.

Peut-on craindre la restriction de ce droit en France ?

Damia : Aujourd’hui ici, n'importe quelle femme, française, étrangère en situation régulière ou non peut bénéficier d’une IVG gratuite et sûre. Ce soin d’urgence est dispensé dans n'importe quel hôpital quelles que soient les circonstances et la situation administrative de l’intéressée. Mais le droit des personnes étrangères en matière de remboursement de soin est de plus en plus précarisé et si la législation était durcie par le RN nous pourrions voir ce droit supprimé. Avec le mécanisme que nous proposons l’accès à l’IVG serait protégé pour ces personnes.

Quels seraient plus largement les bénéfices collatéraux de l’entrée en vigueur d’une telle norme ?

Mathilde : Si l’Union Européenne s’engage à la prise en charge des frais de santé des femmes ayant recours à l’IVG, ça veut dire que les pays vont être mis face à leur coût. On pourra chiffrer par pays ce qui est déboursé pour accompagner les femmes à avorter. Ainsi on aura un sens de la réalité de ce que ça coûte d’avorter dans chaque pays. Il sera rendu public qui en facilite l’accès, qui le complique, quelle note laissent à l’Europe les pays les plus régressifs pour le droit des femmes. Par ce biais-là, on va pouvoir descendre du symbole pour se confronter à la réalité.

Théo : Ce qu’il faut comprendre c’est que le mécanisme financier que nous proposons est optionnel, il ne s’agit pas d’une obligation, mais bien d’une option que chaque État est libre de prendre ou non. L’idée n’est pas de sanctionner les politiques restrictives en matière d’IVG, mais de soutenir les législations les plus favorables aux droits des femmes. C’est en quelques sortes un mécanisme incitatif, financé par l’UE. On pourrait ainsi espérer que la Pologne, qui se retrouvera à financer indirectement les avortements de ses ressortissantes en finançant le budget de l'Union Européenne, finira par réviser sa position en la matière.

L’Union Européenne est-elle prête pour une telle proposition ?

Théo : En enregistrant l'Initiative, la Commission nous dit que l'avortement peut être considéré comme faisant partie des compétences de l'Union Européenne. C’est très important car ce n'était pas évident jusqu'à maintenant. Jusque-là on nous disait que l’Union Européenne n'avait rien à faire avec le droit à l’IVG, mais cette fois, parce qu'elle est saisie par des citoyens, l'Union va devoir s'intéresser à l'accessibilité de ce soin pour ses résidentes.

Alice : L’Europe est plus que prête. Quand l’IVG a été inscrite dans la Constitution française et qu’il y a eu le rassemblement devant la tour Eiffel c’était un peu grandiloquent, mais depuis toutes les copines d’Europe nous disent : « en France vous avez réussi, donc nous aussi on peut le faire ». Il y a une énergie et une force d’entrainement à partir desquelles on peut rendre possible ce qui hier nous paraissait inaccessible. Cette campagne est l’occasion de créer une société civile européenne qui puisse demander des choses à l'Europe. Nous avons l’occasion de faire de l’Union un rempart aux politiques nationales conservatrices et une instance sur laquelle on puisse compter.

Mathilde : Par ailleurs, si Meloni autorise les « pro-life » dans les plannings, la Pologne il y a deux semaines, a étudié quatre propositions de lois dont trois pouvaient améliorer le sort des polonaises et une l’empirer. Jusque-là toute proposition en faveur de l’assouplissement de l’accès à l’IVG était retoquée en première lecture mais cette fois-ci les trois textes sont passés en seconde lecture et sont entrés dans le processus parlementaire. C’est une première et il faut profiter de ces mobilisations pour se rassembler.

Comment soutenir la campagne ?

Damia : Depuis mercredi dernier la phase de collecte des signatures a commencé. Pour être soumise au vote du Parlement européen, une Initiative Citoyenne Européenne doit être soutenue par au moins un million de citoyens européens. Cet outil de démocratie direct a pour condition d’assurer une représentativité. De ce fait, le million doit être récolté à un taux minimal dans au moins sept pays de l’Union. En France nous devons atteindre minimum moins 55 000 voix pour que l’ICE soit recevable.

Mathilde : Nous avons une année pour récolter le million, mais souhaitons y arriver avant les Européennes. Cela enverrait un message fort quant à notre capacité de cohésion. Et bien que les gens soient rompus de pétitions là ce que nous proposons c’est de signer un texte qui aura un impact concret sur la vie de milliers de femmes. D’ailleurs il ne s’agit pas d’une pétition, mais d’une voie directe à la Commission Européenne puisque chacun est invité à signer sur leur site.

Une dernière question, quelles sont les organisations qui portent l’ICE ?

Alice : c’est l’Institut du 8 Mars, en Slovénie qui est à l’origine de la campagne « ma voix, mon choix » et qui a rassemblé un ensemble d’organisations et militantes activistes féministes à travers l’Union. C’est un réseau fort de ses différences. Par exemple les Slovènes ont un institut assez récent alors qu’en Finlande l’organisation qui porte la campagne est une association plus vieille que le gouvernement. Elle date du 19ème siècle, les Irlandaises quant à elles sont celles qui ont mené le combat de 2018 pour faire voter par referendum la suppression dans la constitution de l’interdiction d’avorter. Il y a des militantes très aguerries qui rejoignent des plus jeunes. Les unes apportent des savoirs faire en matière d’action auprès des gouvernements, les autres en matière de communication et de force de frappe. Nous on avait l’habitude de faire nos fanzines, elles nous apprennent à rendre virale notre campagne d’un cœur avec les doigts. Je pense qu’ensemble nous sommes bien placées pour créer un réseau européen habilité à faire obstacle à l’extrême droite. Depuis Metoo on se rend compte que les mobilisations féministes ont un réel impact sur les sociétés. Il faut continuer.

Cœur avec les doigts et signature là : https://eci.ec.europa.eu/044/public/#/screen/home

Valentine Fell

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