Depuis l’autre côté de l’Atlantique, le manque d’adhésion aux deux grands partis semble plus compréhensible, tellement ces derniers rassemblent des positions et des idéologies alliant approche « extrême » et modérée des deux côtés de l’échiquier politique. Ainsi, alors que le 118e Congrès des États-Unis se préparait à entrer en scène, la sénatrice d’Arizona Kyrsten Sinema annonçait s’inscrire en tant qu’indépendante, pour mieux représenter les étasuniens, qui seraient à plus de quarante pour cent « indépendants ». Existe-t-il réellement une alternative face aux deux mastodontes de la politique que sont le Parti démocrate ou républicain ?
«Je ne me suis jamais bien adapté à la structure des partis», déclarait Sinema au début du mois de décembre 2022. Après sa réélection en tant que sénatrice de l’État d’Arizona, jusque-là membre du Parti démocrate, Sinema a annoncé qu’elle ne rejoindrait pas le caucus démocrate du Sénat. Elle a cependant assuré qu’elle ne participerait pas au caucus républicain. La sénatrice rejoint alors les deux indépendants Bernie Sanders et Angus King, avec en moins la participation au groupe démocrate. Ce mouvement s’explique pour elle par le besoin de mieux représenter l’orientation politique de la population générale, mais permet également de critiquer un système bipartisan défectueux.
Cette décision n’est pas réellement une surprise. D’autant plus que Kyrsten Sinema n’a jamais été une démocrate de toujours. Si elle a rejoint le parti en 2004, elle était auparavant membre du Green Party, quand elle brigua pour la première fois, sans succès, un siège à la Chambre des représentants de son État d’Arizona. Aux États-Unis, le terme «indépendant» a alors une toute autre signification, et renvoie en réalité à toute affiliation autre que celles liées aux deux partis majeurs : Démocrates et Républicains.
Le bipartisme comme principe clé
Héritage direct du colonialisme britannique, le système politique étasunien est, dès la mise en place de la constitution, marqué par le bipartisme (quand l’Europe est aujourd’hui dominée par le pluripartisme). Au centre des premières luttes politiques internes au nouveau modèle étasunien, on retrouvait les Fédéralistes d’Alexander Hamilton en opposition aux Anti-Fédéralistes, ou «Démocrates-Républicains», de Thomas Jefferson. C’est ensuite dans les années 1850 qu’apparaît le Parti républicain, avec dans ses rangs un certain Abraham Lincoln. Ce GOP pré-guerre de Sécession n’a alors pas beaucoup à voir avec sa version contemporaine, qui est elle plus l’héritière des années 50, voire de l’administration Reagan.
Les «third party», ou troisièmes partis, ont également existé de tout temps outre-Atlantique, mais ils n’ont jamais pu s’imposer à l’échelle fédérale, faute au système électoral et ses «grands électeurs», n’accordant que très peu de poids au vote populaire. Depuis que le Parti républicain est devenu important, soit depuis la moitié du 19e siècle, ce n’est qu’à seulement cinq reprise qu’un de ces «partis mineurs» a remporté au moins un grand électeur. En 1968, George Wallace, candidat du parti d’extrême-droite American Independent Party, empochait 5 États, et 46 grands électeurs (élection qui fut remportée avec 301 grands électeurs sur 538, et 43 % des voix, par Richard Nixon).
Ces partis, moins reconnus, restent tout de même nombreux dans le paysage politique étasunien, mais trois seulement comptent plus de 100 000 adhérents : le Libertarian Party, qui remporta 1,2 % du vote populaire lors des dernières élections présidentielles, le Green Party, accusé d’avoir couté la victoire à Al Gore en 2000 en ayant récolté plus de 2,7 % des suffrages, et le Constitution Party, proche de l’extrême-droite.
Un système sans troisième voie
Dans ce système électoral qui pousse à l’affrontement entre le G.O.P. et le Parti démocrate, il ne semble pas y avoir de place pour des partis «alternatifs». Plus encore, ces deux partis regroupent en leur sein des idéologies bien différentes, engendrant une cohabitation pas toujours simple, que ce soit dans un parti ou entre les deux. Cela semble également accentuer la polarisation du pays, tout en ne laissant pas de place à d’autres organisations.
Cependant, à en croire les études de l’organisation Gallup, la proportion de citoyens étasuniens qui se disent «indépendant» est plus forte (42 % en 2021) que ceux qui disent «démocrate» (29%), ou ceux qui se déclarent «républicain» (27 %). Ce taux est le plus fort jamais enregistré, mais il n’est pas une surprise complète. Comme l’explique l’institut, cette tendance peut s’observer sur les trente dernières années. Néanmoins, ce fait est un des éléments permettant de comprendre pourquoi les différents sondages précédents les élections de mi-mandat prévoyaient à tort une « vague rouge » sur le Congrès.
Au centre, entre progressisme et modération
Si s’identifier comme «indépendant» est alors une réalité aux États-Unis, cette indépendance reste relative. La grande majorité de ceux qui se définissent de la sorte se disent tout de même proche d’un des deux grands partis, mais seulement 7 % d’entre eux seraient réellement sans affiliation politique. Cela s’expliquerait surtout par un manque d’intérêt, et donc de participation, au monde politique. La majorité de ces «indépendants» reste tout de même impactée par le duel «démocrates contre républicains».
Cependant, ils diffèrent bien des citoyens qui se décrivent comme directement membre d’un parti. Les indépendants à tendance républicaine seraient ainsi plus modérés, notamment sur des questions de société, comme l’avortement ou le mariage entre personnes de même sexe. Mais encore, plus généralement, il est plus probable de trouver en plus forte proportion des indépendants des deux camps avec des visions positives de l’immigration, d’une légalisation de la marijuana ou d’une plus grande égalité entre noirs et blancs, que dans les grands partis.
Les indépendants apparaissent alors à la fois comme une population plus modérée et progressiste que l’image que l’on pouvait se faire de cette société étasunienne après les dernières années, comme ultra polarisée et en déclin. Mais la plus faible participation aux élections de cette partie de l’électorat, comme observée en 2018, n’aide cependant pas à rendre l’élite politique plus représentative.
En général, ceux qui se disent comme sans affiliation officielle restent finalement plus proches de la logique «démocrates ou républicains», tout en étant globalement plus méfiant par rapport à l’ordre politique. L’élection chaotique de Kevin McCarthy en tant que nouveau porte-parole de la Chambre de représentants, après quatre jours et 15 tours, illustre clairement la grande division et l’état fragile d’un Parti républicain, qui, comme le Parti démocrate, rassemble des idéologies bien éloignées. Aucun parti n’est à l’abris, et le parti démocrate, derrière son unité affichée derrière Hakeem Jeffries, pourrait retrouver les mêmes divisions d’ici quelque temps.
Sans réforme complète du système politique et électoral étasunien, la réalité politique des États-Unis ne pourra pas être fidèlement reproduit au niveau fédéral, et tous les idéologies et autres opinions seront contraints de batailler de plus en plus fort. Sans place pour d’autres organisations, qui sait dans quel état la démocratie étasunienne sera d’ici quelques années ?
-Dorian Vidal
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