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Billet de blog 15 octobre 2015

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Complicité

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Complicité ?

G....... L.......   Grenoble mercredi après-midi.

Beau magasin, belles marques… jolis prix !
J’avoue que je me sens un peu exotique avec mon jean qui porte les traces de ma dernière visite au jardin et mon compte en banque d’assistante maternelle. J’ai l’air de ce que je suis, une cinquantenaire un peu passée descendue de ma montagne et vaguement égarée là.

Bon, tout de même, visitons ! Il y aura peut-être le cadeau d’anniversaire que je cherche. Et puis ils ont des supers collants et des jolies chaussettes .
La carte Cofinoga qui me ferait faire de fabuleuses économies ?   "non merci".

Un bref éclat de voix déplace mon regard. Deux costaux vigiles poussent un traine-savate à terre et l’un d’eux lui lance un coup de pied dans la tête. L’idiot qui pensait passer incognito au milieu des bourgeoises a l’air KO.
Les justiciers le prennent par le pied et le trainent dans les allées ; direction leur tanière en passant par le joli rayon des super collants et des charmantes chaussettes.

Je n’ai pas cherché à retenir mon cri « On ne donne pas des coups de pied dans la tête des gens »
Et gros bras « on verra quand il viendra vous agresser chez vous. Il avait un couteau »

Mes cop(a)in(e)s les client(e)s sont polies; elles soulèvent un sourcil en signe de désapprobation puis tapent leur n° de carte Cofinoga en faisant bien attention à ne pas cocher la case [crédit] si elles n’en ont pas besoin.
Les vendeuses restent discrètes et disponibles

….A peine une légère ride à la surface policée du magasin.

Ce que j’ai vu me fait penser à la sortie du taureau des arènes. Il manquait seulement les vivats.
Je n’ai pas su réagir, demander à temps que l’on vérifie l’état de conscience de l’agresseur au couteau.

Disparition des représentants mâles des classes populaires ; Ce qui se passe entre les vigiles et les traine-savates appartient à leur monde!

Je pars avec l’amer sentiment d’être complice …mais …de quoi ? Dans quel état est ce voleur pas malin ?

Le lendemain renseignement pris à l’hôtel de police il y a eu une intervention en début d’après-midi. Pas de couteau bien sûr !
J’ai contacté le responsable de la sécurité (ou du moins la personne qui s’est présenté comme telle au téléphone). Cet homme pense que « l’interpellation »  c’est faite dans les règles, ils ont le droit d’user de la force. Il dit n’avoir pas été sur les lieux mais n’est ni choqué ni surpris de la description que je lui fais de la scène.
Moi qui m’attendais à entendre quelque chose proche de « d’accord mes gars ont perdus leurs nerfs et eu la main lourde mais il faut comprendre que leur stress est énorme et le voleur ne faisait que simuler l’inconscience, il va bien » Je ne suis pas sure que je m'en serais contentée mais, non, non, rien de tout ça.
Au contraire ! Il soutient inconditionnellement les auteurs de cette intervention.

Je comprends bien que ces pauvres types vigiles ont un travail psychiquement éreintant,
les pauvres clientes ont eu leur après-midi shopping perturbée,
la pauvre dame du standard du magasin n’y peut rien,
le pauvre responsable des vigiles défends ses collègues,
les pauvres vendeuses doivent garder leur travail,
…. etc.
Mais le pauvre représentant de la cours des miracles a peut-être un traumatisme crânien.

C’est con mais je m’en sens complice
Aller dans ce magasin, stresser les agents de sécurité, crier aux oreilles des bonnes dames, partir en laissant mes chaussettes dans les mains de l’hôtesse de rayon, harceler le magasin de courriels et téléphones. Je m’en excuse.

Je suis coupable de n’avoir pas permis aux vigiles de retrouver un comportement humain en obtenant d’eux qu’ils traitent ce voleur de manière appropriée.
Et en cela je suis complice des sévices qu’ils lui ont fait subir.

Leçon d'urbanité retenue.

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