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Les procédés utilisés par l'institut de sondages Louis Harris pour les enquêtes d'opinion parues dans Le Parisien ont suffisamment été vilipendés, à juste titre, pour n'y point revenir en détail. Au-delà des biais de cette opération sondagière, la percée de Marine Le Pen, telle que mesurée par d'autres sondeurs, n'en est pas moins réelle. Comment en est-on arrivé là ?
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Où en est-on après ce « coup de tonnerre » médiatique portant Marine Le Pen en tête de trois sondages successifs, aussi singuliers soient-ils ?
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La composante « facho » du vote Le Pen
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Dans le vote FN, une composante « facho » existe et les philippiques anti-immigrés et sécuritaires ont un « public » et donc un électorat. Défenseur du Général putschiste Raoul Salan, Tixier-Vignancourt, face à de Gaulle, en 1965 réunissait déjà plus de 5 % des voix. Son directeur de campagne n'était autre que Jean-Marie Le Pen...
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Ce penchant idéologique xénophobe, maurrassien, celui « de la terre qui ne ment pas », avec son apogée dans les années 30 et le pétainisme et ses inclinaisons nazies se perpétue avec des « ennemis » de rechange. Le danger des hordes « arabo-musulmanes » a remplacé celui des complots de la « juiverie franc-maçonne ».
Ce vote vichyste, persistant, ne peut cependant pas expliquer que près d'un sondé sur quatre déclare vouloir se prononcer, en 2012, pour la formation héritière des milices pétainistes fut-elle représentée par une jeune femme dont la rouerie politique surpasse celle de son père.
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De la xénophobie, Sarkozy en avait d'ailleurs fait un des axes de sa campagne 2007 et, depuis, réanime, avec la régularité des mouvements d'un automate, les peurs liées à on ne sait quelle « perte d'identité » qui travaillerait la population. Ces pantomimes n'empêchent pourtant en rien les « couches populaires » de se détourner de lui et sa « cote de popularité » n'a jamais été aussi basse après des mois de « zemmourisme » acharné.
C'est qu'aux yeux de celles et ceux qui, par millions, sont en désespérance sociale, il est « le Président des riches » et le restera quoi qu'il fasse ou dise.
Les enquêtes d'opinion, même en les prenant « avec des pincettes », montrent, répétitivement, que le cœur de son électorat potentiel, désormais, se compose principalement des plus de 65 ans, inactifs ou retraités alors qu'une large partie des couches défavorisées qui avait voté pour lui s'en détourne et soit se réfugie dans l'abstention (35 % d'abstentionnistes mesurés dans les sondages contestés du Parisien, ce qui n'est pas rien) soit opte pour le FN.
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Evidemment, si ces « déclassés sociaux » étudiaient le programme, aussi léger qu'ubuesque, de Mme Le Pen, ils s'apercevraient vite de la méprise.
Ce n'est pas « comme ça » que cela se passe. Nous le savons bien et les médias ont leur part de responsabilité dans ces égarements.
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L'onction médiatique de respectabilité
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Depuis des mois, tous les Aphatie ou Elkabbach qui sévissent dans les médias ont participé à « respectabiliser » Marine Le Pen au point qu'un Luc Ferry, face à Jacques Julliard - qui resta coi - puisse se permettre de dire à la télévision : « Je préfère Marine Le Pen à Besancenot car, elle, c'est une républicaine » ( !).
Un brevet de « républicanisme » décerné par un philosophe « bon teint », vague descendant de Jules Ferry à la nouvelle Présidente d'un parti ouvertement fasciste, faut se pincer pour y croire...
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Il faut le dire : beaucoup de ces commentateurs, bien qu'ils s'en défendent avec vigueur, sont amplement plus à l'aise avec les thématiques d'une Marine Le Pen qu'avec celles défendues par les anticapitalistes, ces dangereux archaïques, à contre-courant de l'idéologie dominante qui anime ces « journalistes », petits soldats du système qui les alimente. Pensez, s'en prendre à la propriété privée des grands groupes du CAC 40 et prôner l'appropriation sociale des biens communs !
N'importe quoi !
Alors que supprimer les 35h00 et repousser les immigrés à la mer, ma fois...
Ils ne sont décidément pas pour rien, tous ces commentateurs passés maîtres en dédiabolisation, dans la percée présomptive du FN.
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La désespérance sociale, terreau du lepénisme
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Sont essentiels dans l'ascension du lepénisme, les trente ans de politique néo-libérale avec ses terribles dégâts. Ils ont produit une telle désespérance sociale qu'elle peut entraîner les plus « dépossédés » à se "tromper de colère".
Surtout quand deux français sur trois ne font plus de différence entre gauche social-libérale et droite libérale-sécuritaire - dont les dirigeants se retrouvent affablement dans les dîners oligarchiques du « Siècle » - et que l'offre politique, à la gauche du PS, ne peut rivaliser avec la « machine anti-élites » incarnée avec constance, depuis 40 ans, par le FN.
Car le PCF, outre l'ombre encore portée du stalinisme qui l'étreint, se pare de ses élus, règne sur ses bastions, profite de ses alliances à géométrie variable et est ainsi assimilé, à tort ou à raison, à cette gauche de soumission aux marchés financiers. Des ministres communistes ont été au gouvernement. Dernier en date, celui de Jospin qui privatisa plus que ses deux prédécesseurs de droite, signa tous les traités européens qui ordonnèrent dérégulations, déréglementations, recul de l'âge légal de la retraite...
Cette perception devrait être moindre pour le PG. Mais, Mélenchon, en s'accolant au PCF, a pris le risque d'être perçu comme un « compagnon de route » dont le seul objectif est d'être candidat en 2012.
Son auto-proclamation comme candidat "unitaire" (!) sollicitant un ralliement à sa candidature sans aucune discussion ni sur le programme ni sur la stratégie agit comme un repoussoir pour nombre de militant(e)s tant du PCF, des Alternatifs et, a fortiori, du NPA.
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Et la gauche anticapitaliste, alors ?
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Par ses divisions, son atomisation et les crises internes qui touchent son principal mouvement, elle s'est décrédibilisée alors qu'elle aurait du, en ce cycle de crise systémique du capitalisme, être un réceptacle électoral "naturel" d'une large cohorte de la protestation sociale.
En deux ans, le « chaos créateur » du NPA a été dilapidé faute de ne pas avoir su faire vivre ses « principes fondateurs » et de s'être, majoritairement, recroquevillé sur de « vieilles lunes ».
Devant ce désastre, une large mouvance de la gauche sociale, associative et syndicale exhortant depuis des lustres à ce que naisse une formation politique susceptible de présenter un programme crédible de transformation sociale, démocratique et écologiste radicale, est tentée de se réfugier dans l'abstention. Premier ou second tour.
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Je me souviens, voici bientôt dix ans, de la volonté affichée par la direction de l'ex-LCR, après le 21 avril 2002, de « travailler à offrir » un débouché politique anticapitaliste, large et ouvert, aux couches populaires en désespérance sociale qui avaient choisi le FN, dans de grandes proportions, pour exprimer leur exaspération.
Une « course de vitesse » disions-nous « est engagée ».
Pour l'instant et pour certainement longtemps, elle est perdue.
D'autant qu'avec le niveau de "turbulence" atteint par Marine Le Pen, le risque est grand de la voir engranger de nouveaux soutiens.