
Mercredi 18 novembre à Saint-Denis. Il est 19 heures, rue du Corbillon. L'assaut qui a conclu les récents attentats meurtriers s'est terminé en début d'après-midi. Une ambiance surréaliste règne dans cette ville meurtrie : après l'enfer d'une matinée de tirs en rafale, l'angoisse et les pleurs ont laissé la place au vide.
Un silence lourd et glaçant s'est abattu dans les rues du centre-ville. Saint-Denis, cette ville pourtant si vivante, sa foule bruyante et colorée, ses places animées par les ventes de Pastel maison à la sauce piquante, et quelques affaires sous le manteau, ses rues aux mille échoppes et ses trottoirs témoins de nombreux passages de toutes formes, son ambiance à la fois Souk, Keur Massar, Fest-noz et Babel...oued.... plus rien.

Tout est fermé, les trottoirs sont dégagés, les rues sont désertes. Désertes, à l'exception des équipes radio et télé. Dos à la Basilique, deux impressionnantes lignes de spots refoulés à l'arrière des limites du pérmiètre éclairent les quelques mètres face à la rue de la République pour les caméras aux poings en quête d'images.

Même chose d'un peu plus près, juste derrière la barrière qui bloque l'accès à la rue, du matériel et des journalistes. Et là, quelques passants, curieux, restent sur place à l’affût d'un contact, d'une info. Certains attendent debout ou assis. L'atmosphère est pesante....
Nous errons en famille, nous aussi, et arrivons place du Caquet où nous trouvons contre toute attente le magasin Carrefour ouvert. Oui, ouvert, en plein centre, à deux pas de l'assaut.

Carrefour, bravant les consignes de sécurité, est ouvert. L'ambiance y est inhabituelle, à une heure de grande affluence, les rayons sont vides. Pas un chat, à part un grand blond, lourdement équipé de son matériel de prise de vue qui semble pro. Visiblement, il fait ses courses. Il parait un peu perdu, et pour cause, il ne parle pas français. Il parle cette langue vernaculaire que bien peu de monde connaît ici : l'anglais.
Nous finissons par rentrer chez nous, marchant le long de la ligne de bus que nous prenons lorsqu'elle roule, pour atteindre notre adresse.
Je me dis que notre génération a cette chance de n'avoir jamais connu de guerre. Nous autres n'avons pas vécu la terreur des destructions civiles, des couvres-feux, des rationnements, la peur au ventre en sortant faire les courses. Voilà un épisode qui nous renvoie une image bien faible de ce que pouvait signifier cette abomination jusque dans notre quartier. Mais là, il n'y a pas de déclaration de guerre ni d'armistice, il n'y a pas de champ de bataille dédié aux affrontements armés, ni d'ennemi clairement identifiable, ce conflit est d'un genre nouveau. Ça n'aide pas....
Tout s'est arrêté aujourd'hui dans ce monde qui va si vite à produire, consommer, travailler, toujours plus et encore davantage. Ce temps suspendu face à l'horreur d'un tel mépris pour la vie est pourtant indispensable. Les mots nous manquent face aux pleurs de nos enfants, pourtant, la mémoire nous l'impose, le 13 novembre devrait être un jour férié.

