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Billet de blog 12 décembre 2019

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Les bons enfants

"La manifestation s'est déroulée dans une ambiance bon enfant."

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Au royaume de la communication il est des mots qu’on ne peux plus entendre de la bouche de nos dirigeants sans que cela éveille  en nous un  sentiment de méfiance. Souvent ce sont de jolis mots pourtant, comme   "souplesse" ou  "agilité". Dans une société qui valorise la force il semble que la souplesse ait été quelque peu oubliée, quoi qu’elle soit sûrement bien plus utile que la force. Et pourtant ce mot de souplesse, préféré à son homonyme désormais trop suspect et bien moins gracieux vous en conviendrez de  "flexibilité", est devenu à mes oreilles l’indicateur quasi infaillible du désir qu'ont certains locuteurs de me baiser la gueule. Ainsi comme le chien de Pavlov, quand j’entends le mot "souplesse": je me méfie.

Le détournement du langage, ses enjeux,  et l’outil qu’il représente pour le pouvoir a été et continue d’être abondamment et finement analysé par de nombreux linguistes, sociologues et écrivains qui font là oeuvre de salut public. J’aimerais cependant m’arrêter sur une expression on ne peut plus innocente qui est venue sonner à mes oreilles la semaine passée: "bon enfant".

Hier sur un site d’information alternatif au titre explicite de  Révolution Permanente  j’ai entendu le commentateur des manifestations employer cette expression. C’est bon enfant. Je l’avais moi-même employée pour relater à une amie la manifestation du 5 décembre. C’était bon enfant. Mais là, peut-être parce que je n’étais pas présente sur les lieux, peut-être parce que ce commentaire s’accompagnait d’images représentant effectivement de  "bons enfants"- des étudiants en l’occurence- en train de rire et sauter en agitant des banderoles, cette expression m’a frappée, et m’est revenu en mémoire un sentiment diffus que j’avais eu lors de la  "Fête à Macron", manifestation que France Inter relate en ces termes : « Conformément aux souhaits des organisateurs, l'ambiance était festive et bon enfant ». 

Qu’est-ce qu’un enfant? Et qu’est-ce qu’un bon enfant? Si un enfant est un être soumis à l’autorité d’un adulte, le bon enfant est celui qui se soumet sans faire d’histoires à cette autorité; en l’occurrence l’autorité de l’état représentée par les policiers. "Bon enfant" (et c’est ainsi que je l’ai moi-même utilisé la semaine passée) signifie donc qu’il n’y a pas de heurts, pas d’affrontements avec les représentants de cette autorité. Il a cependant été établi que les représentants de cette autorité faisaient preuves d’abus (il y a des parents abusifs), envoyant des gazs lacrymogène sur les manifestants sans raisons apparentes, voire, plus grave, causant des blessures irréversibles avec des pistolets LBD. La semaine dernière un sénateur a déposé un amendement visant à punir de 15000 euros la diffusion de videos représentant des policiers en flagrant délit de maltraitance. Jusqu’à quel point peut-on se comporter en bon enfant avec des parents qui usent de maltraitance en toute impunité? Et quel signal cela envoie-t-il aux auteurs de cette maltraitance?

Et au-delà des représentants de l’autorité sur le terrain,  le fait même de notre présence dans la rue pour manifester n’est-il pas le résultat d’un comportement abusif de l’autorité? Un comportement qui ne s’exprime pas par des violences physiques, mais par des violences psychologiques et morales? Et si tel est le cas, comment être pris en considération par cette autorité si nous nous comportons comme de "bons enfants"?

Entendez-moi bien, je ne pense pas que l’on sortira du néolibéralisme en descendant dans la rue avec des bombes et des fusils, et je ne le souhaite aucunement, mais je ne pense pas non plus qu’on en sortira en se comportant comme de "bons enfants",  face à une autorité qui ne se comporte certes pas comme  un "bon parent".

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