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Billet de blog 28 janvier 2009

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Ecologie, marchandisation et propriété sociale (partie 3)

Troisième et avant-dernière partie du texte de Claude Serfati et François Chesnais intitulé "Ecologie et conditions physiques de la reproduction sociale". Ce texte qui n'est pas récent a permis, entre autres contributions, d'avoir des débats de qualité sur les questions liées à l'éco-socialisme dans le cadre du processus NPA dont le congrès de fondation se déroule du 6 au 8 février inclus. 

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Troisième et avant-dernière partie du texte de Claude Serfati et François Chesnais intitulé "Ecologie et conditions physiques de la reproduction sociale". Ce texte qui n'est pas récent a permis, entre autres contributions, d'avoir des débats de qualité sur les questions liées à l'éco-socialisme dans le cadre du processus NPA dont le congrès de fondation se déroule du 6 au 8 février inclus.

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3. Crise de la civilisation humaine ou crise du capital ?

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C’est dans les fondements des rapports de propriété et de domination capitalistes que se situent donc les origines de son rapport aux ressources naturelles et à la biosphère. S’il détruit ou s’il endommage gravement l'environnement naturel, il ne s’ensuit pas que le capital mette en péril pour autant ses propres conditions de reproduction et de fonctionnement. Selon notre compréhension, par ces destructions de plus en plus graves et dans certains cas irréversibles, le capital met en péril les conditions de reproduction, et jusqu'à l’existence même de certaines peuples et de certains territoires. Mais il ne met pas directement en péril les conditions de sa domination. Nous n’adhérons pas à la thèse dite de la “ seconde contradiction ” pour un ensemble de raisons, au cœur desquelles se trouve notre interprétation du lieu précis où se situent les seules contradictions qui affectent véritablement le capital. Pour ce qui est des conditions “ extérieures ”, “ environnementales ” de son fonctionnement, le capital, ainsi que les Etats qui étayent sa domination et les classes sociales qui ont partie liée avec lui, ont les moyens aussi bien de faire supporter les conséquences de cette destruction aux classes, peuples et Etats les plus faibles, que de transformer la “ gestion des ressources devenues rares ” et la “ réparation des dégradations ” en champs d’accumulation (en “ marchés ”) subordonnés ou subsidiaires.

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3.1 Un mode de domination sociale rentier

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C’est dans sa soif d’appropriation de la plus value, dans les mécanismes qu’il emploie pour tenter de la satisfaire et dans les impasses auxquelles tant ce besoin que les moyens employés pour l’atteindre le conduisent, que gisent les contradictions qui font que “ la véritable barrière de la production capitaliste, c'est le capital lui-même ”.[1] La libéralisation, la déréglementation et la privatisation entreprises à partir de 1978-79, ainsi que les formes précises de la “ mondialisation du capital ” qu’elles ont engendrées, doivent être considérées comme la manière contemporaine la dernière en date, dont s’est de nouveau exprimée la position de Marx, selon laquelle “ la production capitaliste tend sans cesse à dépasser ces limites qui lui sont immanentes, mais elle n'y parvient qu'en employant les moyens, qui de nouveau, et à une échelle plus imposante, dressent devant elle les mêmes barrières[2].

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La chaîne de contradictions qui dessinent le parcours de la fuite en avant du capital peut être présentée ainsi. Vers 1970, le capital s’est trouvé confronté à une crise dont le fond était (et reste) une insuffisance de plus value, moins en raison d’un taux trop bas que d’une insuffisance de la masse produite en raison d’un rythme trop faible de l’accumulation, à l'exception de l’Asie du Sud-Est et de la Chine. La mondialisation du capital, ensemble avec les technologies de l'information et de la communication lui ont ouvert la voie vers une hausse très forte du taux d’exploitation de la force de travail. Les augmentations de la productivité et de l'intensité du travail, moyens "classiques" d'atteindre cet objectif, ont entraîné une baisse significative du coût de reproduction de la force de travail, ce qui indique que la valeur de la force de travail a pour une large part une dimension "historique et morale", et qu'il n'y a pas de limites à l'appétit du capital. La mise en compétition au plan mondial d'une armée de réserve de centaines de millions d'hommes et de femmes, facilite grandement la mise en ouvre de mesures allant dans ce sens. Ce qui se passe donne une acuité singulière à ces remarques d'Engels ajoutées lors de la troisième édition du Capital : "De nos jours [..] grâce à la concurrence cosmopolite dans laquelle le développement de la production capitaliste a jeté les travailleurs du globe[,] il ne s'agit pas seulement de réduire les salaires anglais au niveau de ceux de l'Europe continentale, mais de faire descendre, dans un avenir plus ou moins prochain, le niveau européen au niveau chinois" [3].

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Le prolétariat et les opprimés des pays arriérés du “ Sud ”, sont incapables d’offrir sur ce plan de réelle résistance, compte tenu du caractère sélectif et limité des besoins du capital. La population peut être laissée aux "lois naturelles", où la survie et la reproduction elle-même sont menacées. Pour l’instant, il en va un peu différemment dans les pays avancés, où l'attaque contre les salariés est passée par la réduction des dépenses publiques affectées à la reproduction du salariat, et par l'investissement par le capital des segments d'activités de santé et de formation qui sont susceptibles de valorisation. Le but de l’Accord général sur le commerce des services (l’AGCS) à l’OMC est de faire franchir à ce processus un saut qualitatif.

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Et pourtant le capital voit déjà les mêmes “ barrières ” se dresser de nouveau devant lui. Il ne produit toujours pas assez de plus-value. Le capital ne peut tirer qu’un parti limité de la hausse du taux d’exploitation, parce qu’il ne peut employer au plan mondial qu’une faible fraction de la force de travail qui se présente sur le marché du travail. En sorte que la masse de plus-value créée ne s’est pas accrue (elle le fait sans doute même de moins en moins) dans les mêmes proportions que le taux de plus value parce que le rythme de l’accumulation est trop faible. Cette situation nouvelle peut s'expliquer ainsi. La libéralisation, la déréglementation et la mondialisation du capital ont servi de tremplin à sa “ financiarisation ”[4]. On a assisté à une montée sans précédent dans l’histoire du capitalisme, du pouvoir et du nombre des détenteurs de titres de propriété et de créances, c’est-à-dire de propriétaires de droits sur la plus-value et qui en exigent son accroissement. Cette montée se mesure par le nombre des foyers d’accumulation financière, leur richesse en niveau nominal de capitalisation et leur force en termes de levier de pouvoir économique et politique[5]. La bourgeoisie financière et les couches sociales qu'elle associe à ce mode de rémunération, disposent de puissants moyens d'appropriation de la plus-value. En raison du poids social et politique de ces classes, ces effets de ponction ont pris, depuis deux décennies, une grande ampleur[6]. Or, du point de vue de la reproduction d'ensemble du capital, la consommation des classes dominantes vient en déduction de la plus-value destinée à être accumulée. On ne saurait donc attribuer à cette consommation le pouvoir d'élever le niveau du taux d'accumulation - à moins de se placer dans une interprétation "sous-consommationniste" des crises selon laquelle la consommation insuffisante des salariés pourrait être compensée par celle d'autres classes - ce qui permettrait au capitalisme de connaître une phase d'expansion durable.

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Ainsi, la nouvelle configuration du partage de la plus value entre revenus financiers et profit réinvesti dans la production (l'accumulation au sens de reproduction élargie) produit-elle un écart important - qui s'apparente à un "effet de ciseaux" - entre le taux d'accumulation qui permettrait de tirer tout le parti possible de la hausse du taux d'exploitation d'une part, et la part de plus value qui doit être distribuée pour satisfaire les exigences des détenteurs de titres de propriété et de créances d'autre part. Rappelons que Marx, tout en montrant que la bourgeoisie avait été une classe "progressive" face aux autres classes dominantes, concluait que cette classe était en passe d’intégrer et d’assimiler très vite des éléments du comportement social des classes propriétaires antérieures que ses économistes stigmatisaient comme des classes parasitaires. Pour Marx, ce comportement était indissociable de la voie catastrophique pour les salariés à laquelle menaient la domination de la bourgeoisie et les lois du capital : "Après moi le déluge ! telle est la devise de tout capitaliste et de toute nation capitaliste. Le capital ne s'inquiète donc point de la santé et de la durée de vie du travailleur, s'il n'y est pas contraint par la société [7]. Cette "contrainte" a permis pendant une période la réglementation de l’exploitation. Une législation du travail principalement limitée aux pays dominants et aujourd’hui en train d’être démantelée, a été introduite sous l’effet d’immenses luttes sociales, mais aussi de rapports politiques entre les classes rendus momentanément favorables au travailleurs par les déchirements des bourgeoisies entre elles[8].

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Il faut aujourd'hui pleinement apprécier l'interaction entre l'attitude de la bourgeoisie financière et la trajectoire du capitalisme de ces vingt dernières années. La transformation de la destruction de la nature en "champ d'accumulation" pour les propriétaires du capital, la quête de contrôle des processus du vivant par le capital sont les produits délibérés de décisions politiques. Elles sont en même temps – dans la configuration particulière des forces sociales marquée par la domination du capital financier – le remède trouvé aux contradictions du mode de production fondé sur la domination du capital. Cette situation indique qu'il faut plus que jamais distinguer, d'une part l'extension de la domination du capital et des rapports de propriété sur lesquels il est fondé – soit au sens strict, l’extension de l’espace de la reproduction des rapports sociaux – et d'autre part, une augmentation véritable de l'accumulation du capital, c'est-à-dire une reproduction élargie de la valeur créée. La période de mondialisation du capital permet de comprendre que ces deux processus sont distincts. Elle manifeste en effet la suprématie d'un mode de domination sociale, mais dans un contexte où les formes d'appropriation de la valeur par la rente ou de pure prédation grâce à une extension des rapports de propriété (territoriale mais aussi sur la nature, l'air, etc.) l'emportent sur celles de sa création massive. Il est même probable que dans certaines régions du monde, on assiste à une contraction de la reproduction.

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Les crises économiques, les guerres, l'élévation à un degré inouï du militarisme, dont Rosa Luxembourg montrait au début du vingtième siècle qu'elle était un "champ d'accumulation pour le capital", dans les pays vainqueurs de la seconde guerre mondiale, indiquent la façon dont le capitalisme du vingtième siècle (l'impérialisme) a provisoirement surmonté ses contradictions, ses "propres barrières" . Elles se sont à nouveau dressées à la fin des années soixante. Ce sont elles que le capitalisme va chercher à surmonter à la fois par l’accentuation de ses agressions contre les travailleurs et par une exploitation toujours plus forcenée de ses conditions extérieures environnementales.

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3.2 La thèse de la seconde contradiction et ses sources théoriques

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Le point de vue que les questions écologiques ne peuvent être analysées hors des rapports de propriété, de production et de pouvoir dominants est partagé, au moins en partie, par ceux qui s’auto-intitulent "écomarxistes"[9]. Ici la contribution la plus significative est celle de James O'Connor et a comme cadre la théorie des crises. Il ne considère pas que l'analyse marxiste traditionnelle des crises soit obsolète, mais qu'il faut l'enrichir. La "première contradiction" du capitalisme se situe, selon lui, au niveau de la surproduction de marchandises et suraccumulation de capital, c'est celle-ci qui aurait accaparé l'attention de Marx. Aujourd'hui, le capitalisme serait confronté selon lui, à une "seconde contradiction" qui se situerait au niveau des "conditions générales de production", dont O'Connor fait selon sa propre expression, une "reconstruction" à partir des écrits de Marx. La définition qu'il en donne est que ces conditions de production, indispensables à l'accumulation, ne "sont pas produites comme marchandises selon la loi de la valeur ou les lois du marché, mais sont traitées par le capital comme si elles étaient des marchandises"[10]. Elles incluent les moyens de communication et infrastructures, les conditions personnelles de production du travailleur, les conditions physiques externes (environnement). Les conditions de production sont le lieu de la “ seconde contradiction ” : "les coûts du travail, de la nature, des infrastructures et de l'espace augmentent de façon significative, mettant en évidence une seconde contradiction, une crise économique venant du côté de l'offre"[11]. Ces coûts augmentent pour deux raisons. D'abord, lorsque le capital, afin de maintenir ou d'augmenter ses profits, refuse les dépenses nécessaires à l'entretien des infrastructures nécessaires à la production. Leur dégradation inévitable finit par renchérir les coûts de remise en état. Ensuite, lorsque le mouvement social exige le maintien de ses conditions de vie, la protection de l'environnement, etc. Ceci finit par créer une crise de l'offre alors que la première contradiction, celle qui est analysée par Marx est fondée sur une crise de la demande.

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Les positions de James O'Connor expriment une volonté appréciable d'intégration des questions environnementales dans l'analyse marxiste. Elles sont cependant critiquables. Nous concentrerons nos remarques sur ce qu'il appelle "les conditions de production" [12]. Sa définition est assez proche de celle que Polanyi, auquel il se réfère explicitement, donne des "marchandises fictives" (le travail, la terre, la monnaie) . Or, Polanyi construit sa catégorie de marchandises fictives parce qu'il réduit le capitalisme à sa seule dimension de marché auto-régulateur, ce qui est implicitement une réfutation de théorie de la valeur-travail. Il est conduit de ce fait à voir dans l'Etat un instrument de protection et de régulation de la société[13], en passant sous silence son rôle central dans le maintien de la domination de rapports de propriété marchands capitalistes et dans la mise en œuvre de politique de destruction de la force de travail.

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Nous pensons au contraire, dans une perspective marxiste que dans le cadre du capitalisme, la force de travail est la marchandise par excellence, puisqu'elle est la seule qui produise plus de valeur qu'elle ne coûte. L'objectif des capitalistes a toujours été de réduire son prix, possibilité qui a été décuplée avec la mondialisation du capital et les politiques néolibérales. La dégradation des conditions de santé des salariés justement soulignée par O'Connor ne reflète pas une contradiction. Elle résulte de la liberté retrouvée du capital d’exploiter une armée industrielle de réserve mondiale qui conduit le capital à chercher à surmonter ce qu’il considère maintenant comme une contrainte insupportable[14]. Il est vrai que dans certaines circonstances, déjà mentionnées par Marx (les "épidémies qui découlent de la surexploitation"), "une réaction de la société contre elle-même" prend la forme de droits sociaux qui limitent le droit à l'exploitation de la main-d’œuvre et en élève le coût. Mais cette réaction est essentiellement celle des ouvriers eux-mêmes. Répétons que les forces compulsives du capital ne vont pas dans ce sens. La façon dont le capital adossé aux politiques néolibérales a pu défaire, en moins de deux décennies, des droits et acquis par des décennies de combats des salariés, montre à quel point la diminution du coût de la force de travail demeure l'objectif central et n'a aucune limite "naturelle" .

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Quant aux moyens de communication, aux infrastructures que Marx désigne sous le terme de capital fixe immobilisé, ils présentent certes des singularités importantes du point de vue de l'accumulation. C'est un type de capital particulier qui répond à des exigences et des contraintes différentes des autres types de capitaux. Un degré de concentration élevé du capital est nécessaire et celui-ci doit être systématiquement avancé par émissions d'actions et crédit (Engels), le retour sur investissement y est plus faible et lent. Si on y ajoute un usage mixte, puisque les moyens de transport et de communication servent à la fois de moyens de production, mais aussi de consommation par les ménages, il peut se faire que le capital ne gère pas directement Si on y ajoute un usage mixte, puisque les moyens de transport et de communication servent à la fois de moyens de production, mais aussi de consommation par les ménages, il peut se faire que le capital ne gère pas directement[15] les moyens de transport et que ceux-ci soient pris en charge par l'Etat. Mais tout ceci n'a rien à voir avec une marchandise "fictive".

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Au total, la situation faite à la force de travail, comme au conditions extérieures de production (la “ nature ”) ne traduit pas un statut de marchandises fictives, mais au contraire de marchandises dont le coût doit être abaissé sans égard pour leur reproduction. Elle nous confronte au mouvement antagonique d’un mode de production où le développement des forces productives a pour corollaire un processus parallèle de destruction. Dans le capitalisme, l’un des fondements de l'accumulation et de la valorisation du capital consiste à réduire les “ faux frais ”, à les “ externaliser ”, c’est-à-dire à faire prendre en charge par d’autres ce qu’il ne reconnaît que comme des “ coûts ”. L'anarchie du mode de production capitaliste ne se manifeste pas seulement dans les crises, qui sont les moments paroxystiques de ce processus. Elle se manifeste en permanence dans le gaspillage des forces productives, dont le capital essaie de décharger la responsabilité et le coût sur la société. Dans ce cadre, la “ crise écologique ” est la manifestation de la destruction des forces productives, dont les ressources naturelles, pour les besoins de l’accumulation et dans un contexte aggravé aujourd’hui par la domination du capital financier. L'exploitation de l'homme et de la nature jusqu'à épuisement ne reflète pas une contradiction du capitalisme, mais l’antagonisme profond entre celui-ci et les besoins de l'humanité.

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