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Un lieu emblématique, né d’un pari local
Kabana Beach, c’était bien plus qu’un restaurant de plage. C’était l’initiative d’un jeune Port-Louisien, sans fortune, sans soutien institutionnel, mais avec une idée claire : créer un espace vivant, convivial, festif, au service des habitants comme des visiteurs.
L’établissement employait une trentaine de personnes. Cuisiniers, serveurs, animateurs, DJ, agents de sécurité... Un tissu humain que la démolition a réduit à néant, sans solution, sans préavis social.
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Occupation illégale ou erreur administrative ?
L’État se veut intransigeant : deux décisions de justice ont tranché.
- L’une, rendue par le tribunal administratif, pointait une occupation illégale du domaine public maritime.
- L’autre, par le tribunal correctionnel, sanctionnait une construction sans permis dans une zone classée des 50 pas géométriques, un espace littoral protégé par la loi Littoral.
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Mais un élément nouveau vient semer le doute : selon le LCDM (Le Collectif De Défense Mobile), collectif citoyen engagé pour la justice territoriale, l’adresse cadastrale visée par les jugements ne correspondrait pas à l’endroit réel où se trouvait le Kabana Beach. Autrement dit : la parcelle détruite n’était pas celle légalement condamnée.
Une erreur administrative qui, si elle était confirmée, pourrait transformer une opération "régulière" en abus d’autorité.
Un dispositif policier massif pour une démolition contestée
Sur les vidéos partagées sur les réseaux sociaux, on voit des dizaines de gendarmes, un périmètre de sécurité strict, des véhicules d’intervention, des barrières. L’accès au site est bloqué. Les habitants sont tenus à distance. Une scène de tension, presque irréelle pour une commune paisible de 5 000 habitants.
« On rase un lieu de vie comme on lance une opération militaire », s’indigne une habitante présente ce matin-là.
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Pour beaucoup, ce déploiement démesuré n’était pas destiné à garantir la sécurité, mais à imposer une autorité verticale, venue de Paris.
Le préfet décide, le maire s’efface : une autonomie sous tutelle
Le maire de Port-Louis, Jean-Marie Hubert, n’est pas n’importe qui. Vice-président du Conseil régional, figure du courant autonomiste, soutenu par plusieurs partis indépendantistes, il se revendique patriote guadeloupéen. Pourtant, il a laissé l'opération se dérouler sans opposition apparente, publiant un communiqué sobre pour évoquer la « nécessité de faire respecter le droit et de préserver l’environnement ».
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Une position ambiguë, voire contradictoire : le défenseur d’un territoire libre se retrouve exécutant silencieux d’un ordre préfectoral.
Dans les rangs indépendantistes, le malaise est palpable. Certains parlent de "trahison politique", d’autres de "soumission stratégique". Mais tous constatent le même fait : les collectivités locales n’ont aucun pouvoir réel sur la gestion du foncier littoral. Une zone où la République impose, et où les élus guadeloupéens plient.
Entre droit et légitimité : le divorce
Le cas Kabana Beach interroge un paradoxe central :
- Oui, le projet n’était peut-être pas aux normes.
- Mais il répondait à une demande locale, à un besoin économique, à une envie de faire bouger une commune souvent laissée pour compte.
Le droit a ses raisons. Mais le réel en a d’autres. Et ce qui s’est joué ici, c’est le refus de reconnaître qu’une norme nationale figée peut parfois tuer une dynamique locale fragile mais vivante.
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🔁 Récit d’un échec collectif
La démolition du Kabana Beach n’est pas seulement un fait divers d’urbanisme. C’est :
- L’échec d’un État incapable d’adapter ses règles aux territoires d’outre-mer,
- L’échec d’un maire pris entre ses convictions et ses obligations administratives,
- L’échec d’un système qui n’offre aucun accompagnement aux porteurs de projets modestes mais sincères,
- L’échec d’une jeunesse qu’on pousse à rester, mais qu’on pénalise dès qu’elle ose.
Et maintenant ?
Si l'erreur cadastrale est confirmée, des recours pourraient être engagés. Mais il sera trop tard pour reconstruire ce qui a été détruit : un projet local, un lieu de vie, une dynamique.
La population de Port-Louis, elle, a déjà tranché : ce n’est pas seulement un toit de bois et de tôle qu’on a rasé. C’est un symbole de vitalité locale, sacrifié sur l’autel de la rigueur administrative.
Kabana Beach est tombé.
Mais la question demeure :
Combien de temps encore la jeunesse guadeloupéenne devra-t-elle demander la permission d’exister ?
Paris le 17 juin 2025, 10h30
Damien Maillard
Veille & Démocratie