Ubuesque : du personnage créé par Alfred Jarry dans sa pièce Ubu roi. Se dit de quelque chose qui a un caractère comique, cruel et couard.
La photo prise par Eduardo Munoz (mise en ligne le 2 mars) attire l'attention, peut-être d'abord parce qu'on ne sait pas pendant une fraction de seconde, si elle est glaçante ou drôle grâce à cette petite touche d'irréel. Et peut-être parce qu'on n'a pas envie que ce soit vrai. Deux religieux nous font face, ils ont dépassé la soixantaine, qu'ils portent bien. Ils sont vêtus d'une longue robe immaculée aux larges manches, au col boutonné jusqu'à la glotte. Par dessus, une chasuble en satin rose vif. Celui de gauche porte un joli petit diadème doré. Leurs gants blancs sont serrés sur des fusils d'assaut AR 15 (nommé « M16 » par les militaires américains). Ils essaient de les tenir comme de vrais soldats, mais il n'est pas certain qu'ils aient fait leurs classes. C'est propre, c'est blanc, c'est ordonné, c'est l'Amérique. Nous sommes en Pennsylvanie, à Newfoundland, en l'Église du Sanctuaire où des centaines de couples (ça fait toujours bien), endimanchés (c'est plus correct) sont venus faire bénir leur AR 15 chéri. « Tu ne tueras point », mais quand même, parfois ça les démange. Leur arme est pour l'occasion baptisée « bâton d'acier ». Si seulement elle pouvait se contenter d'être un bâton.
Certes, le sabre et le goupillon ont souvent fait bon ménage mais n'y a-t-il pas une forme d'indécence à cette célébration du fusil d'assaut quelques jours après une tuerie dans un collège qui a contribué aux 30 000 morts aux États-Unis par armes à feu, bon an mal an. Une sorte de démence généralisée ? Le voici, le mot ubuesque, ou comment le théâtre parvient à nommer les choses du monde qui nous laissent sans voix. La fiction au secours du réel. Car nous parlons bien d'un pays-modèle, d'un pays-ami, dirigé par un type relevant de l'asile et auquel nous faisons des courbettes. Qui est le plus à blâmer, le fou ou celui qui le sert ? Si nous ne risquions pas de mesures protectionnistes, nous pourrions exporter le mot ubuesque là-bas où, pour le moment, on utilise grotesque, pas si mal, hérité également du français. Comme si les anglo-saxons étaient incapables d'attitudes de ce genre. Shocking !