« Le rire et l’autodérision sont des fonctions majeures de « l’espace poétique ». Cette invitation aux dix ans de l’AND* m’offre l’occasion d’étudier la question de la joie dans « l’espace poétique », que j’ai l’honneur ici de partager avec vous. Merci de votre présence.
En 2016, la lecture de « La poétique de l’espace » de Gaston Bachelard me permet,
de concevoir un espace de liberté, espace imaginaire de création, nommé « espace poétique », dont les effets seraient soignants.
(Master II de création artistique à l’Université de Paris 2016-2018 Paris Descartes Sorbonne Cité).
Avant de présenter la force joyeuse de « l’espace poétique », je proposerai une définition de la joie, puis j’évoquerai la définition de « l’espace poétique ». Nous étudierons d’abord le phénomène de « l'image poétique » selon Gaston Bachelard, puis nous verrons comment l’on passe d’une vision d’une image à l’acte de créer dans « l’espace poétique ». Je présenterai 4 éléments et 4 fonctions qui constituent des forces joyeuses de « l'espace poétique ». (Chatain, V. (2018, 2020), L’espace poétique. Paris : Les balades).
Enfin je présenterai à l’aide d’un diaporama les « balades poétiques », une application joyeuse & directe de « l’espace poétique » que je réalise en Creuse, depuis octobre 2018.
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L’espace poétique, un espace d’expression libre de la joie
- Qu’est-ce que la joie ?
- Qu’est-ce que « l’espace poétique » ?
- Les forces joyeuses de « l’espace poétique »
- « L’image poétique » et son émerveillement
- De l’image à « l’espace poétique »
- 4 éléments de « l’espace poétique » favorisant la joie
- 4 fonctions actionnant potentiellement la joie dans « l’espace poétique »
- L’effet de « transformation »
- Diaporama et retour sur l’expérience des « balades poétiques » en pleine nature
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*8ème rassemblement des dramathérapeutes et professionnels
utilisant les arts scéniques à des fins thérapeutiques, sociales et éducatives.
10 ans de l’Association Nationale de Dramathérapie
Le Karbone, MJC Monplaisir 25 avenue des Frères Lumière, 69008 Lyon
Conférence de Valérie Chatain
Samedi 28 janvier 2023 - 16h15
Joie en mouvement dans « l’espace poétique ».
Présentation et retour sur l’expérience
de "balades poétiques" conduites en pleine nature.
- Qu’est-ce que la joie ?
La joie est souvent associée à la philosophie de Spinoza qui dans son ouvrage Ethique défie l’austérité moralisante ambiante du XVIIème siècle, présentant cet « affect » comme fondamental. Du latin Laetitia, f, la joie est le terme générique que Spinoza utilise dans son œuvre, le mot latin Gaudium se rapporte davantage au contentement et Beatitudo à un autre état plus passif. Dans la joie, d’après Spinoza, il y un mouvement de passage :
« La joie (Laetitia) est le passage de l’homme d’une perfection moindre à une plus grande. […] Je parle d’un passage. Parce que la joie n’est pas la perfection elle-même. En effet, si un homme naissait avec la perfection par laquelle il passe, il serait en possession de cette perfection sans affect de joie »]. Ethique de Spinoza, Éthique, III, 11, scolie et passim.
Spinoza estime cet état supérieur, plus grand que les autres états. Ce passage est éphémère, provisoire, transitoire, contrairement à l’idée reçue de l’époque, selon laquelle la joie serait davantage un état durable (Manzini, F. 2014).
Et ce qui nous intéresse ici, pour « l’espace poétique » c’est que la joie peut, selon Spinoza, procurer au sujet, un effet de mise en action : elle augmente sa « puissance » d’agir. Et le corps, d’après Spinoza devient un élément essentiel de l’action. Spinoza réunit le corps et l’esprit et s’oppose ainsi à la vision dualiste de Descartes, en valorisant l’importance du corps. La joie met, selon lui, le corps en action et c’est en cela qu’elle est supérieure aux autres « affects ».
« J'entends par affects ces affections de corps qui augmentent ou diminuent, favorisent ou empêchent sa puissance d'agir, et j'entends aussi en même temps les idées de ces affections.
C'est pourquoi, si nous pouvons être cause adéquate de quelqu'une de ces affections, alors par affect j'entends une action ; autrement, c'est une passion.
Éthique, III, Définition 3 – III_De l’origine à la nature des passions »
En dernière partie de L’Ethique, intitulée De la puissance de l'entendement ou de la liberté de l'homme, Spinoza indique une conduite vers la liberté et introduit ses dernières propositions par cette introduction sans équivoque sur une marche à suivre :
« Je passe enfin à cette partie de l'Éthique qui a pour objet de montrer la voie qui conduit à la liberté. J'y traiterai de la puissance de la raison, en expliquant quel est l'empire qu'elle peut exercer sur les affects ; je dirai ensuite en quoi consistent la liberté de l'âme et son bonheur » Éthique, IV, Introduction des propositions, De la puissance de l'entendement ou de la liberté de l'homme.
Dans les années cinquante, Bachelard considère l’imagination, comme une puissance majeure de la nature humaine (Bachelard, 1957, La poétique de l’espace, p. 16). La joie dont je voudrais vous parler aujourd’hui, fortement liée à « l’espace poétique », c’est celle développée par Gaston Bachelard, c’est la joie de l’émerveillement, notamment face à une image.
Définie par Gaston Bachelard, l’image poétique, « soudain relief du psychisme » s’invite à notre esprit, de façon inattendue et imprévisible, source d’émerveillement et de joie. « Elle est éphémère », elle nous traverse, surgit dans notre état d’éveil, se projette à notre esprit, puis repart. Il s’agit selon Gaston Bachelard, d’accueillir cette image poétique soudaine. (Bachelard, 1957, La poétique de l’espace, p. 1) Cet accueil mobilise ensemble corps, âmes et esprit (nous ferons une expérience un peu plus loin).
Il y a quelque chose d’enfantin dans la rêverie et dans le fait d’être émerveillé par une image poétique : tel un enfant, « le poète s’ouvre en toute naïveté » selon Gaston Bachelard. (Bachelard G. (1960, 1978). La poétique de la rêverie. P. 3) et transmet son émerveillement au lecteur. Gaston Bachelard cultive ainsi ce qu’il nomme « une psychologie de l’émerveillement », sans aucun lien de cause à effet, entre une image et un parcours de vie. Là où la psychanalyse chercherait des causes, la psychologie de l’émerveillement proposerait simplement d’accueillir l’image poétique qui nous traverse.
« Nous sommes faits pour bien respirer. Et c’est en cela que la poésie – sommet de toute joie esthétique – est bienfaisante. (Bachelard G. (1960, 1978). La poétique de la rêverie. p. 22)
A l’émerveillement de l’image s’ajoute, selon Gaston Bachelard, la joie de parler, comme celle que je ressens à l’instant au fait de converser avec vous. « Il faut la prendre cette joie dans son absolue positivité » et « il serait bien vain de lui chercher des antécédents ». Gaston Bachelard compare l’image poétique à une lumière qui éclaire notre conscience sous un jour nouveau : « L image poétique éclaire d'une telle lumière la conscience, qu'il est bien vain de lui chercher des antécédents inconscients. » (Bachelard G. (1960, 1978). La poétique de la rêverie. P 3). C’est dans sa nouveauté que l’image poétique s’accueille et nous saisit ainsi de joie et d’émerveillement. Et cette nouveauté nous touche dans sa naïveté enfantine.
Transition : de l’image à l’espace poétique.
- Qu’est-ce que « l’espace poétique » ?
Au démarrage de l’espace, il y aurait une image. Et cette image nous ouvrirait un espace : ouvert à tous, dans lequel, on pourrait se mouvoir, bouger, crier, lever les bras au ciel, tambouriner, courir, sauter, voyager, chanter, danser, converser et s’envoler librement. Dans cet espace, ensemble, on pourrait créer.
L’image nous traverse corps, âme et esprit
Dans le « vécu » de l’image, le corps est impliqué, autant que l’âme et l’esprit. Comment passe-t-on d’une vision d’image à un acte de créer ?
Pour illustrer cet accueil psycho-corporel d’une image, prenons l’exemple de l’exercice théâtral du « citron », inspiré des méthodes Stanislavski (1963) et de Pezin (2002), proposé aux jeunes acteurs qui apprennent le métier.
Deux expériences collectives : de l’image à l’espace poétique, « le citron ». 5 min.
Echange collectif, retour sur expérience. 5 min.
S’agissant du corps, les écrits de metteur.e.s-en-scène, de directeur.e.s de théâtre ou d’acteur.e.s nous rappellent cette vitale nécessité de lier corps et psychée : Michael Chekhov, commence son œuvre par cette phrase : « Chacun sait que le corps et l’esprit dépendent étroitement l’un de l’autre et influent, constamment sur l’autre. » (Chekhov, 1953, 2007, P. 19). Jacques Lecoq raconte comment il est entré au théâtre, par le corps, c’est-à-dire par le sport : en faisant de la gymnastique, inspiré par la beauté du mouvement, il s’est naturellement dirigé vers le théâtre, puis a écrit le « corps poétique ». (Lecoq J. 1997. Le corps poétique, P1). L’acteur Yoshi Oïda, par sa culture Japonaise, relate l’importance du corps dans le théâtre Kabuki et la nécessité de « doubler chaque exercice physique d’un exercice de l’imagination. » (Oïda, 1998, P. 39).
L’activité théâtrale est d’abord organique (Stanislavski, 1963). Au théâtre, l’image poétique se vit dans un mouvement d’accueil psycho-corporel. Daniel Sibony, psychanalyste et danseur le souligne dans son ouvrage « le corps et sa danse », lorsqu’il aborde le jeu de l’acteur : « l’expérience de l’acteur, celle où corps et âme, - corps visible et corps latent - non seulement communiquent, mais sont deux formes d’une même présence physique et mentale. » (Sibony, 1995, P. 311).
Définition de « L’espace poétique »
Artistes, philosophes et cliniciens ayant exploré et théorisé l’espace, le qualifient, chacun à leur tour : « invisible » selon Peter Brook, « sacré » selon Antonin Artaud, « sorcier », selon A. Mnouchkine, « magique » selon de nombreux auteurs : Jerzy Grotowski, Antonin Artaud, Alejandro Jodorowsky, Peter Brook, … « Poétique », selon Gaston Bachelard.
Winnicott théorise « l’espace potentiel de jeu en profondeur », le qualifiant de « transitionnel », d’après l’observation expérientielle de ses consultations avec des enfants. Il réussit à rendre cette aire transitionnelle de jeu, universelle, marquant ainsi un tournant, dans son acceptation large et bienveillante de la part de la psychanalyse et de la psychiatrie.
« Bien sûr, l’existence de ce qu’on peut tenir pour une aire intermédiaire n’a pas échappé aux philosophes, par exemple, on la trouve invoquée, sous une forme particulière, dans l’éternelle controverse sur la transsubstantation. Elle apparaît encore avec force chez les poètes dits métaphysiques, tel John Donne. Ma propre conception est issue, elle, de l’étude des bébés et des enfants. » (Winnicott, Jeu et réalité, L’Espace potentiel, 1971, P. 21)
Je propose dans mon essai de théoriser « l’espace potentiel de création », que je nomme « l’espace poétique ». En intégrant l’idée de création, « l’espace poétique » invite toute personne entrante, à convoquer, quelque part, quelque chose de son potentiel créatif. C’est l’espace imaginaire potentiel de création. Le caractère pacifique et doux du mot « poétique », le donne à voir comme un espace accueillant, bienveillant, ouvert, suspendu, soudain, éphémère, drôle, cosmique, magique…
Précisons que « l’espace poétique » n’est pas l’espace scénique, autrement dit, il n’est pas l’espace physique, ayant ses dimensions et ses éléments propres. Au théâtre, cet espace imaginaire plane de manière invisible au-dessus de la scène, dans un ailleurs que seul.e.s les les actrices, acteurs, spectatrices, spectateurs, peuvent voir, et dans lequel les actrices et acteurs peuvent se mouvoir et créer, dans l’instant présent.
D’après une étude des livres théoriques existants sur l’espace, je propose une définition de « l’espace poétique », puis en présente les éléments intrinsèques : la création, la liberté, le jeu, l’imagination, la rencontre, le groupe, le mouvement, le temps présent… ayant des fonctions soignantes que je décris une à une : connexion, sensori-motrice, distanciation, enveloppement.... En voici la définition :
« L’espace poétique serait l’espace symbolique de création, de liberté, de jeu, d’imagination, de rencontre, de liens, de groupe, de mouvement, qui s’ouvrirait au temps présent et qui aurait le pouvoir d’activer le potentiel imaginaire et créatif de toute personne entrante, dans une inter-relation et une inter-action. »
Chatain, V. (2018, 2020), L’espace poétique. Paris : Les balades.
- 4 éléments de « l’espace poétique » favorisant la joie
Comment et en quoi ces quatre éléments favorisent-ils la joie. Argumentation étayée d’exemples par la lecture des chapitres de L’espace poétique (Chatain. 2020)
Lecture des chapitres de L’espace poétique (Chatain. 2020)
-Un espace de mouvement p. 39
-Un espace de liberté p. 33
-Un espace de jeu p. 34
-Un espace de rencontre et de lien p. 37
- 4 fonctions actionnant potentiellement la joie dans « l’espace poétique »
Comment et en quoi ces quatre fonctions sont-elles potentiellement des forces de joie. Argumentation étayée d’exemples par la lecture des chapitres de L’espace poétique (Chatain. 2020)
-Fonction de rire et d’auto-dérision p. 58
-Fonction de connexion p. 43
-Fonction d’expression psycho-corporelle p. 23
-Fonction de créativité p. 61
- Effet de transformation p. 63
L’effet de « transformation » est développé par J.P Klein dans son ouvrage Art-Thérapie (Klein, 1997. 2014, P. 41). Le terme est mentionné, dans sa définition de l’art thérapie :
« L’art thérapie, c’est l’accompagnement thérapeutique de personnes mises en position de création de telle sorte que leur parcours d’œuvre en œuvre fasse processus de transformation d’elles-mêmes. »
Dans l’espace poétique, nous l’avons dit précédemment, nous créons des formes. Et ce processus de création opère en nous des mouvements et des changements, que nous pouvons appeler de manière synthétique : « transformation ». (suite p 63)
- Diaporama et retour sur l’expérience des « balades poétiques »
« Balades poétiques » en pleine nature fondées sur « l’espace poétique »
« La rêverie nous aide à habiter le monde, à habiter le bonheur du monde » Gaston Bachelard
Merci de votre écoute. »
Chatain Valérie
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Citer cet article & l’essai « L’espace poétique »
- Chatain V. (2023). Joie en mouvement dans « l’espace poétique ». Présentation et retour sur l’expérience de "balades poétiques" conduites en pleine nature.
- Chatain, V. (2018, 2020), L’espace poétique. Paris : Les balades.
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Essai "L'Espace Poétique", se le procurer via
www.valeriechatain.com
contact@valeriechatain.com
©Sacd - 2018. 2020. 2023
Agrandissement : Illustration 1