"Paris, Paris outragé ! Paris brisé ! Paris martyrisé ! mais Paris libéré..."
D'un autre Charles, Charles De GAULLE, celui qui aime la France parce qu'il est de la Gaule, un nom qui sonnait comme une vérité.
Je me rends au Palais de Justice.
J'ai choisi de marcher, de marquer du bruit de mes pas le pavé des rues, Ile de la Cité.
"Il" m'a dit de le retrouver aux marches du Palais.
L'Hôpital-Dieu présente aux touristes sa devanture, un flanc couvert de cicatrices, des panneaux d'affichage sauvages dénonçant sa fermeture, la fin d'une aventure, la fin de l'Hospitalité chrétienne, la fin d'une histoire, l'histoire de Paris.
Je passe très vite, comme une ombre devant un écran de cinéma. Sauf que ce n'est pas du cinéma, c'est la vraie vie !
Paris se meurt. Ses églises sont vendues aux marchands du monde, ses hôpitaux foutent le camp et les parisiens ne sont plus parisiens, mais des pharisiens sans âme ni flamme, avec juste un sésame qui leur ouvrirait toutes les portes, croient-ils, à défaut de croire en Dieu, l'argent qui rend les ânes intelligents, il paraît.
Je vais au Palais de Justice et j'imagine tout à coup que les mêmes banderoles, collées comme des mauvais sparadraps sur la façade de l'"Hôtel/Autel-Dieu" couvrent ce magnifique monument qui fut le siège du Tribunal Révolutionnaire. Mon coeur se serre. J'ai mal à Paris.
Comment vous dire ? C'est comme dans un film.
Vous connaissez Boulevard du Palais ?
C'est historique, historique comme féérique, un déplacement dans le temps, un temps universel, celui de la Justice.
J'ai rendez-vous avec une Juge d'Instruction. C'est la première fois. Au Palais de Justice de Paris. Comme dans le film.
Peut-être avec la si jolie Nadia LINTZ, jouée par l'actrice Anne RICHARD.
Je suis tout à la fois curieuse et furieuse.
Curieuse de cette nouvelle expérience, de découvrir les lieux du tournage et une vraie Juge d'Instruction.
Furieuse, je l'avoue humblement, d'être convoquée comme une délinquante par une bacchante du "Cul-cul-Clan", une aboyante et voyante commandante, pour avoir défendu des agents et dénoncé des faits de harcèlement moral sur un blog syndical.
"Il" m'a dit de l'attendre devant les marches du Palais, mon avocat, un peu comme la chanson de mon enfance, une lointaine chanson, comme un Paris qui s'éloigne, un Paris d'autrefois romantique et si authentique, une façon de connaître une ville, sans se reconnaître dans cette file de Robinsons tous solitaires.
Les marches du palais... je vous les montre de loin, parce qu'aujourd'hui elles sont interdites d'accès au public, sans doute à cause des accès de fièvre, une fièvre populaire montante et galopante.
Le temps passe. Les gens passent aussi. J'essaie d'avoir l'air de rien et de n'être rien, comme les autres.
Il y a l'entrée des avocats, l'entrée réservée aux artistes. Et puis, de l'autre côté, il y a l'entrée réservée au public, c'est à dire les victimes ou les illégitimes, comme moi.
Le temps passe, comme dans le sablier d'un atelier de bijoutier.
Je me décide à prendre l'entrée réservée aux coupables, mais en suis-je capable ?
Je me rassure, car la file d'a-coté est réservée à la visite de la Sainte-Chapelle. Je suis divinement tentée de m'enfuir, pour faire l'échange de la visite du monument religieux contre le futur gîte mystérieux offert dans le cadre d'une mise en examen : échange un moment d'oraison contre un temps de prison.
Puis la raison s'impose. Je n'ai jamais eu l'intention de nuire à quiconque, encore moins à la Juge d'Instruction dont le temps est précieux. Je dépose toutes les armes et affaires dans le bac qui traverse l'Achéron, le fleuve des Enfers, sous l'oeil vigilant d'un Charon. Evidemment je garde ma montre, ce qui fait sonner l'alarme et réveille un "maton" qui me hèle. J'ai droit à la palpation pour savoir si, en-dehors de ma plastique personnelle, je porte un bâton de dynamite.
Je me retrouve enfin devant un guichet glauque, marqué "Accueil", la "cellule-modèle" montrée aux futurs acquéreurs d'un droit à dormir aux frais du contribuable, dans les pieds fourchus du Diable cornu.
La vendeuse de la cellule-modèle me tend un plan avec un soupir qui en dit long sur l'exaspération causée par la répétition de cette opération commerciale, maugréée à longueur de journée. Ce doit être dur de vendre une cellule, surtout à guichet fermé !
- Là, vous prenez à droite, puis à gauche du petit escalier. Puis vous montez au premier étage et vous tournez vers la lettre H (ou F, je ne sais plus). Vous ne pouvez pas vous tromper, c'est au premier étage."
Puis, le puits, au suivant !
Ce qui signifie aimablement : - Dégage !
Pour celles et ceux qui ne me connaitraient pas, je me présente : Véronique HURTADO, prénom féminin, avec tous les défauts qui s'attachent à ce sexe, dont un sens de l'orientation émérite. Partie de la guérite de l'accueil, je me retrouve entre la lettre E et H dans le hall du Juge de l'Exécution des peines, au premier étage, si, si.
La situation s'envenime et la panique me gagne. Je m'enhardis à demander mon chemin aux gens de passage qui me répondent pour la plupart avec hargne. Si j'avais su, j'aurais visité la Sainte Chapelle, rappel qui me mine. C'était moins compliqué que de trouver le bureau d'un Juge d'Instruction quand on a un cerveau féminin comme le mien. Franchement, c'est plus facile pour moi d'avoir comme répère la boulangerie du coin ou la boutique de lingerie fine que la lettre du hall E, F, G, H, je continue ?
J'erre et je désespère, finissant par suivre au hasard un vaguemestre trimballant un chariot en métal à quatre roues mobiles faisant un tintamarre d'enfer dans ce bazar de couloirs et de bureaux. Halte, là ! Où suis-je ? C'est bizarre, je me perds tout le temps. Je ne comprends pas cette obstination à ne pas vouloir arriver à destination.
Mon téléphone sonne. Pour une fois, je suis contente d'avoir un portable fiable, ce fil à la patte désagréable, ce "traceur" effaceur de vie réelle. C'est mon avocat qui m'appelle. - "Au secours ! Je suis perdue." " - Vous êtes où ?" Tiens, elle est bonne la question. -" Je ne sais pas, dans un hall." - "Dans un hall, où ça ?" Je cherche une image, un plan, une affiche, un quelque part qui me situe à part de nulle part. - "Devant une pancarte de E à H, hall du Juge de l'Exécution des Peines ." "Surtout, vous ne bougez pas. Ce n'est pas là. J'arrive !"
Ouf, j'ai eu peur qu'il me demande de choisir une lettre au hasard et de finir au mitard, parce que toute personne qui s'égare est placée en garde à vue. J'essaie de repèrer un placard à balais, pour m'y cacher si jamais mon avocat ne me retrouvait pas et que je doive finir mes jours dans le labyrinthe du Minotaure. J'ai vu un reportage où les gendarmes font des rondes toutes les heures ou toutes les deux heures, pour traquer les rôdeurs et les voleurs. Ils ne rigolent pas, les gendarmes. Et moi je ne trouve pas ça drôle, non plus.
Tout est bien qui finit bien. Mon avocat apparaît et nous prenons ensemble la direction du bureau de la Juge d'Instruction. Je ne suis pas surprise. La magistrate est gracile et fragile à l'image de Nadia LINTZ, l'héroïne de la série télévisée. Attention, à ne pas confondre fragilité avec débilité ou instabilité ! Les yeux clairs de la Juge traduisent une volonté de fer, la volonté des femmes qui savent s'affirmer dans le milieu judiciaire des affaires criminelles, comme Nadia LINTZ. Je me demande si l'auteur de la série a copié l'image sage de son héroïne, en volant au passage, au détour d'un couloir, un peu de l'âme de ces femmes qui sont belles et réelles, comme on arracherait une page à l'agenda d'un Juge. Je suis subjuguée, donc bête. Je me fais l'effet d'être une Gretchen, gauche et empruntée (oui, je suis de gauche !) face à une porcelaine de Paris.
La greffière ajoute par sa présence chaleureuse et sa participation heureuse à la vraisemblance de la série "Boulevard du Palais". « Les personnages et les situations de ce récit étant purement fictifs, toute ressemblance avec des personnes ou des situations existantes ou ayant existé ne saurait être que fortuite. » Pour un peu, je chercherais presque l'oeil de la caméra qui filme un autre épisode de la vie de Nadia LINTZ, une caméra cachée pour faire vrai, dans le secret du cabinet d'une Juge d'Instruction.
Je ne vais pas relater ce qui est couvert par le secret de l'instruction. La discrétion est requise.
Sachez seulement que le Palais de Justice fait partie de Paris, comme la République des Juges fait partie de la France.
Il ne peut y avoir de paix sociale sans Justice :
- "No Justice, no peace !"
J'ai quitté Paris comme on quitte une maîtresse, la capitale de la France, avec regret, avec des remords et la conscience d'un tort qui serait de faire disparaître le Palais de Justice et ses juges.
La destruction de ce monument public signerait la fin de la République française.