Je serais bien restée
Mais
Je pars
Je laisse derrière moi un ancien rêve
Le rêve du travail social
Je ne peux plus l’accomplir à cette place de direction
Je vous souhaite le courage de la reconquête
Oui
De la reconquête et de la quête
L’État nous propose la farce des AAP
Il constelle nos boîtes mails de ces friandises
Nouveautés ! Innovation sociale
Le sens s’efface
Les valeurs s’estompent
L’absurdité envahit notre intervention
Nous nous hamsterdisons
Nous faisons semblant d’y croire
Le show biz arrive et le marketing avec
L’État produit un patchwork de projets
De plus en plus petits
De plus en plus anodins
De moins en moins en écho au monde
L’État nous veut compulsifs-ves sans graal
Nous ne marchons pas sur un fil
Nous marchons sur deux fils qui s’écartent
Nous nous désaccordons
Notre funambule intérieur ne sait plus comment faire
Déphasage complet
Je veux une boussole
Je fais mine d’innover
Je mime
Mais de stratégie et de prospective communes
Point
Pas d’intelligence collective tant vantée
Nous sommes à la traîne
Nous resservons de vieux modèles
Incapables de nous repenser sans verser dans les modes
Nous réseautons oh oui mais avec quels objectifs
Nos réseaux nous enferment quand ils devraient nous ouvrir au monde
Nous réseautons dans un entre soi oxydant
Les compétences à porter de main
Nous ne les utilisons pas
Nous sommes aveugles à nous-mêmes
Et nous nous faisons auditer
A tour de bras
Vive le consultanat
Puis l’heure est à la légende entretenue
L’usager au centre du dispositif
Et plus cela est dit
Et moins cela est fait
La participation est une illusion
Que nous jouons à 2002-2 temps
Les pauvres n’ont jamais eu à ce point si peu de place
Le regard social se glace et se pervertit
La précarité est un marché, comme le handicap, la cause des femmes, les migrants
Si peu d’ambition pour ces publics
Pour ces « invisibles »
L’État dit « invisibles » : il est aveugle alors
Il ferme les yeux, coud sa bouche, couvre ses oreilles
Et nous voilà partis à la recherche de cet-te autre transparent-e
Rendez-vous compte : nous recherchons des invisibles
Indécelables, insaisissables, imperceptibles, indiscernables, introuvables
Bon courage
Je me souviens de l’épisode des sans dent
Vous vous souvenez de cette parole du représentant suprême de l’État
Quand je descends le boulevard d’Athènes
Je ne sais pas mais je vois bien ces petites filles
A moitié nues endormies sur des matelas de fortune
Je les vois très bien même, et tous les jours
Et des petits garçons aussi
Comme les vendeurs de clops, les prostituées à quelques €, les clodos, les paumés
Dans le bus aussi, je les vois bien celles et ceux qui habitent mon quartier
Ou le quartier d’à côté
Ceux et celles qui triment en deçà du dicible
Je les vois le dimanche matin chiffonniers chiffonnières des trottoirs à la casse
D’une euro-méditerranée qui prépare les flyers et les tracts glacés des prochaines élections
Je le vois mon quartier en train de disparaître
Je les vois bien aussi
Les marchands de sommeil et leurs cafards
Leurs punaises de lit qui n’en finissent pas de nous éloigner de notre travail
De nous éreinter l’esprit, d’user nos convictions
Je ne suis pas là pour faire de la désinfection
Je suis là pour participer à l’émancipation, l’éducation, la promotion de la personne, de son identité et de sa dignité, la formation
Je suis là pour apporter une ouverture d’esprit, une envie de bien être
Nous sommes des petits moteurs, des petits catalyseurs d’énergies
Nous devons rester des empêcheurs empêcheuses de tourner en rond