Cher François,
Je suis ton travail depuis « Merci Patron ! » avec un intérêt toujours grandissant. J'ai travaillé dans ton coin quand je vivais à Saint-Quentin. Je parcourais la Picardie pour mon travail. J’allais régulièrement dans la vallée de la Nièvre, à Saint-Ouen notamment. Ta Picardie qui souffre, je l’ai vue, ça me parle. Les gens qui souffrent, tu les connais. Ton combat, je l’ai rejoint.
Mon premier acte militant fut de coller des affiches pour la première de « Debout les femmes ! » dans ma ville. Le film, l’émotion suscitée, les témoignages, ton discours, ta simplicité lors du pot de fin de soirée m’ont donné espoir. L’espoir qu’un mouvement de gauche large et enthousiaste change notre pays, porté par des honnêtes gens comme toi.
Depuis que tu es député, comme certains ne peuvent s’empêcher de crier « démission » en entendant « Macron », je criais « président » en entendant « Ruffin ». En 2022, j’ai fait campagne pour Jean-Luc Mélenchon puis pour la NUPES. J’habitais alors dans la 8ème circonscription d'Ille-et-Vilaine. L’objectif de défaire un de tes adversaires favoris me regonflait quand la fatigue gagnait. L’élection de plusieurs députés NUPES dans le département et la satisfaction de t’offrir le scalp de Bachelier ont contrebalancé un peu ce soir-là l’inquiétude de voir tant de députés RN élus.
Le foisonnement d’idées sur ce qui a marché ou non en 2022, sur les stratégies pour faire mieux, sur les façons de toucher les Français périurbains et ruraux m’a intéressé. D’autant plus que j’ai déménagé ensuite dans cette partie de la France qui te tient tant à cœur, ces territoires faits de bourgs et de villages où les gens vivent partagés entre la proximité de la grande ville et leur campagne, entre l'espoir d'une vie un peu moins dure et la crainte de perdre ce qu'ils ont.
Pendant les Européennes, nous nous sommes sentis un peu seuls sur les marchés et dans les rues pour soutenir l’Union Populaire. Le temps des grandes batailles sociales de 2023 était passé. Il restait le noyau des militants qui ne veulent rien lâcher.
Mais au moins, là, à deux ou trois au milieu des gens, on entend le bruit de la montée du RN. On les prend dans la gueule les expressions de lassitude, de déception, parfois de colère médiatiquement amplifiée contre la gauche, parfois d’impatience de voir Le Pen et consorts gagner. Elles claquent au visage. Heureusement il y a les sympathisants, les gens qui discutent cordialement, alors on continue parce que chaque électeur à qui on parle compte.
Le score de la liste de Manon Aubry s’annonçait honorable. J’avais fait ma part. Je n’allais pas passer la soirée électorale avec les camarades. La circonscription est très étendue. Ça faisait trop de route. La soirée électorale se ferait en famille.
Le score du RN fait mal. Les réactions fusent dans tous les sens. Macron va nous parler. Ça fait longtemps que je ne supporte plus de l’écouter. Mais ce soir, il faut regarder. Le choc brutal de la dissolution parcourt le pays et nos boucles de militants. Ceux qui étaient restés à la maison se dépêchent de rejoindre la soirée. Nous comprenons tous ce que ça signifie, le risque du RN au pouvoir et une nouvelle campagne à mener en urgence. Nous avons peur de perdre, de ne pas avoir assez de temps et d’énergie pour combattre sur le terrain l’assourdissant bruit médiatique qui porte le RN, quasi absent sur le terrain chez nous, et nous enfonce.
Cette nuit nous a fait vivre les mêmes émotions que celles que nous vivons depuis. Un cycle épuisant de peur, d’espoir et de déception.
Nous craignons successivement de voir l’extrême-droite gouverner, la gauche ne pas être à la hauteur de l’enjeu et la droite lâcher ce qui lui reste de dignité républicaine. L’espoir grandit régulièrement en attendant des annonces d’union, de listes de candidats, de désistements ou de résultats. La déception revient en constatant les luttes intestines, en écoutant des propos publics inacceptables à notre égard, en réalisant la faiblesse des contre-pouvoirs.
L’étincelle d’espoir ce soir là c’est toi François: « une seule bannière : front populaire ». La flamme de l’espoir c’est l’accord qui fait naître ce Nouveau Front Populaire. Le petit bois qui fait de l’espoir un feu, ce sont les premiers calculs qui montrent que nos députés sortants peuvent gagner à nouveau, que le NFP peut empêcher le RN de triompher. Les bûches qui en font un feu de joie, ce sont tous ces gens qui rejoignent la campagne électorale. Nous étions 15 la veille, nous voilà 200 le lendemain !
Et moi pendant tout le début de cette campagne, je rêvais à haute voix d’un titre de journal « Ruffin Premier Ministre du Nouveau Front Populaire » ! Les Insoumis ne voudront pas d’un socialiste, le PS d’un insoumis proche de Jean-Luc Mélenchon, les Écologistes et le PCF n’ont pas le poids suffisant. François, toi tu es un peu en dehors de tout ça, tu plais à beaucoup de personnes, les Français commencent à te connaître et à t’apprécier.
Et la déception qui frappe encore et encore: la purge incompréhensible dans ce mouvement d’union qui s'élargit, la séparation entre toi et les Insoumis, les premiers échanges acides… L’espoir soulevé par les résultats, la déception générée par l’attente trop longue d’un candidat du NFP pour Matignon. La déception d’avoir encore et toujours un gouvernement de droite. Et maintenant la déception de voir les personnes en qui je place mon espoir se déchirer publiquement, presque irrémédiablement.
Je ne vais pas lire tous les articles pour comprendre les raisons personnelles ou politiques d’un tel déchirement. L’histoire de la gauche racontée par les vieux militants autour d’un verre est constellée de séparations houleuses entre camarades éternels. À croire que la pureté idéologique rêvée par les gens de gauche justifie une scission à chaque nouvelle profession de foi, sur une virgule, un iota mal placés.
Je n’ai pas grand chose à faire des disputes stratégiques, tactiques ou personnelles. Deux objectifs guident mon action et mes choix. Je ne veux pas que mes enfants vivent sous un régime d’extrême-droite. Je veux voir la gauche au pouvoir pour instituer une République écologique et solidaire qui soit une démocratie fonctionnelle .
Et ces objectifs ne sont atteignables qu’à la condition de l’union de la gauche, qu’à la condition que les personnalités à sa tête à un moment donné préservent la capacité à s’unir pour mener les batailles importantes.
Aujourd’hui, nous devons être unis pour résister à cette coalition implicite entre la droite et l’extrême droite. Demain, nous devrons être unis pour une potentielle campagne législative anticipée et la prochaine élection présidentielle.
Ce devoir d’union ne doit pas exclure les réflexions profondes sur les stratégies politiques, l’exigence sur le fonctionnement sain de nos mouvements ni la liberté de chacun d’exprimer un désaccord et d’en tirer les conséquences.
Nous savons tous que la question du futur candidat de l’union de la gauche pour Matignon ou l’Élysée sera quasiment inextricable.
Cher François,
Peux-tu éviter d’alimenter la désunion ?
Peux-tu éviter de t’exclure des futurs candidats potentiels ?
Peux-tu continuer à lutter avec nous pour convaincre tous les Français que l’extrême-droite n’est pas une solution et que le véritable espoir est à gauche ?
Chers camarades de gauche,
Pouvons-nous faire mieux ?
Pouvons-nous continuer à entretenir la flamme du NFP et l’espoir de millions d’électeurs et de militants ?
Chers Français,
Pouvons-nous arrêter de chercher un sauveur qui à lui seul saura gouverner et résoudre tous les problèmes de la France ?
Nos hommes et femmes politiques sont des humains comme vous et moi, avec leurs qualités, leurs défauts, leurs moments de bravoure et leurs instants de faiblesse.
Nous avons besoin d’élus qui forment une équipe gouvernementale. Dans mon équipe idéale, je mets François, Lucie, Jean-Luc, Huguette, Olivier, Marine, Fabien, Mathilde, Manon, Raphaël et beaucoup d’autres. Ils ne sont pas d’accord sur tout. Ils se disputeront parfois. Si l’un dit ou s'apprête à faire une connerie, les autres le diront, l’empêcheront, corrigeront. Car je suis convaincu qu’ils souhaitent tous profondément voir la vie des Français changer et qu’ensemble ils peuvent, nous pouvons, poursuivre l’œuvre du Front Populaire et du Conseil Nationale de la Résistance.