Lewis - dit "Lou" - Ranieri fait partie de ces self-made-men au destin improbable dont raffolent les Américains. S'il n'avait pas été asthmatique, il aurait poursuivi une carrière banale et tranquille de pizzaiolo dans Little Italy. Qui sait? la face du monde en aurait peut-être été changée. Mais, forcé de quitter ses fourneaux enfumés, le hasard ou une main plus invisible que celle des marchés le conduisit chez Salomon Brothers, une honorable banque de Wall Street où le petit italien natif de Broocklyn allait devenir "le père de la titrisation"*. L'aventure commence en 1977, quand il met au point les premiers mortage backed securities* (MBS).
La titrisation était née et l'invention de Lou Ranieri allait connaître un fabuleux destin et prospérer comme l'innovation miracle de la nouvelle finance.
Dix ans plus tard, en 1987, Michael Milken commence par adapter cette trouvaille. L'inventeur des junk bonds* est l'un des banquiers les plus véreux de son époque. Son aventure se terminera en prison et mènera la banque Drexel Burnham Lambert, avec laquelle il a monté sa martingale, à la faillite parce qu'elle ne pourra pas payer les amendes qui lui seront infligées. Son idée est de titiriser des créances risquées (pour ne pas dire plus) avec d'autres qui sont considérées comme solides,, d'en faire un titre unique ensuite redécoupé en tranches pour être vendu à des investisseurs. Mélangeant notamment des MBS et des junk bonds, il crée ainsi une sorte d'avatar, les collateralized debt obligations*, (CDO).
Un peu oubliés après la chute de Milken et de sa banque - on comprend pourquoi -, les CDO vont pourtant reconnaître un prodigieux succès quand la finance de marché sera aux abois, à la suite de l'explosion de la bulle internet. En effet, malgré la naissance sulfureuse de ce produit financier mutant, la finance de marché va en faire ses choux gras et mener le monde aux portes de l'enfer. Wall Street va inonder le monde bancaire et financier, dans les années 2000, de produits plus complexes les uns que les autres, mais conçu à partir de la même idée. Ils seront déterminants de la crise des subprimes.
Quant à Lou Ranieri, devenu vice-président de Salomon Brothers, il fini par faire de l'ombre à ses employeurs qui le remercient en 1987. Il se lance alors dans les affaires pour son propre compte et crée entres autres, en 2002, la Franklin Bank Corporation. En 2004 - on est en plein dans le gonflement de la bulle des subprimes, Business Weeklui rend hommage en le présentant comme l'un des plus importants innovateurs des septante dernières années, à côté de Bill gates, Steve Jobs et quelques autres. En 2006, peut-être pris de remords comme Albert Einstein le fut à son époque, il tire la sonnette d'alarme et dénonce l'utilisation pervertie des MBS et de leur descendance monstrueuse, lesquels se sont disséminés dans la finance mondiale et se préparent à la faire exploser. mais c'est trop tard. La réaction en chaîne est amorcée, la crise ne peut plus être endiguée. Pour finir, c'est la Francklin Bank Corporation qui est elle-même saisie par l'autorité de supervision fédérale des banques en novembre 2008. Elle avait 5,1 milliards de dollars d'actifs en gestion à la veille de sa faillite, mais le coût d'indemnisation de ses pertes était évalué à la même date entre 1,4 et 1,6 milliards de dollars. Fin de la saga.
Quelle est la part, dans les crises financières qu'a connues la mondialisation au cours des trentes dernières années, de la criminalité? J'essaierai de montrer, au fil de mon blog, que ces deux mondes sont étritement liés.
Ce texte et d'autres qui suivront viennent de mes lectures. Je recopie et parfois je condense les pages des bouquins que j'ai lu.
*Titrisation: transformation d'actifs (créances, etc) en titre.
* MBS: titrisation d'actifs hypothéquaires.
*Junk bonds: "obligations pourries" émises par des entreprises n'ayant pas accès dans des conditions avantageuses au financement bancaire pour lever des capitaux. Bénéficiant d'un taux plus élevé que ceux du marché financier en raison des risques qu'ils présentent, ils attirent les épargnants et les investisseurs. Il ont été à l'origine de nombreux scandales.
*CDO: produits financiers composés de dettes diverses titrisées, placées dans un fond commun de titrisation dont les parts sont vendues à des investisseurs. Ces produits sont découpés en tranches représentatives d'un classe de risques prévisibles. Les tranches les plus basses absorbent les risques de non-paiement en priorité et sont donc mieux rémunérées. En principe, les tranches supérieures sont sans risque, mais elles bénéficient, d'une meilleure rémunération que les actifs sous-jacents.
Billet de blog 13 septembre 2011
L'origine sulfureuse de la nouvelle finance
Lewis - dit "Lou" - Ranieri fait partie de ces self-made-men au destin improbable dont raffolent les Américains. S'il n'avait pas été asthmatique, il aurait poursuivi une carrière banale et tranquille de pizzaiolo dans Little Italy. Qui sait? la face du monde en aurait peut-être été changée.
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