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Billet de blog 11 février 2025

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Toxicomanie et addiction : témoignage et combat d'une mère

L'addiction aux drogues dites « dures » fait toujours peur, rebute, est mal comprise et c'est souvent un long combat qui se joue dans le huis clos des familles. La honte fait partie intégrante de cette réalité, la drogue isole et cette pathologie ressemble à un cancer, une longue maladie avec ses rémissions, ses rechutes, ses espoirs et sa souffrance...

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

La drogue est en ce moment au centre de nombreux débats : dans les media, dans les enquêtes journalistiques, dans les déclarations politiques diverses et variées, dans les apparitions récurrentes du professeur Benyamin sur le petit écran. Il est aujourd'hui beaucoup question de répression, de culpabilisation des toxicomanes.

On entend parler également de changement de société, de façon de travailler (stress, pression…) en banalisant presque l'usage de stupéfiant pour assurer, pour être performant...etc. Tous les milieux sont touchés.

La parole des familles, des parents, des fratries, directement impactés par l'addiction d'un proche n'est jamais entendue parce que jamais donnée.

On ne parle jamais du parcours, qui est pire qu'un parcours de combattant quand on veut se soigner en France de ses addictions. Pas prise en charge rapide, aucune prise en charge urgente, des services d'addictologie saturés, des refus de prise en charge aux urgences des hôpitaux, et j'en passe...le drogué est à la frontière entre la psychiatrie et la médecine (pathologie) ce qui rend la prise en compte extrêmement compliquée.

Le problème est sociétal et systémique et la société est aujourd'hui complètement dépassée et pas du tout adaptée à ce fléau de masse. De plus, si la consommation d'alcool est tolérée voire acceptée malgré les ravages qu'il peut faire, celle de la drogue fait peur, est plus sale, rebute. C'est une réalité.

Je suis la mère d'un jeune adulte de 28 ans, addict à la cocaïne depuis de nombreuses années, addiction pas du tout festive et qui le met régulièrement dans un état qui le rend totalement inapte à travailler, manger, se laver, se lever, vivre tout simplement. Qui le marginalise au fil du temps malgré qu'il soit toujours à la maison, entouré et épaulé le plus possible.

On oublie de dire et de considérer vraiment qu'un drogué est cyclique, à la marge de la bipolarité souvent, que quand il est abstinent le monde s'apaise, l'espoir renaît avec des projets et des promesses sincères, et que quand il consomme, plus rien n'existe que la drogue et que le monde autour n'existe plus. Le toxicomane est égocentré. C 'est dans ces moments là justement que les familles auraient besoin d'aide, de solutions immédiates, de prise en charge urgente. Ça n'est pas possible.

Je m'explique : Un soir de conso ou de manque votre enfant devient agressif, insultant, ingérable, harcelant. Sans solution et parce que vous avez peur, vous appelez le 15 qui écoute mais ne se déplace pas car la personne est consciente et sans urgence vitale. Vous appelez alors les pompiers et la police en expliquant ce qu'il se passe.

Les équipes se déplacent -à contre cœur parfois- et au mieux amèneront la personne aux urgences de l'hôpital de secteur, qui, au mieux, l'orientera au service de garde psychiatrique qui conclura qu'il ne peut rien faire car c'est un drogué non reconnu comme 'malade mental' et qu'il n'est pas à la rue. Au pire, vous diront que votre domicile est aussi son domicile et qu'il n'ont pas le droit de le mettre dehors ni même de 'l'embarquer' puisqu'il n'y a pas de violence physique.

Retour à la maison, retour à la case départ sans aucune solution. Je l'ai vécu plusieurs fois et dans ces moments on se sent complètement démuni.

Autre scénario : le toxicomane, dans un moment de responsabilité et lucidité, décide de se soigner et entreprend les démarches. Il va lui falloir attendre des mois pour pouvoir suivre un sevrage de 3 semaines en addictologie....résultat des courses, il fait son sevrage lui même, tout seul puisqu'il en a la volonté, et au moment où on lui propose un rendez vous pour ce sevrage en milieu hospitalier, il a repris une vie 'normale' et perd sa place pour un éventuel futur sevrage.

La situation se complique encore s'il décide de faire une post-cure de plusieurs mois. Il faut savoir que les associations ne sont pas nombreuses et que le nombre de places est très limité. Il faut remplir un dossier qui passe en commission, et s'il est accepté prendre contact et garder le contact, puis attendre. La cure initiale de sevrage est obligatoire.

Le sevrage personnel et qui pourrait facilement être vérifié par des analyses de sang n'est pas reconnu et non accepté. Conclusion : Retour à la case départ avec double liste d'attente, celle du sevrage et celle de la post-cure. C 'est un enfer pour le malade et pour sa famille qui accompagne, soutient, et cherche sans arrêt des solutions. Attente est le maître mot alors qu'il est le plus inadapté à ces situations fragiles et douloureuses.

Le toxicomane peut également être accompagné dans un CSAPA : Consultation avec un psychologue et parfois addictologue. C 'est mieux que rien mais ça n'est pas suffisant parce que les équipes sont sous dimensionnées et n'accueilleront jamais une personne sous substance. Conclusion : Aucun accompagnement ni soutien professionnel (médical) en période de consommation !

Il existe aujourd'hui des salles de shoot et des accueils de consommateurs de crack car cette population représente un danger public immédiat. C'est un fait. Mais on ne prend pas en compte le danger qui se joue dans les familles derrière les murs des appartements lorsqu'un proche souffre d'addiction à d'autres substances.

Au final, et après x rechutes, x combats, épuisement psychologique pour la famille, vous vous dites qu'il y a encore quatre solutions :

  • faire vos bagages, vos cartons, et déménager, fuir cet enfer et laisser votre fils livrer à lui même alors qu'il est évident qu'il ne se supporte pas lui même et qu'il n'est pas du tout autonome, même si adulte
  • attendre la dose de trop, l'arrivée de l'overdose pour que le 15 se déplace enfin
  • espérer une crise psychotique grave pour demander une hospitalisation d'office, elle même un parcours de combattant. Hospitalisation qui se terminera dans un service psychiatrique qui décidera de la suite.
  • Porter plainte pour harcèlement, menaces, chantage, violence verbale, parce que vous les subissez régulièrement quand le manque arrive. Là c'est un juge qui décidera de la suite, injonction de soins et pourquoi pas prison...

Quelque soit la solution choisie, c'est vous qui devez porter et prendre la décision et vous seul, alors quelque soit le choix que vous ferez, les conséquences seront énormes.

J'ai voulu apporter ce témoignage car je sais qu'il est la réalité de nombreuses familles, familles qui sont les invisibles de cet enfer. Et je n'ai pas tout dit ni tout décrit. J'ai consulté de mon côté, j'ai échangé sur des groupes dédiés, j'ai demandé conseil.

Je suis une personne équilibrée, forte certainement et courageuse comme on me le dit, mais la société ne me demande t elle pas de porter ce qu'elle n'assume pas ? Messieurs Darmanin et Retailleau veulent punir et pourquoi pas mettre en prison tous les drogués. Les prisons seront vite saturées et les juges débordés. Que les bien pensants s'adressent aux personnes directement concernées, aux malades dont la souffrance est immense, aux familles enfermées dans un silence que tout le monde ignore.

Il est temps que les choses changent et avancent, que tout le monde réfléchisse et travaille ensemble sur un sujet important et difficile, et qui va bien au delà de la lutte contre le narco trafic et la répression de la consommation. Il est temps qu'on arrête simplement de dire aux familles « bon courage » car le courage ne suffit pas.

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