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Billet de blog 13 février 2022

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La souffrance au travail dans les secteurs social et médico-social

Il s'agit d'un texte autobiographique au sujet de mon expérience en qualité de directrice d'établissements des secteurs social et médico-social, entre 2009 et 2021. J'y aborde mes déconvenues, la violence qui s'y pratique, même si je ne développe pas encore cette partie là. Une envie d'écrire sur la casse des cadres là où on pouvait penser qu'elle n'existerait pas. Valeurs, humanisme ! A d'autres.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

C’est quoi souffrir au travail quand on est directrice d’établissements type CHRS, UHU, Accueil de jour, AAVA, MECS, ACT, …

Tu as fait 36 mois de formation pour obtenir un CAFDES. On a préparé ton esprit à une certaine forme de gestion, mais tu as 42 ans, et on ne va pas te la faire à l’envers.

Tu as vécu, travaillé, engrangé et mixé 20 ans d’expériences. Ton parcours commence dans le théâtre à Paris, puis tu glisses vers l’action socio-culturelle avec un DEFA complet à Marseille, tu passes par l’insertion socio-professionnelle et un projet de coéducation, enfin tu choisis de prendre davantage de responsabilités.

Ta vie de famille est comme celle de tout le monde ou de beaucoup, des enfants, une charge de travail additionnelle, un compagnon qui n’est pas vraiment au rendez-vous de sa paternité quand ton exigence est au maximum sur tous les fronts. Tu veux montrer de quoi tu es capable. Tu aspires à la perfection.

Tu obtiens des postes de directrice et au début, tu t’éclates. C’est ces mots-là que tu utilises. « Je m’éclate au travail ». Tu es excitée par ton taf. Tu y vas la joie dans le regard et le torse encore bombé.

Et voilà, 2014, les magouilles marseillaises viennent te planter leurs crocs dans la gorge. Tu te fais passablement liquidée par un front politique qui t’échappe. Un appel d’offre perdu, totalement pipeauté. Tu ne penses pas ça croyable. Tout le monde crie un peu, mais pas longtemps. Quelques articles, quelques têtes d’affiche du cru, toujours là pour s'offusquer : « Non, ça ne va pas se passer comme ça », et puis rien, silence radio. On passe l’éponge !

C’est la 1ère gifle puissante dans ta face de petite directrice qui croyait sincèrement qu’elle allait changer quelque chose à la donne avec son directeur de programme. Tu goûtes la trahison. Se faire saper le moral, se faire saper la morale.

Cette gifle-là, tu vas mettre 19 mois à t’en remettre. 19 mois durant lesquels tu vas passer 23 fois entre les mains des recruteurs-recruteuses. Tu vas participer à 23 recrutements et jamais tu ne décrocheras le titre. Tu participes même à un ou deux faux recrutements. C’est épique.

Une amie finit par te dire : « Tu dois te poser les bonnes questions, qu’est-ce qui bloque ? » Une consultante lit tes résultats au test et te confie avec gentillesse : « Vous savez, ils cherchent un clone ».

La seule fois où tu décroches un poste, incroyable, on est venu te chercher. Un chasseur de tête qui te dit que tu es la candidate idéale. Et c’est vrai. C’est vrai deux fois.

Je peux gérer cette structure à ma façon à moi, parce que je suis formée pour ça et que ça m’intéresse.

Je suis parfaitement préparée pour me prendre ma 2ème gifle bien sentie. Celle-là, je ne la vois pas venir.

Je prépare donc fébrilement ma petite valise en plastique et je monte à Paris. Je suis restée 2,5 semaines en poste, avant de dire : « Salut la compagnie, vous aviez l’air sympathique, mais en réalité vous êtes une belle bande de c., racistes qui plus est. »

Je n’ai pas l’impression d’être « à ramasser à la petite cuillère ». Je ne vois pas l’effondrement, il est trop près de moi. Je ne me vois plus. Je n’ai plus conscience de mes dents serrées, de ma colère intérieure, de ce décollement du sol, du dos qui craque, des viscères qui te causent dans leur langue maternante. Tu es aveuglé par ton désir d’y croire encore. De croire que c’est possible d’avoir une éthique, de travailler le décloisonnement, d’accueillir avec respect, de vouloir émanciper les publics reçus, de faire évoluer l’intervention sociale, de former tes équipes à la communication non violente, de construire des projets éducatifs qui tiennent la route et ont du sens.

Mais tu n’es pas adaptée, et tu ne veux pas le comprendre. Ta ferveur est un handicap. Ton enthousiasme emmerde, comme ta rigueur et ta culture. Tu peux dégager le terrain, tu n’es rien.

Il y a aussi quelques consultants, toujours les mêmes, à qui on demande des diagnostics de structures et tu sais qu’ils mentent, parce qu’ils ont besoin de bosser. Ils mentent sur ce qui se passe sur le terrain, ou pire, ils ne comprennent pas et mentent par inconnaissance.

Tu finis par atterrir dans une MECS et là, tu vas connaître dans ta chair le poison syndical. J’en ai mal de l’écrire. Tu vas te faire poignarder avec précision et opiniâtreté par un grand (tall not great) syndicaliste qui n’a que lui à protéger mais qui sait très bien enfumer la base.

J’ai encore un lien avec cet établissement, et je sais que la méthode perdure avec les nouveaux et nouvelles salarié-e-s. Un éternel recommencement. On accueille, on juge, on poignarde, on ne te laisse pas la parole, jamais de défense. On t’enterre la bouche ouverte.

J’ai tenu, 2 ans.

Concrètement, je sais que je tiens à moi, car je suis passée victorieusement à côté du vrai burn out, celui qui tue l’âme, qui vous rafale au sol.

Après cet épisode, je me suis dit : « Dégage de là, va cuisiner ». Je suis allée cuisiner. Un directeur général me rappelle, un lundi de Pâques : « Ma sœur est dans la merde, tu ne voudrais pas prendre la direction ». J’ai dit « Yes » et la sœur a dit « Yes » aussi. Les femmes victimes de violences conjugales ça me parle. Je vous la fais courte, j’ai tenu 15 mois. Et comme je n’avais pas encore vraiment compris après 4 gifles, je suis allée en chercher une 5ème.

La bonne nouvelle, c’est que : ça y est, j’ai compris. J’arrête d’être directrice. J’écris. Je réfléchis à mon avenir que je suis en train de construire pas à pas. Step by step. Et ce texte, c’est un début, car je veux écrire sur ces expériences de casse. L’exercice est difficile et j’aimerais y mettre une touche d’humour, car il faut rire de ce monde du travail qui s’auto-détruit et se putréfie. Ah, oui, on vit avec, mais pour quelle qualité de vie ?

Encore vendredi soir, j’étais conviée à un dîner où une éducatrice a parlé toute la soirée de son malaise profond au sein de l’ASE. C’est ça le travail : tu rentres chez toi, tu pleures parce que tu ne peux pas travailler, à cause des c., à cause du fric, à cause des politiques publiques.

Mais ça tient, la société tient. C’est ça qui est incroyable. On parle des EHPAD, mais il faut parler des secteurs du social et du médico-social qui sont au bord du gouffre, en termes de ressources humaines, de gestion, d’organisation, de gouvernance, de respect des publics accueillis et accompagnés. Mais ça tient, la société tient. Et dire que j’ai cru à la RGPP.

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