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Billet de blog 28 septembre 2019

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Tribune d'un collectif de professeurs du lycée Arago, Paris 12ème

Le Jeudi 26 et le vendredi 27 septembre, la plus grande partie des enseignants du lycée Arago, Paris 12ème ont décidé de faire valoir leur droit de retrait. La tribune ci dessous explicite ce choix.

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Le texte ci dessous a été rédigé par un collectif de professeurs ayant décidé de mettre en œuvre leur droit de retrait

Vendredi 27 septembre 2019. 

A Arago, on n’a pas perdu le Nord.

L’astronome à qui l’on doit le Méridien de Paris serait honoré d’avoir donné son nom à un lycée qui cherche vaillamment à maintenir le cap.

Chaque matin, élèves et enseignants s’engouffrent, sous le fier regard de la Marianne de Dalou, dans cette école où résonnent encore les pas des hussards noirs de la IIIe République. On est place de la Nation, les jeunes qui la feront demain ne peuvent rêver meilleure place.

Jeudi 26 septembre 2019, 4 semaines après la rentrée, les enseignants du lycée Arago ont décidé de dire non. Ils ont essayé pourtant, attachés à leurs missions, de s’engager dans cette nouvelle année scolaire, mais c’est précisément cet attachement qui les a conduits depuis hier à faire valoir leur droit de retrait.

Se mettre en retrait quand les conditions de travail des personnels et des élèves ne sont plus tenables, ce n’est pas s’arrêter de travailler, c’est commencer un combat.

On leur objectera que personne n’est menacé, certes, c’est bien plus grave : l’École toute entière est en danger.

Depuis la rentrée 2019, 800 élèves sont accueillis et encadrés à Arago par 60 enseignants, 1 CPE (conseiller principal d’éducation) et 5 surveillants.

En 2018, avec une classe de moins (soit 765 élèves), il y avait pourtant un demi-poste de CPE en plus.

Et il n’y a toujours pas, pour la 2ème année consécutive, d’assistante sociale ni d’infirmière (1/2 poste là encore, non pourvu). La COPsy (Conseillère d’Orientation-Psychologue) reçoit les élèves et leur famille 2 demi-journées par semaine, car elle partage son service avec plusieurs autres établissements. L’avenir des CIO (Centres d’Information et d’Orientation) et de ses missions de services public est en danger.

35 élèves supplémentaires, c’est une classe de plus cette année, et donc, en toute logique, deux l’année prochaine. En septembre 2020 le lycée pourrait accueillir 835 élèves…

L’établissement était déjà bien à l’étroit pourtant avec ses 7 classes de Seconde, 7 classes de Première, 7 classes de Terminale et 2 niveaux de BTS. Il craque avec 8 classes de Première cette année, et explosera avec 8 classes de Terminale l’an prochain – la 8è classe étant de fait actée.

Dans le même temps, le profil des élèves s’est diversifié ces dernières années. Au lycée Arago -c’est un axe du projet d’établissement-, on accueille aussi des élèves avec des besoins éducatifs particuliers : en septembre 2019, ils sont déjà plus d’une trentaine. 16 bénéficient d’un PPS (Projet Personnalisé de Scolarisation) et 16 autres d’un PAI (Projet d’Accueil Individualisé). D’autres n’ont pas encore finalisé leur dossier, et sont en attente des documents officiels pour obtenir les aménagements pédagogiques nécessaires. Quelques- uns seulement ont une AVS (Assistante de Vie Scolaire) pour les accompagner. Comment garantir à ces élèves et à leurs familles que leurs besoins seront pris en charge, si l’infirmerie est fermée toute l’année ?

Que devront faire leurs camarades, leurs enseignants, les personnels en cas de difficulté ? Quid, dans ces conditions, de la personnalisation, de l’individualisation, principes censés être au cœur de la réforme ?

La structure du lycée, en revanche, reste identique. Le nombre de salles n’ayant pas changé, les difficultés sont vite apparues.

Depuis septembre, certains ont fait cours sous les platanes de la cour intérieure, d’autres dans le foyer des élèves (qui ne verra donc probablement jamais le jour). Une salle sombre où s’entassent d’anciens manuels en attente du pilon, d’anciennes tables et d’anciennes chaises, remplacées par des nouvelles chaises à roulettes avec tablette rabattable, véhicules du renouvellement de nos pratiques pédagogiques.

Là, le tableau est dans l’ombre, on n’y écrit plus de toutes façons depuis que la Présidente de Région a offert des ordinateurs aux lycéens (et, magnanime, des tablettes aux enseignants).

Car il faut passer au numérique, l’urgence arrogante de la modernité l’impose. 

Mettre en œuvre, dans ces conditions, une réforme imposée sans aucune concertation, et dont on découvre les modalités de mise en œuvre au fur et à mesure qu’elles sont inventées, est un défi impossible.

Il faut, dans le même temps, accueillir et conseiller des élèves de Seconde inquiets déjà d’avoir à choisir leurs spécialités ; des élèves de Première confrontés aux exigences de ces nouveaux enseignements, qui n’ont plus de groupe-classe, et qu’on n’accompagnera pas dans leur parcours puisqu’il n’y aura pas non plus de véritables conseils de classe ; préparer les Terminales au bac et les aider à y voir clair dans leur projet d’avenir, alors que les heures dédiées à l’orientation ont disparu de la DHG (Dotation Horaire Globale attribuée à l’établissement). Le Rectorat n’a pas jugé nécessaire d’octroyer des heures d’AP (Accompagnement Personnalisé). Il ne sera pas possible cette année d’animer des séances dédiées à l’orientation, les élèves et leurs familles démêleront seuls les rouages de Parcoursup. La tâche incombera désormais aux professeurs principaux dans les trois niveaux, qui devront prendre sur leurs heures de cours bien sûr. Des nouveaux cours qu’ils essayent de préparer, dans l’urgence et l’opacité de la réforme. Ils pourront aussi accueillir la CO-Psy dans leurs classes. Certains d’entre eux songent déjà à démissionner.

Élégante méthode en effet que d’imposer, sans discussion aucune, à une communauté scolaire des conditions de travail de plus en plus dégradées, en l’accusant ensuite de ne pas y mettre du sien. « L’École de la confiance », souhaitée par Jean-Michel Blanquer, ne peut fonctionner quand le ministre de tutelle et son administration refusent d’en faire preuve.

A Arago, ce carcan oppressant a été imposé par le Rectorat de Paris, en juin dernier, alors que les enseignants essayaient de préparer au mieux la mise en œuvre de la réforme et de faire passer (avec les difficultés que l’on sait) la session du baccalauréat 2019. La décision d’augmenter les effectifs, unilatérale comme tant d’autres, n’a pas souffert de discussion. La délégation d’enseignants et de parents qui s’est rendue au Rectorat début juillet n’a d’abord pas été reçue, puis n’a obtenu que de vagues promesses, non suivies d’effet à la rentrée.

La délégation qui s’y est rendue hier a trouvé porte close. 

Jeudi 26 septembre après-midi, personne au Rectorat de l’Académie de Paris n’a voulu recevoir le collectif de représentants du lycée Arago, qui s’était pourtant déplacé une fois de plus. La délégation d’enseignants a attendu près d’une heure, son seul interlocuteur aura été le vigile du 12 boulevard d’Indochine. Ils y retourneront lundi.

Le soir même, à 18h, les 7 collègues élus au CA du lycée ont démissionné et lu la motion suivante :

"Les représentants des enseignants, présents au CA du 26 septembre 2019, ont présenté leur démission afin d'afficher leur détermination à obtenir la ré-attribution d'un demi-poste de CPE. Le lycée manquant également d'une infirmière et d'une assistante sociale, les conditions ne sont pas réunies pour mener à bien les missions d'éducation et assurer la sécurité des élèves. 

Ils font part de leur consternation d'avoir dû exercer leur droit de retrait pour demander l'encadrement normal des élèves."

Depuis 48 heures, à Arago, les cours n’ont pas repris.
Les enseignants, eux, n’ont pas cessé de travailler.

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