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Billet de blog 26 novembre 2023

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Un couscous français

On discute de choses et d'autres quand la conversation oblique brusquement sur la guerre en Palestine. Elle aimerait savoir ce que j’en pense en tant que connaissance-amie-juive.

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Je ne me sens pas dans mon assiette. Hier soir j’ai diné avec une connaissance-amie et je ne sais si c’est le choix du resto, le contenu de l’assiette, ou la conversation qui me laissent cette sensation d’écœurement, de vague dégoût. Sylvia est une femme d’environ 65 ans, agrégée de lettres, aujourd’hui en retraite de l’éducation nationale; une personne fine, curieuse, très cultivée avec laquelle j’ai travaillé quand j’étais intervenante en théâtre dans un lycée de Nanterre. Son fils habite à côté de chez moi, et elle garde ses chats. Elle me propose de la retrouver pour dîner et je me réjouis, je ne l’ai pas vue depuis un moment. Mon frigo est vide, celui de son fils aussi. Le café d’à côté organise une soirée d.j alors je lui propose de pousser plus loin pour trouver un resto calme où ils nous servirons du vin. C’est un resto français mais il y a un couscous au menu. La semoule n’est pas cuite, les légumes non plus, la viande est chiche, la sauce pâteuse: ce couscous est clairement dégueulasse. On discute de choses et d'autres, quand la conversation oblique brusquement sur la guerre en Palestine. Elle aimerait savoir ce que j’en pense en tant que connaissance-amie-juive. Moi aussi j’aimerais savoir ce qu’elle en pense en tant que femme-de-gauche-française-et-veuve-d’un-grand-résistant-communiste. On évoque le sionisme et l’anti-sionisme et son lien à l’antisémitisme, qu’elle réfute. Il n’y a aucun lien. Elle me dit que ce qui est terrible dans cette guerre c’est qu’elle marque la fin de la sympathie des français à l’égard des juifs. Elle a commencé sa phrase par ce qui est terrible c’est que… Et je pense: ce qui est terrible c’est qu’on ne voit pas l’issue de ce conflit, on ne voit pas comment Israël peut se maintenir dans ces conditions, ce qui est terrible ce sont toutes ces violences commises, ce qui est terrible c’est que la politique fasciste de Netayahou puisse remettre en cause l’existence même de l’état d’Israël, ce qui est terrible c’est aussi le discours de la gauche française déjà très faible et encore affaiblie par ses contradictions et ses prises de positions.  Ce qui est terrible c’est la fin de la sympathie des français envers les juifs poursuit-elle, de cette sympathie qui est née après guerre suite à leurs malheurs. Je ne sais pas si elle a dit exactement « leurs malheurs » mais n’a pas dit leur extermination, ou leur tentative d’extermination. Elle a parlé de malheurs. La guerre en Palestine marque le début du désamour (sic) des français pour les juifs. Je suis interdite. Ah bon les français aimaient les juifs? Oui tout de même me dit-elle. Ah bon. Je lui dit que oui c’est vrai j’ai rencontré des français philosémites, mais que je m’en méfie tout autant que des antisémites (que j'ai rencontrés aussi). Pourquoi me demande-t-elle visiblement intéressée. Parce que ça procède du même ressort, c’est un amour fantasmé, une projection, celui qui t’aime parce que tu es juif t’aime pour quelque chose qui n’a rien à voir avec ta réalité de juif, cet amour, comme sa haine, ne parle que de lui. Elle n’avait pas vu les choses sous cet angle. Je lui fait remarquer qu’il est paradoxal qu’elle nie le lien entre anti sionisme et anti sémitisme tout en se désolant que le « désamour » des français pour les juifs soit causé par la politique mené par Netanyahou en Palestine.  Je la vois lever les yeux vers le ciel. Elle semble se poser réellement la question: y aurait-il en elle une part d'antisémitisme?  Je vois un léger nuage devant ses yeux. A peine une petite ombre. Un cafard grimpe sur le mur contre lequel repose notre table. Je hais ce restaurant prétentieux -et sale en plus- et je me demande pourquoi je ne l’ai pas emmené manger le délicieux couscous du tunisien en bas de chez moi. J’ai très envie de tuer le cafard mais je me retiens quand Sylvia se saisit de sa serviette et le fait glisser le long du mur. Je le vois s’éloigner et poursuivre tranquillement sa marche sur le sol. On paye la note « oui oui séparément »  avant de rentrer à pied. L’air est frais, et malgré les nuées de jeunes gars qui occupent les trottoirs, la balade me fait du bien. Je la raccompagne jusqu’à la porte de chez son fils et elle me propose gentiment de monter boire un café que je refuse avant de poursuivre mon chemin, un peu sonnée, au milieu des vapeurs de haschisch. 

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