Rencontre avec Toni Briceno, chef monteur, grand gaillard de 58 ans. Poignée de main franche, sourire juvénile, c’est l’un des responsables de l’association. Rendez-vous avait été pris à La Commune, bar-restaurant associatif situé au 3 de la rue d’Aligre…évidemment !
Aligre ? Un quartier du 12ème arrondissement de Paris, centré sur son marché quotidien, à proximité de Bastille, entre Gare de Lyon et rue du Faubourg Saint-Antoine où opéraient, voici deux décennies encore, une multitude d’artisans ébénistes. Époque révolue. Boboïsation accélérée du
quartier ( Médiapart s'y est installé !) mais des îlots populaires résistent encore. Malgré toutes ces mutations, La Commune Libre d’Aligre y rayonne plus que jamais.
Quand "l'utilité sociale" est patente...
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JRV : Toni, bonjour. Peux-tu dans un premier temps dresser l’historique de l’association "La Commune Libre d’Aligre" ?
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La Commune Libre d’Aligre est une association de quartier, loi 1901 née en 1955 sous l’égide d’un commerçant de la halle Beauvau, M. Jeanson.
Il était alors porté par l’élan de solidarité de l’après-guerre qui tendait à venir en aide aux populations en difficulté du quartier. Il instaure également la tradition des fêtes de quartier et aujourd’hui encore, certains habitants se souviennent des défilés des « gavroches d’Aligre » composés des enfants
du quartier, les 14 juillet sur la place d’Aligre.
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La Commune Libre d’Aligre renaît en 1978 à l’initiative d’habitants du quartier pour fêter avec faste le bicentenaire du marché d’Aligre.
Depuis, elle a des activités régulières, ponctuant l’année de manifestations festives et culturelles, qui rassemblent à chaque fois des centaines de personnes : vide grenier, troc grenier des enfants, soupes, repas et apéro de quartier, fête de la Trôle. Depuis sept ans, la Commune Libre d’Aligre
met en place, tous les ans, un événement culturel d’envergure dans le quartier : en 2002, ce fut une représentation de trois pièces de Molière par la troupe de l’Attrape Théâtre sur la place d’Aligre, en 2003, les « premières Pataphysiques d’Automne » avec la représentation d’Ubu d’Alfred Jarry en
théâtre de rue par la compagnie Théâtre 2 l’Acte.
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Depuis 2004, la Commune Libre d’Aligre a instauré le « Cinémaligre » dans le quartier, trois à quatre jours de festival de films sur les marchés, qui, aujourd’hui, en est à sa sixième édition. Ce festival rassemble 3500 personnes sur sa durée.
Enfin, depuis cinq ans, la Commune Libre d’Aligre anime un jardin collectif : « l’Aligresse », après avoir signé une convention avec la Ville de Paris.
À travers ces expériences, la Commune Libre d’Aligre rassemble les habitants dans un esprit de convivialité et de solidarité. Le fonctionnement de la Commune Libre d’Aligre est basé sur la participation l’autogestion et beaucoup de ses activités sont nées d’initiatives particulières enrichies par le groupe.
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JRV : Aujourd’hui, quel est le champ d’actions de l’association ? Qui réunit-elle ?
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Depuis juillet 2007, la Commune Libre d’Aligre a vu grossir le nombre de ses adhérents qui atteint aujourd’hui le chiffre de 2600 grâce à la gestion et l’animation d’un lieu expérimental et unique à paris : le café associatif : « la Commune ».
Nous avons voulu faire l’expérience de ce que ce lieu peut transformer dans la vie quotidienne d’un quartier. Nous avons voulu affirmer dans la ville un point d’engagement, un point d’énergie, un point de sens. Par ténacité, insistance, résistance, nous avons voulu créer de l’espace et du temps
publics.
La Commune Libre d’Aligre est née de la rencontre d’individus engagés dans différents mouvements sociaux et de leur désir de confronter ce qu’ils apprenaient du monde depuis leur expérience « politique » au savoir qu’ils forgeaient dans leurs travaux respectifs de chercheurs, d’enseignants, de
thérapeutes, d’éducateurs ou d’artistes …
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JRV : Quelle place à pris le bar-resto associatif dans la vie de l’association ? Peux-tu nous dire deux mots de ce lieu et de ses rendez-vous ?
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« La Commune » est un lieu d’échanges entre réseaux militants, associatifs et artistiques, un espace qui échappe aux séparations traditionnelles entre la pratique et le savoir, la politique et l’art, l’urgence d’agir et la nécessité de penser.
« Le gestionnaire » de « La Commune » est l’association du même nom qui regroupe aujourd’hui plus de 2600 adhérents dont une trentaine de membres très actifs et bénévoles. Régulièrement réunis en différents conseils, ceux-ci assurent collégialement la bonne marche du café associatif et de sa programmation.
Refusant une certaine division du travail, ces mêmes personnes participent également à toutes les tâches matérielles pour le bon déroulement des activités :
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« Un travail d’amateurs, en somme, dans le sens joyeux du terme ».
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Le café a atteint ses objectifs au-delà de nos espérances, non seulement du point de vue du nombre d’adhérents mais surtout du point de vue de l’intérêt qu’il suscite et du nombre toujours croissant de personnes qui participent bénévolement à son animation, sa gestion, son entretien. Nous pouvons affirmer que les gens se sont appropriés ce lieu non pour en faire leur lieu propre mais un lieu où se conjugue harmonieusement le collectif.
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Plus de 15 associations sont partenaires du lieu en adhérant et en signant une convention d’animations régulières au café pour tout public. Nous avons maintenu les larges horaires d’ouverture du café, du mardi au samedi de 11h à 23h, ouvrant parfois le dimanche, et réservant le lundi aux
réunions associatives du quartier internes et publiques. En termes d’animations, très diverses et ouvertes à tout public, le planning ne désemplit pas.
Nous avons compté en 2008 plus de 100 repas confectionnés, 73 projections-débats, 15 concerts, 19 expositions, 13 soirées-poésie etc. en plus des activités régulières hebdomadaires ou mensuelles, proposées et animées par des bénévoles : couture, bridge, cuisine, contes, jeux pour les enfants,
un « atelier bac français » pour préparer l’épreuve, un cinéclub arabe, un « ciné-saucisson » et un cours d’histoire sociale par Attac etc.
Les soirées rassemblent en moyenne une quarantaine de personnes.
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JRV : Qu’en est-il des projets périphériques, la « Maison des Ensembles » ? Quel regard porte l’association sur ce programme ?
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- 2) nommer un gestionnaire qui se transforme en prestataire de service cantonnant les usagers à n’être que des consommateurs d’activités
- 3) à vouloir faire de l’espace public des lieux « rentables ».
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Je me suis alors souvenu qu’en décembre 1996 lorsque j’ai participé à l’ouverture de la Maison des Ensembles, c’était un geste de solidarité qui avait consacré cet espace, et la volonté que ce geste ait lieu ici et que l'on se rassemble autour de lui. Si l'on veut que cette magie entre les hommes puisse
avoir lieu, il faut que ce soit le rassemblement, l'attention, le désir partagé, qui crée son espace, non l'inverse. Où peut-on encore le ressentir, ce moment d'invention, de concentration commune, de partage alors que le besoin de le vivre est d'autant plus fort que la société nous intime de "rester
chacun à notre place" ?
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Il s'agit donc bien, réellement, d'une orientation de civilisation, d'un choix de société.
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Voulons-nous laisser la Maison des Ensembles pour des pratiques qui imposent les contraintes habituelles, liées à la consommation et au contrôle social ou préférons-nous redonner ses lettres de noblesse à l'espace public qui retrouverait sa fonction d'outil symbolique commun?
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Sommes-nous prêts et en mesure d'imaginer un lieu autre, un lieu pour l'autre qui parle à tous et à chacun? Sommes-nous capables de le susciter?
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Ces questions que nous ne sommes pas seuls à poser ne sont pas nouvelles mais elles réaffirment la volonté, aujourd'hui, d'inventer des espaces-temps pour les VIVRE, pour résister, des lieux où il est possible d'exister.
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Nous souhaitons que les habitants de la même manière qu’ils se sont appropriés le café s’approprient ce plus vaste espace qu’est la Maison des Ensembles. Quant au café lui même, il doit rester un lieu totalement indépendant, il est hors de question que la Commune Libre d’Aligre soit sous la
tutelle d’un quelconque directeur de la Maisons des Ensembles qui aura été choisi après l’appel d’offre lancé par l’Hôtel de Ville de Paris.
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JRV : J’ai vu que l’association s’insère dans un large collectif unitaire contre l’installation de la vidéosurveillance. Peux-tu nous en dire plus ?
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En février 2008, la Commune Libre d’Aligre interpellait Bertrand Delanoë en visite dans le quartier pour l’interroger sur la nouvelle, diffusée par « le Parisien », d’une participation de la mairie de Paris au financement du « plan 1000 caméras à Paris » lancé par la ministre de l’intérieur Michèle Alliot-
Marie.
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Le 28 janvier dernier, les conseillers de quartier ont été invités par la maire du 12ème et un représentant du préfet de Paris à une « concertation » pour décider des emplacements de ces caméras dans leur arrondissement, pas moins de 80 dans le 12ème dont 32 dans le seul quartier d’Aligre !....
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La Commune Libre d’Aligre soutient : Que le fort réseau de solidarité et de convivialité entre habitants d’Aligre vaut plus que 32 caméras de surveillance pour assurer le sentiment de sécurité dans le quartier.
Que l’argent public parisien doit être consacré à la consolidation des liens sociaux et financer toutes les initiatives associatives, sociales, culturelles et citoyennes le favorisant et non les fabricants d’arsenal de surveillance.
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( le lien :http://www.claligre.org/spip/article.php3?id_article=120)
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JRV : A court ou moyen termes, quels projets pour l’asso ?
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Localement, dans le 12ème , nous comptons poursuivre cette expérience d’autogestion avec la population d’Aligre. Et nous espérons par ailleurs élargir notre champ d’action à travers notre fédération : les Cafés Associatifs Fédérés de Paris pour favoriser, multiplier, l’ouverture de lieux
alternatifs dans Paris. Une de nos actions dans le cadre de cette fédération est d’obtenir des pouvoirs publics la mise à disposition gratuite de locaux en étant reconnus « d’utilité sociale. »