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Billet de blog 23 novembre 2016

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ABLUKA, de Emin Alper

Un film tragique sur la responsabilité politique. Prix Spécial du Jury, Mostra de Venise, 2015.

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Emin Alper, docteur en histoire moderne turque, enseigne à l'Université Technique d'Istanbul. Après un premier long métrage en 2012, Derrière la colline, qui a reçu de nombreux prix, il réalise ce très sombre et très beau film, écrit fin des années 2000, dans lequel il traite des effets de la violence politique. De passage à Paris, il est venu présenter Abluka en avant-première au Louxor, jeudi 17 novembre, avant sa sortie en salle aujourd'hui.

Abluka, traduit en français par « suspicions », mais qui signifie en turc « siège » ou « blocus » et renvoie plutôt au fait d'être encerclé, cerné, réduit aux abois, raconte les retrouvailles de Kadir, un homme sorti de prison après vingt ans de captivité, avec son frère cadet, Ahmet. Engagé par la police comme informateur dans les quartiers rebelles d'Istanbul, dans cette mégapole monstrueuse, quadrillée par les contrôles policiers et livrée à des explosions sporadiques, le vieux Kadir est chargé de fouiller les poubelles et d'épier ses voisins. Malgré ses efforts, il ne parvient pas à établir une réelle communication avec son frère taciturne. La vie solitaire d'Ahmet, abandonné par sa femme, semble elle aussi absurde. Elle se limite à traquer et liquider les chiens errants pour le compte des autorités municipales et à chérir en secret un chien. Des arrestations incompréhensibles dans leur entourage et des événements inexplicables vont amener les deux frères à se murer peu à peu dans la folie jusqu'à l'anéantissement. Mais au lieu de nous présenter ces êtres comme de simples instruments ou victimes d'un État totalitaire, au sein duquel la peur et la soumission constituent les seules modalités de relation, le film nous les donne à voir dans ce qui leur reste d'humanité, avec leurs choix et leurs égarements.

L'esthétique expressionniste d'Abluka marquée par le clair-obscur s'inscrit dans cette tradition des grands maîtres du cinéma turc pour lesquels la lumière paraît aussi importante que le scénario. La perfection formelle des cadrages toujours menacée par d'imperceptibles ou subtils mouvements de caméra ou d'angoissant hors-champs participe à créer une atmosphère apocalyptique. Entre réalité et cauchemar, ce film fascinant dépeint le devenir de la Turquie où la vie d'un homme n'a pas plus d'importance que celle d'un chien.

Ce « film d'auteur » a été vu en Turquie par plus de 20 000 spectateurs (principalement à Istanbul, Ankara, mais aussi dans quelques villes de la côte du sud ouest et à Dyabakir), ce qui représente un public considérable pour ce genre de film. Sa réalisation, nous a-t-il confié au Louxor, n'a posé aucune difficulté en dehors, bien entendu, des contraintes budgétaires. La police stambouliote a même participé au tournage avec bonhomie, moyennant, il est vrai, quelques largesses financières. Depuis les persécutions politiques de plus de 130 000 personnes qui ont suivies le coup d'État de juillet dernier, la situation a brutalement changé. L'avenir de ce talentueux et prophétique réalisateur paraît désormais bien incertain. Comme Ahmet, à présent, il se demande quand il entend un bruit derrière sa porte le matin ce qui l'attend.

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